

PUBLICATIONS XLVIII
Poèmes

JEAN-MICHEL TARTAYRE
LES POÈMES D’ART JUNGLE
Poème autour d’une enquête
Poésie
1
Je ne me regarde pas écrire, c’est un fait d’importance lorsqu’on souhaite poser des mots sur la page et se sentir en phase avec l’idée d’écrire, un poème en l’occurrence.
J’aime la vie et m’en tiens à l’impératif de la parole qui chante la vie. – Chaque jour s’inscrit dans le cadre de ce mode, étant donné que les rythmes du jour relèvent de la musique sublime dont la plume est seule dépositaire.
Je me trouve actuellement dans l’espace libre des notes qui dansent au jour en parfaite harmonie et ce, à titre de guetteur.
La plume opérant, je veille à la bonne progression des mots sur la page en m’y joignant à distance, sans y apparaître.
Je suis au pied de la Montagne-qui-parle où ma demeure fut bâtie par mes soins, exactement dans ma chambre avec vue sur les parois verticales qu’abrite la Forêt. La Montagne-qui-parle est verte jusqu’à son sommet. Souvent des envols en couleurs gagnent l’azur et ces envols sont assortis aux chants ou aux pépiements à quoi la plume aime se joindre depuis la page. Elle peut ainsi établir les chromatismes, les harmoniques, en composant son histoire.
Je suis l’habitant du village sis près du Grand Fleuve et au pied de la Montagne-qui-parle. Nous aimons, les villageois et moi-même, parcourir les espaces pour aller pêcher, cultiver, chasser, nourrir les bêtes, bâtir.
« Notez, je vous prie, Lieutenant. »
Aujourd’hui, et pour plusieurs jours, je me trouve au Bureau des Douanes où l’on m’affecta, pour, entre autres actions relatives aux infractions commises dans les limites de notre circonscription, y rédiger un rapport. La plume retient l’ordre qui me fut donné ce matin de prendre part à l’instruction de l’affaire …
Je regarde le sommet de la Montagne-qui-parle et me sens bien en cette fin d’après-midi, tandis que le Grand Fleuve et l’Azur sont d’or vêtus. Le contexte est à la vigilance, toujours. La loi de nature l’exige, c’est notre condition. Les rugissements, les grognements de la Forêt me le rappellent chaque jour. Notre condition fut fixée depuis les Origines par le concept de Limites et nous devons l’accepter, absolument. La Forêt nous dit ses lois et nous l’écoutons et nous les appliquons à titre de défenseurs des limites et des droits de douane.
2
Le rythme est jussif, le rythme de la vie. Il est l’idéal et sa réalisation. Plume qui va selon ses mouvements, m’importe par sa fonction primordiale de dépositaire de l’idée, en l’occurrence du poème, un soir où le Grand Fleuve, la Forêt et la Montagne-qui-parle s’entretiennent avec l’Azur – au moment de sa période d’or – quand les cités de notre région demeurent sur le seuil du passage vers la nuit étoilée et son cortège d’ombres bleues.
Par transparence, le poème s’organise sur le mode du paysage que nous offre l’Heure Vespérale en sa qualité de déesse dictant les notes depuis son Palais des Hauts, auprès de qui la plume se rendit et, dans ce cadre, recueillit le bouquet des fragrances sublimes dont la déesse est la compositrice, ayant confié d’abord au nuage sa ballade.
Nuage et plume ainsi cristallisés, au sortir du palais s’actualisant dessus la page, pourvoient mon âme des idéales senteurs. Ma chambre se revêt des notes d’ylang-ylang, de bergamote et de jasmin aux rythmes divers de la plume parcourant, reprenant, l’air entendu sur le nuage devenu page. Il en ressort mon paysage du soir, tout d’or vêtu.
« Réunir les preuves. »
Ayant pris part dès le matin à l’enquête autour de quoi je suis mobilisé pour plusieurs jours, il m’apparaît à cette heure que ma condition d’être humain se fonde sur la fermeté conséquente – et subséquente à l’ordre de la nature. De là résulte notre obéissance, je crois ; moi-même, sous les ordres du juge et attaché à réunir les preuves.
Tandis que la transition vers les ombres bleues occupe l’air que nous respirons et dont le chant de nature célèbre la merveille, la plume conçoit des plages de silence à l’horizon de quoi le Soleil entend se coucher dans ses draps d’Océan ; le temps pour elle, la plume, d’évoquer la gradation du paysage, le cycle des jours qui nous offre son Bouquet de Firmaments.
3
Je ne me regarde pas lire. L’affaire exige de moi une prise directe avec la réalité, constamment. Ce peut être l’affaire qui me concerne en cette période, dans le cadre de mon travail au Bureau des Douanes. Ce peut être l’affaire du poème. Dans les deux cas, je lis. Mon seul miroir étant l’écriture, j’analyse les signes, qui sont tantôt les mots des témoignages rapportés sur plusieurs pages du dossier dont on me confia la responsabilité, tantôt les dessins des nuages auprès de qui souvent la plume se rend afin d'en retenir les ballades, interprétées ensuite par la parole du Chœur des Muses. Je procède ainsi à dessein de transcrire ; une lecture donc, réalisée en amont, grâce à quoi s’opère un cycle rythmique où je n’apparais pas, seulement à titre de témoin majeur, soit lorsqu’on me convoque pour agir, d’abord dans le cadre de l’instruction du dossier, ensuite, à cette heure où je suis rentré chez moi, dans le confort d’une chambre avec vue sur la Montagne-qui-parle me donnant lieu d’être à la prosodie.
De fait, il m’est loisible de demeurer acteur de ma vie, j’entends par là même demeurer sujet conscient et agissant au service du Beau, du Bien et du Vrai. Le principe de réalité m’oblige chaque seconde ; je l’applique. Mû par l’absolue confiance que la raison éclaire et dirige, j’acte, veillant au juste procès de mon existence. Rien d’insidieux. Rien de faux. Je suis, à mon devoir d’être humain, voué.
« Éclaircissez cette affaire, Lieutenant. »
On m’ordonna d’enquêter d’après une fausse déclaration survenue à l’aéroport de K. J’assume l’importance de mon statut. Le sens du mot redoute est comparable au sens qui définit mon statut ; et par le phénomène de l’abnégation, j’appartiens exclusivement à ses lois, à ses pierres.
Je m’inscris avec fermeté dans la procédure qui engage nos services, à seule fin de justice. De même que le poème conçu par la plume me situe au degré optimal du jour et de son économie.
J’écris souvent après le travail pour actualiser la tâche ou pour la mettre en musique sur le mode de la versification ou sur celui de la prose, à l’heure des murmures du Grand Fleuve et de la Forêt, lorsque l’Azur leur fait apparaître la Beauté du Soir, les Constellations – spectacle majestueux que la Montagne-qui-parle transmue en chant, ce chant dont mainte strophe ou maint paragraphe est à la plume confié sous le sceau de la Parole du Nuage.
