

PUBLICATIONS XLVII
Poèmes

JEAN-MICHEL TARTAYRE
LES POÈMES D’ART JUNGLE
Gradation
Poésie
1
N’ignorant pas l’inconsistance dans quoi le narcissisme peut nous situer, je n’y pense guère. Mais, fixant le regard, j’avance aux sons d’une mélodie et m’en tiens sans complexe à leurs combinaisons. Des phrases en résultent, dont la musique m’immerge jusqu’à l’épanouissement. Il se peut dès lors qu’advienne l’écriture.
Sans jamais me heurter aux mots, j’écris donc.
Acte où le plaisir prévaut.
La plume m’inscrivant dans sa sphère aérienne, mon ego s’abstient, de telle sorte que je puis participer de tous ses mouvements.
Je suis l’ordre rythmique que la plume impose dans la perspective de son projet thématique et figuratif.
« Elle cueille des fleurs sur le chemin. »
Moi-même saisi par l’enjeu qu’un tel projet implique, je demeure à mon rang de serviteur de la plume et m’en trouve bien : cueillant des fleurs avec elle sur le chemin.
Je n’irai pas au-delà du mot d’ordre, soit chacun des thèmes imposés. Le mouvement va sa dynamique naturelle autour d’un bouquet que ma Dame nous offrit dans un pot, sur la table du séjour. Le bouquet m’apparaît aussi comme objet musical convoquant les ressources de l’écriture instrumentale.
« Elle joue au piano. »
J’entends un hymne dont la gaieté va de soi et sollicite l’essor. Je songe à la course du Grand Fleuve en compagnie de la Forêt et aux dialogues que tous deux entretiennent avec la Montagne-qui-parle. La plume propose des rythmes sur le mode des chromatismes, ceux en l’occurrence que ma Dame lui suggère grâce au fait de son interprétation magistrale de l’eau courant le long des berges, des chants de la forêt et de l’azur côtoyant la montagne.
« Elle chante. »
Je m’inscris maintenant dans l’ordre de la contemplation de ma Dame, dont la voix est source du poème. La plume me raconte comment elle, la plume, fut amenée à se poser sur la page.
« La page est nuage à qui le Chœur parla. »
Ce nuage, de fait, est doté des fragrances sublimes que la parole du Chœur des Muses lui confia, au moment où le nuage et la plume s’apprêtaient à quitter le Palais de la Montagne-qui-parle pour rejoindre la demeure de ma Dame et moi dès les premières notes émanant du piano et, par suite, s’associer à nos pages respectives.
2
Un temps …
… Une période qui me revient.
L’écriture se poursuit, de jure, dans le cadre du séjour nôtre aux sons que réalise ma Dame sur le clavier de son piano.
Je m’oublie aux essors proposés,
N’intervenant jamais dans la partition originale qu’elle créa …
… Il m’est indispensable de rester auprès, tel le veilleur ou le témoin majeur dont seule la plume s’autorise par nature à la praxis souhaitée, celle de l’accompagnement musical des virtuosités de ma Dame sur le mode du poème.
« Nous sommes sur la promenade. »
Je perçois en l’occurrence un souvenir à propos duquel la plume s’élance …
Le thème est toujours figure aérienne dessinée par les notes et que la plume transcrit dessus la page, marquant ainsi un degré rythmique nouveau sur le plan organisationnel du poème.
… Un souvenir donc, où je nous revois, ma Dame et moi, une semaine après notre première rencontre marchant le long des quais de la marina, discutant des bateaux à la terrasse d’une brasserie autour de nos crèmes glacées.
« Vous êtes marin, Artemus. Où se trouve le vôtre ? »
Je désignai à ma Dame la barque et le hors-bord un peu plus loin, amarrés zone Ouest, en lui faisant un schéma simple sur une page de mon carnet. Nous entendions des chants de mouettes, le ciel était bleu, assorti de promenades.
« Regardez Artemus. Ces nuages ont des allures de ballade. »
Nous regardions les promenades cotonneuses du ciel ;
Elles nous inspiraient des joies musicales.
Les beaux nuages concevaient des ballades et nous invitaient à rejoindre des pages
Auxquelles la plume dirait la clarté de ce jour en récrivant notre rencontre
Et son merveilleux paysage …
… Je lui offris un bouquet de roses de Damas.
« C’est un accord parfait, Monsieur. »
La plume construisit au soir une ouverture orchestrale toute en notes amoureuses qui resitua notre promenade sur le port en son cadre des bons augures, là même où les nuages jouaient avec l’air les sublimes ballades …
… ces ballades que ma Dame joue actuellement à son piano – constante autour de quoi figure l’agrément des variations ailées, selon l’ordre d’Hermès.
3
Tel le flux océanique sur les rochers de granit, des notes …
… se posent sur la page …
… ainsi les dessins de l’écume demeurée, après le reflux.
Je note, aux mouvements rythmiques de la plume, une mélodie que me suggère l’autre mélodie, celle dont ma Dame est le sujet, l’interprète, sise à son piano.
« Le temps d’une ballade. »
Les notes que ma Dame harmonise m’accompagnent dans le temps de l’écriture, comme s’accordant à la dynamique de la plume qui acte la poésie de chaque seconde, conçoit les figures et la prosodie à l’échelle du réel.
Les mots s’accordent de fait aux notes et empruntent à leurs phrasés.
Je transcris, grâce au phénomène de la superposition acoustique comblant les minutes au sein de notre foyer, des silences.
Le flux n’est pas de mon ressort …
… mais celui de la dynamique aérienne dont la plume est la parfaite captatrice.
« Le ballet devient écriture à deux voix. »
Nous écrivons simultanément, ma Dame et moi, des pages aériennes. La danse des notes et des mots a lieu d’après la partition et le texte en train, la partition pour piano qu’interprète et signa ma Dame, le texte que le jeu de ma Dame inspire à mon âme et dont la plume sert les essors.
Deux voix s’unissent pour dire la beauté du jour qui les rend heureuses.
« Nous. »
Ma Dame et moi nouons les liens de notre amour sur le mode de l’entente musicale et orchestique.
Je refuse absolument de me heurter aux mots de la plume, aux notes de ma Dame et, sur ce plan, disparais, comme il m’est dû en tout cas de craindre la mauvaise affaire d’ego, l’élucubration narcissique.
Non, il me revient de dire avec exactitude la majesté du silence, par l’écriture de mes silences, grâce aux silences parnassiens de ma Dame.
Elle et moi écrivons des silences, soit
Les paroles de la nature en sa plénitude –
Son chant.
Tel le flux océanique sur les rochers de granit, des notes …
