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Chroniques - genre narratif

Eagle Flying
Bohémienne
Coucher de soleil spectaculaire sur les

On n'est pas sérieux quand on a dix-sept ans.

- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !

- On va sous les tilleuls verts de la promenade...   

   

                                                    Arthur Rimbaud

Genèse d'une oeuvre
Le 19 juillet 2021

 

Le Scorpion ou La Confession imaginaire Poche – 1 juin 2001

de Albert Memmi (Auteur)

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Ce roman d'Albert Memmi révèle, par sa structure enchâssée, l'idée de la genèse de toute oeuvre. Outre la prégnance de l'éditeur, deux instances narratives s'emploient à l'écriture : un premier narrateur, Émile, et un second, Marcel. Ils sont frères. Émile est écrivain de métier, Marcel est médecin.

Le sentiment qui se fait jour dès l'abord, est celui de l'élaboration d'une réflexion autour de l'histoire d'une famille, celle des Memmi en l'occurrence ; il s'agit de fait d'une confession conçue sous la forme et le genre du journal intime. Émile rédige sa confession autour de la problématique du scorpion, là est le leitmotiv. Mais au-delà de la dimension autobiographique que ce motif suscite, l'auteur mène une enquête philosophique relative aux sentiments humains, ou bien encore aux divers faits historiques touchant à l'Antiquité et à l'Afrique du Nord, aux moeurs et aux rites ancestraux : "La vérité est que mes rapports avec les autres, et l'Histoire, reposaient sur un malentendu [...] Puisque nous allons en Europe, j'irai voir à Milan cette Via Memmi qui donnerait sur la Via Pestalozzi."


 

Au demeurant, Albert Memmi propose à ses lecteurs d'entrer dans son univers par le biais, ainsi que le souligne le titre, d'une "confession imaginaire" qui s'avère proche de l'esthétique du fragment et s'inscrit dans le cadre des travaux propres à la genèse d'une oeuvre, montrant comment le frère d'Émile commente et annote les parties du récit qu'il rassemble dans la perspective de sa publication : "Je vais d'abord jeter un coup d'oeil sur les dernières liasses ficelées, que je n'ai pas eu le temps de parcourir." Les lecteurs assistent en tant qu'invités à participer à la confection de l'oeuvre et, en cela, à percevoir le travail considérable qu'enquêteurs et éditeurs produisent pour rendre public oeuvres ou chefs-d'oeuvre ; travail qui n'est pas sans évoquer celui des Encyclopédistes.

Détails sur le produit

  • Éditeur ‏ : ‎ Gallimard (1 juin 2001)

  • Langue ‏ : ‎ Français

  • Poche ‏ : ‎ 314 pages

  • ISBN-10 ‏ : ‎ 2070418774

  • ISBN-13 ‏ : ‎ 978-2070418770

  • Poids de l'article ‏ : ‎ 204 g

  • Dimensions ‏ : ‎ 10.8 x 1.4 x 17.8 cm

Présentation de l'éditeur

 

 

Le Scorpion est d'abord un roman : l'histoire de Bina, la vie de l'oncle Makhlouf, les confessions d'Imilio, les démêlés quotidiens de Marcel dans un pays en voie de décolonisation. Mais il pose aussi les questions les plus graves : Qui sommes-nous ? Comment arrivons-nous à vivre ? Quelle part de vérité pouvons-nous supporter ? Quelle part de rêve ? ou d'illusion ? Cette confession imaginaire, à la structure insolite, témoigne des préoccupations d'Albert Memmi aussi bien dans le domaine romanesque que dans celui de l'écriture.

SINDBAD LE MARIN ET AUTRES CONTES DES MILLE ET UNE NUITS (IX et Xe Siècle) Poche – 1er septembre 2004

de Houda Ayoub

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Détails sur le produit

  • Éditeur : Larousse (1 septembre 2004)

  • Langue : Français

  • Poche : 240 pages

  • ISBN-10 : 2035882362

  • ISBN-13 : 978-2035882363

  • Poids de l'article : 200 g

  • Dimensions : 17.1 x 11.1 x 1.1 cm

L'histoire de Sindbad le Marin s'inscrit dans le cadre d'un récit narré par Schéhérazade sur une durée de vingt Nuits, plus précisément de la LXXe Nuit à la XCe Nuit.

Sindbad est un marchand, citoyen de la cité de Bagdad, issu d'une riche famille. Mais après avoir dissipé la fortune dont il a hérité, il s'engage à bord d'un navire marchand qui va le mener sur la route des Indes et de l'empire Perse : "Nous mîmes à la voile, et prîmes la route des Indes orientales par le Golfe Persique ..." La durée de son périple s'étend sur VII voyages.

De fait, Sindbad est le narrateur de ses aventures. Il les raconte à ses proches, à ses amis à la première personne, à la manière d'un conteur : "Vous n'avez peut-être entendu parler que confusément de mes étranges aventures, et des dangers que j'ai courus sur mer dans les sept voyages que j'ai faits, et, puisque l'occasion s'en présente, je vais vous en faire un rapport fidèle ..." Sindbad et son porteur Hindbad sont célèbres dans Bagdad. L'un et l'autre demeurent les meilleurs amis du monde et, pour cause, ils vécurent ensemble les plus grands dangers sur les mers et furent les invités du roi. Á l'instar d'Ulysse ou, plus en amont, de Gilgamesh, l'épopée de Sindbad se réalise en mer et par le voyage au long cours. La mer, ses surprises et ses tourments, fonde à cet égard le récit. Elle en est le motif majeur.


 

Sindbad, dès son premier voyage, affronte avec ses compagnons une baleine furieuse et évite la mort de justesse ; dans le second, il manque d'être tué par l'oiseau roc. Lui et les marchands qui l'accompagnent vont d'île en île et sont soumis aux aléas menaçants du destin, sur chacune d'elles. Dans son septième et dernier voyage, par exemple, il raconte comment il a pu, grâce à son inventivité, s'affranchir de l'esclavage auquel l'avaient réduit des corsaires.

 

Le texte original est au demeurant écrit en persan, puis traduit en arabe. Houda Ayoub, qui a conçu l'appareil critique et pédagogique de la présente édition écrit ceci : "Nées en Inde, probablement au Ve siècle après J.C. [...] Les Mille et Une Nuits auraient émigré une première fois aux alentours du VIe siècle, vers la Perse où elles prirent le nom de Hézar afsâné." Ce conte de "Sindbad le Marin", par sa structure, est le reflet d'une écriture aux rythmes multiples, d'une part du fait de la mise en abyme à laquelle procèdent les auteurs, ensuite par l'articulation logique qu'ils établissent entre la durée, la séquence des Nuits, et la succession des Contes, lesquels sont eux-mêmes d'une très grande richesse stylistique. Houda Ayoub précise : "Les multiples contes qui permettent chaque nuit à Schéhérazade de retarder le moment de sa mort mettent en scène de très nombreux acteurs participant à une multitude d'intrigues et d'actions."

Présentation de l'éditeur :

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Les merveilles du conte oriental. Cette présentation anthologique propose les contes les plus connus du merveilleux oriental, comme l'histoire de Sindbad le marin - ou la légende des sept mers -, accompagnés de contes savoureux à découvrir, où entrent en scène vizirs, génies et créatures fantastiques.

 

Mille et une richesses à explorer. Les Mille et une nuits sont de nature multiple : contes merveilleux, poésie, fables, roman de chevalerie, récits de voyages. La narration joue de tous les registres : l'émotion, l'imaginaire mais aussi la morale via la fiction, qui illustre souvent la revanche de petites gens confrontées à des aventures incroyables. C'est aussi la découverte d'une civilisation à la fois lointaine et si proche.

Un Roman autour du réalisme
Le 26 décembre 2020

Candide ou L'Optimisme (Français) Poche – 5 juin 2015

de Voltaire (Auteur), Frédéric Deloffre (Sous la direction de)

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Voltaire, dans cette oeuvre, invite son lecteur à partager les aventures de Candide, jeune homme éduqué dans un château de Westphalie, propriété de la baronne et du baron de Thunder-ten-tronckh, et dont le maître de philosophie est Pangloss, un adepte du discours de Leibniz et de ses travaux. Or, l'éducation qu'il suit en ce lieu à l'abri des vicissitudes du monde va très tôt arriver à terme, au moment où Candide est pris sur le fait de séduire la jeune Cunégonde, qui n'est autre que la fille naturelle du couple de la baronnie.

S'ensuit une décision irrévocable : le bannissement du jeune homme.

Commence dès lors une dynamique de l'action que composent de multiples péripéties, face auxquelles Candide doit se résoudre avec une philosophie sensiblement différente de celle que lui prodigua Pangloss. Le jeune héros doit de fait affronter avec réalisme les violences de la société, en l'occurrence une société en guerre, celle par exemple que se livrent les Bulgares et les Abares. Engagé dans l'armée bulgare, il se rend compte en effet que la vie militaire ne ressemble en rien à celle qu'il menait dans la propriété de la baronne et du baron de Thunder-ten-tronckh, sereine et paisible, voire idéale : "Candide, qui tremblait comme un philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie héroïque."


 

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Quelque temps après, il fait la rencontre de Pangloss, lequel lui apprend que le château de la baronne et du baron fut assiégé, mis à sac. Cunégonde et ses parents assassinés. Pangloss lui-même est meurtri physiquement, méconnaissable. Malgré cela, il reste fidèle à ses principes : "les malheurs particuliers font le bien général."

 

Au demeurant, Voltaire établit dans ce récit une intrigue dans laquelle plusieurs registres sont associés et principalement le registre satirique, l'humour et le registre polémique. L'auteur dénonce les travers de la société de son temps avec humour en faisant du héros éponyme et des personnages qui l'entourent les acteurs d'une phénoménologie sociale obligeant à terme au parti pris réaliste et relativiste. Pour ce faire, il convoque dans l'architectonique de ce chef-d'oeuvre son érudition scientifique et philosophique en mettant en relation les différents systèmes en vigueur dans les milieux intellectuels de son époque et les organise autour du discours leibnizien.

 

L'histoire enfin se fonde en substance sur le discours à la fois optimiste et réaliste de Leibniz et propose d'enseigner quelle en est la véritable teneur : celle de l'harmonie universelle, obligeant toute personne à conserver son autonomie au regard des contingences tragiques, ou bien heureuses à l'excès, auxquelles elle peut être confrontée ; une autonomie qui se résout par l'action. Le théologien Martin pouvant se concevoir, quant à lui, comme un actant antithétique, soit complémentaire, vis-à-vis de Pangloss et de son enseignement formule par ailleurs clairement ce parti pris relativiste et réaliste de Voltaire, lorsqu'il dit : "Travaillons sans raisonner [...] c'est le seul moyen de rendre la vie supportable." Frédéric Deloffre, auteur de la Préface de la présente édition affirme ceci : "Ni pessimisme, ni optimisme, mais un 'méliorisme' tout pratique. Telle est à peu près la leçon de Candide."

Détails sur le produit

  • Éditeur : Folio (5 juin 2015)

  • Langue : : Français

  • Poche : 272 pages

  • ISBN-10 : 2070466639

  • ISBN-13 : 978-2070466634

  • Poids de l'article : 200 g

  • Dimensions : 11.5 x 1.7 x 18 cm

Présentation de l'éditeur :

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Quatrième de couverture

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On sait tout de Candide, sauf une chose : quel rapport l'auteur avait-il avec ses personnages ? Les a-t-il imaginés ou connus ? A-t-il partagé certaines de leurs aventures ? Est-il caché dans un coin du roman pour les observer ? Ce regard que Voltaire pouvait porter de l'intérieur sur sa création, c'est justement celui qu'au-delà des connaissances acquises, on a eu l'audace de tenter de porter sur Candide. Cette édition change l'interprétation du plus étudié, mais aussi de plus secret des contes voltairiens. Il s'y présente de façon nouvelle. Ce n'est plus seulement, comme on l'a dit, un "catalogue de tous les malheurs humains", mis au service d'une campagne "philosophique" contre la doctrine de la providence. C'est, dans sa genèse et dans sa structure, un voyage sentimental au pays de la mémoire.

L'Épopée de Kurt Krausmann
Le 04 octobre 2020
L'Équation africaine (Français) Poche – 6 septembre 2012
de Yasmina Khadra

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Détails sur le produit

  • Poids de l'article : 200 g

  • Poche : 352 pages

  • ISBN-10 : 2266229346

  • ISBN-13 : 978-2266229340

  • Dimensions du produit : 11 x 1.6 x 17.8 cm

  • Éditeur : Pocket (6 septembre 2012)

  • Langue : : Français

Kurt Krausmann est un médecin généraliste allemand qui, à la suite du décès de son épouse Jessica, entreprend de faire un voyage en Afrique : "Pourquoi ne pas venir avec moi ? Mon voilier m'attend dans un port chypriote. On prendra l'avion jusqu'à Nicosie puis on lèvera l'ancre droit sur le golfe d'Aden ..." lui propose son ami Hans.

Mais, tandis que leur croisière en voilier se déroule sans incident majeur, excepté les souvenirs malheureux de Jessica qui sont le gage du deuil de Kurt, au large des côtes somaliennes, des pirates interceptent leur course et procèdent à l'abordage : "Le bruit en cascade me réveille." Il est 4h27 au réveil de Kurt.

Commence alors pour Kurt et son compagnon de voyage les péripéties, celles de leur emprisonnement. Ils deviennent les otages desdits pirates : "Le monde qui m'entoure m'enserre telle une camisole. C'est un monde de soif et d'insolation où, en dehors du cantonnement, il ne se passe jamais rien", constate Kurt.

Au demeurant, Yasmina Khadra découvre dans ce roman une intrigue qui s'organise autour de la prise d'otage et de la misère qui lui est associée, un fait d'ordre socio-économique qui sévit tragiquement sur une partie du continent africain. L'auteur nous fait entendre en effet qu'une partie de la population africaine se trouve sans ressources et ce au point de pirater quand le tourisme enfreint certaines limites territoriales. Kurt est néanmoins un personnage lucide, comme le sont ses compagnons d'infortune, Bruno et Hans. Des dialogues, des débats soutenus s'instaurent souvent entre ces derniers et leurs geôliers. Kurt fait état cependant d'un sombre climat psychologique : "À ce rythme, je suis certain de finir par craquer ou par me faire abattre comme un chien."


 

Khadra utilise, pour ce faire, la focalisation interne par le biais de son personnage, Kurt, et donne à voir avec réalisme le quotidien d'une prise d'otage. Les dimensions psychologique et sociologique grâce auxquelles l'auteur traite le sujet montrent l'existence d'un conflit persistant entre les pays dits riches et les pays en voie de développement.

 

Ce roman, enfin, tente de résoudre, par l'évocation des enjeux et des intérêts qui opposent ces régions du monde, l'élément perturbateur représenté en l'occurrence par l'attaque du voilier. Le personnage de Kurt s'interroge et déplore la misère extrême dans laquelle sont abandonnées de trop nombreuses régions africaines ; mais Bruno, Africain lui-même lui écrit dans une lettre, à ce propos : "Je croyais tout connaître de l'Afrique, de ses galères et de ses volte-face pourtant, à chaque faux pas , au lieu de trébucher, je tombe comme un enfant qui apprend à tenir sur ses jambes." Une réflexion mettant en valeur, somme toute, l'innocence, la beauté rayonnante, la foi et l'espérance des Africains, leurs vertus infrangibles, facteur décisif de la résolution de l'équation éponyme.

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Yasmina Khadra - Portrait.

Présentation de l'éditeur :

 

A la suite d'un terrible drame familial, et afin de surmonter son chagrin, le docteur Kurt Krausmann accepte d'accompagner son ami aux Comores. Leur voilier est attaqué par des pirates au larges des côtes somaliennes, et le voyage "thérapeutique" du médecin se transforme en cauchemar. Pris en otage, battu, humilié, Kurt va découvrir une Afrique de violence et de misère insoutenables où "les dieux n'ont plus de peau aux doigts à force de s'en laver les mains". Avec son ami Hans et un compagnon d'infortune français, Kurt trouvera-t-il la force de surmonter cette épreuve ?
En nous offrant ce voyage saisissant de réalisme qui nous transporte, de la Somalie au Soudan, dans une Afrique orientale tour à tour sauvage, irrationnelle, sage, fière, digne et infiniment courageuse, Yasmina Khadra confirme une fois encore son immense talent de narrateur. Construit et mené de main de maître, ce roman décrit la lente et irréversible transformation d'un Européen, dont les yeux vont, peu à peu, s'ouvrir à la réalité d'un monde jusqu'alors inconnu de lui. Un hymne à la grandeur d'un continent livré aux prédateurs et aux tyrans génocidaires.

Un Récit autobiographique

Le 09 juillet 2020

L'imposture des mots (Français) Poche – 2 septembre 2011
de Yasmina Khadra

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Détails sur le produit

  • Poche : 168 pages

  • Editeur : Pocket (2 septembre 2011)

  • Collection : Best

  • Langue : Français

  • ISBN-10 : 2266204939

  • ISBN-13 : 978-2266204934

  • Dimensions du produit : 10,8 x 1 x 17,8 cm

Yasmina Khadra invite ses lecteurs à partager dans ce récit son expérience d'écrivain algérien dans le monde littéraire et, notamment, dans le monde littéraire français. Il relate ainsi comment la réception de son oeuvre s'est réalisée : les voyages multiples, les séjours à Paris, les prises de contact, les interviews, avec les critiques littéraires et les journalistes, les rencontres avec d'autres écrivains dans le cadre des Salons littéraires : "Je débarque donc en France, ma muse en bandoulière, les yeux plus grands que le sourire. Je n'ai pas peur."

Sa réflexion s'articule autour du regard que pose le monde des gens de lettres sur un écrivain algérien de langue française et comment son identité et sa personnalité ont pu, progressivement, être reconnues, non sans grande difficulté toutefois ; d'où, peut-être, le titre L'Imposture des mots, qui suppose un effet de rupture d'ordre culturel et linguistique.

Il décrit son parcours, son expérience, d'écrivain retraité de l'armée algérienne un peu comme un parcours du combattant : "Ce sera aussi mon tout premier salon, en tant qu'auteur et visiteur, et j'ignore si je vais en sortir indemne."

Le contexte de l'énonciation dans ce récit est le plus souvent une chambre d'hôtel, un lieu où il se prend parfois à dialoguer avec ses homologues, des auteurs musulmans, maghrébins tels Mohammed Dib, Kateb Yacine, Nazim Hikhmet : "Soudain, un spectre s'éveille d'un mur ; d'abord par volutes de fumée, il se ramasse petit à petit autour d'une silhouette et finit par se reconstituer."


 

C'est, par là même, un lieu propice à l'évocation de sa culture littéraire et philosophique, des auteurs qui l'ont marqué dans sa jeunesse ; ainsi, Friedrich Nietzsche, Albert Camus, Jean Giono : "Nietzsche referme la fenêtre et se laisse choir sur le sommier [...] Giono t'aurait soutenu, et Camus peut-être aussi." Un lieu au sein duquel il est confronté à son passé militaire. De fait, l'écrivain et l'ancien commandant demeurent deux instances qui dialoguent à intervalles réguliers sur le plan architectonique et de manière conflictuelle, comme pour tenter de justifier ou de résoudre la situation actuelle de l'écrivain Khadra en proie à ses doutes, à ses souvenirs de guerre et, par exemple, en prenant avec rigueur et fermeté la défense de l'armée algérienne contre les accusations portées alors, au moment des affaires criminelles dues aux intégristes. Il dit : "Aussi, je déclare solennellement que, durant huit années de guerre, je n'ai jamais été témoin, ni de près ni de loin, ou soupçonné le moindre massacre de civils susceptible d'être perpétré par l'armée."

 

Au demeurant, cette oeuvre autobiographique révèle une écriture fluide, lumineuse qui narre l'expérience singulière d'un homme, d'un écrivain devenu célèbre et, surtout, reconnu : Yasmina Khadra, un homme d'une très grande lucidité évoquant en l'occurrence son parcours difficile, celui du commandant d'armée, d'une part, celui de l'auteur de génie, d'autre part, ce pour faire entendre une cause profondément humaine, essentielle, auprès du grand public, auprès de son lectorat, la cause qui se définit par le plaidoyer de l'intégrité face aux nombreux obstacles que pose la reconnaissance sociale et intellectuelle des écrivains musulmans, maghrébins, dont il confie par le ressort du genre autobiographique son appartenance, avec la force et l'honneur de l'homme d'armes.

Présentation de l'éditeur :

 

L'aventure personnelle de Yasmina Khadra vaut tous les romans. Dans les années 1990, son nom éclate dans l'univers du polar. Qui se cache derrière ce pseudonyme, qui signe ces intrigues violentes dans le contexte de la guerre civile algérienne ? Lorsqu'en 2001 il révèle sa véritable identité, Mohammed Moulessehoul, officier supérieur dans l'armée de son pays, il passe du rang d'auteur culte à celui de suspect.


L'Imposture des mots est le récit lucide et passionné de l'affrontement entre une conscience et une intelligentsia jamais en retard d'une imposture.

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En 2011, Yasmina Khadra a reçu le Grand prix de littérature Henri Gal de l'Académie française pour l'ensemble de son œuvre.

L'Ingénu, Histoire véritable tirée des manuscrits du P. Quesnel (1767)
de Voltaire

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     Détails sur le produit :

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  • Broché: 176 pages

  • Editeur : Larousse; Édition : Edition 2011 (13 avril 2011)

  • Collection : Petits Classiques Larousse

  • Langue : Français

  • ISBN-10: 2035861543

  • ISBN-13: 978-2035861542

  • Dimensions du produit: 12,1 x 1,3 x 17,8 cm

Ce texte de Voltaire traite de la philosophie des Lumières avec une rare intensité dans le style qui lui appartient, celui d'un conteur remarquable. Il s'agit d'un roman et non pas d'un apologue, comme le souligne le critique littéraire Jacques Van den Heuvel.

L'auteur dresse un tableau socio-philosophico-politique du quotidien de son temps autour du portrait de L'Ingénu, le héros éponyme, un homme  qui est décrit au commencement de l'histoire descendant d'un vaisseau ayant accosté au port de Saint-Malo et parti du Canada, dans des conditions qui sont, on peut l'imaginer, celles de la captivité, des conditions relatives, sur le plan historique, à l'évangélisation des amérindiens opérée par des missions catholiques au XVIe et au XVIIe siècles : " Il n'en fut pas de même d'un jeune homme très bien fait, qui s'élança d'un saut par-dessus la tête de ses compagnons, et se trouva vis-à-vis mademoiselle. Il lui fit un signe de tête, ..." Dès l'abord, ce dernier va faire grande et excellente impression sur l'abbé de Kerkaubon et sa soeur, à telle enseigne qu'ils vont s'empresser de l'adopter et de le former à la culture française ainsi qu'à la religion. Le Huron va, par la suite, tomber amoureux de Mlle de Saint-Yves, une amie de la famille.

Voltaire, par son génie, recoupe ici plaisamment toutes les informations relatives à la politique de son pays : le conflit religieux entre Jésuites et Jansénistes, celui, d'ordre militaire, qui oppose les Anglais aux Français, les faits esclavagistes, les débats philosophiques entre les plus grands spécialistes de cette discipline, auteurs anglais, allemands et français. Son histoire s'organise donc autour d'un seul homme, L'Ingénu, un Huron, un homme qui ressemble au "Bon Sauvage" de Jean-Jacques Rousseau, ne connaissant pas le Mal, doté d'une intelligence exceptionnelle et une force de la nature : "L'Ingénu se défendit sur les privilèges de la loi naturelle, qu'il connaissait parfaitement."



 

Embastillé par le fait d'un procès d'intention, soupçonné indirectement de complicité avec les Huguenots à cause de sa famille adoptive, accusée par un espion de Louis XIV d'être favorable aux idées protestantes, L'Ingénu va ainsi cultiver son savoir dans une cellule, en compagnie d'un janséniste nommé Gordon. Le narrateur le décrit comme un vrai savant après avoir dressé le portrait d'un guerrier hors normes, ayant repoussé à lui seul les Forces de l'armée anglaise. Son génie est à la fois simple et lumineux. Voltaire paraît s'être plu à incarner en lui les valeurs des Lumières et sa Pensée, défiant l'obscurantisme trop présent du XVIIe siècle et les luttes intestines, sectaires, qui sévirent entre Jésuites et Jansénistes à ce moment-là.

De fait, Voltaire établit une opposition sensible entre religion et laïcité, Classicisme d'une part, et Siècle des Lumières, d'autre part, ce d'après la figure du Huron qu'il met en scène dans ce roman avec une très grande lucidité ; un vrai roman d'amour et d'honneur qui lie jusqu'à la mort L'Ingénu et Mlle de Saint-Yves : "Il parlait aussi souvent de sa chère Saint-Yves que de morale et de métaphysique."

Ci-dessous, Houdon, "Voltaire assis", bronze, début 19e siècle, IMV IC 044 (Bibliothèque de Genève)

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La Fin d'un primitif  (End of a primitive, 1955)

Chester Himes ; traduit de l'anglais (États-Unis) par Yves Malartic

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Ce roman de Chester Himes relate l'histoire d'un couple, celle de Kriss Cummings et de Jesse Robinson. Elle, appartient à la haute société Blanche, lui est un écrivain afro-américain, peu apprécié par la critique. Leur rencontre s'inscrit dans le contexte politique des années 50 aux États-Unis, marqué par le maccarthysme et la ségrégation raciale.

Le narrateur fait entendre que Kriss et Jesse vivent une relation très souvent influencée par les préjugés racistes au point de tenir des propos l'un envers l'autre dissimulant une animosité qui les conduit à se dévaloriser. Ils se sont de fait retrouvés après plusieurs années de séparation et ne se reconnaissent plus véritablement. Leur amour de jeunesse semble s'être flétri avec le temps ; en outre, ils sont tous deux déjà mariés et leur nouvelle relation est donc adultère : « Il ne pouvait pas non plus supporter les regards égarés de sa femme, quand elle revint passer quelques brèves heures de vie conjugale avec lui. »

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Chester Himes établit avec La Fin d'un primitif une critique sociale qui s'organise autour du racisme, du regard que la société Blanche peut porter sur la population afro-américaine durant la période où sévit la loi de « La Chasse aux sorcières » L'écriture, par sa syntaxe et ses motifs réalistes, est parfaitement maîtrisée et rend sensible la violence avec laquelle Kriss et Jesse s'adressent parfois la parole : « Jesse ! hurla-t-elle méchamment. Si tu veux être désagréable, retourne chez toi immédiatement. »

Le portrait qui est fait de Jesse Robinson est celui d'un homme qui manque de repères dans la société new-yorkaise, société intellectuelle s'il en est ; et le regard qu'il pose sur lui-même semble très influencé par le climat ségrégationniste, à telle enseigne qu'il ne peut construire sa vie avec confiance, un regard autodestructeur qui va également détruire le couple qu'il forme avec Kriss. Chester Himes traite ainsi, au-delà même de la critique sociale, d'une tragédie, à la façon de William Shakespeare, qu'il cite régulièrement dans cette oeuvre, une tragédie qui se fonde sur le quotidien de la population Noire dans les années 50, victime encore, dans cette période, de nombreux lynchages.

Jesse Robinson est un antihéros où semblent concentrés à la fois le sentiment d'incompréhension, d'injustice, face aux multiples agressions, qu'elles soient verbales ou physiques, des Blancs et l'autodérision excessive avec laquelle il se comporte, en particulier à l'égard de Kriss et de Becky, son épouse : « Becky ! Mais il ne la voyait plus. C'était seulement le souvenir d'un fantôme. Peut-être n'avait-elle jamais existé. "Ce qui compte, ce qui t'a partagé, c'est ta conscience. C'est elle qui paralyse tous les primitifs." »

Éditions : Gallimard. Collection : "Folio" n° 718

Date de parution : 1976. Nombre de pages : 354 p. Prix : 8,40 €. EAN 9782070367184

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En attendant le vote des bêtes sauvages  (1998) - Prix du Livre Inter 1999

de Ahmadou Kourouma

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Bingo est un sora, un chantre africain de la confrérie des chasseurs, chargé de dire la geste du président de son pays, la République du Golfe. Comme tout sora, Bingo se fait accompagner d'un apprenti appelé répondeur. Cet apprenti, en l'occurrence, se nomme Tiécoura. La geste - ou donsomana, en Malinké - doit s'organiser en une série de cinq veillées qui célèbreront la vie et les exploits de Koyaga, ledit président, selon une dynamique associant chacune d'elles à un thème d'ordre philosophique qui la singularise, apporte un éclairage sur un aspect en particulier de la personnalité de Koyaga et de son rôle dans l'Histoire.

Ainsi, la première veillée traite de « la vénération de la tradition », la seconde porte sur « la mort », la troisième sur « la prédestination », la quatrième développe la thématique du « pouvoir » et la cinquième celle de « la trahison ». S'ajoute même une sixième veillée en guise de péroraison où le sora se propose de discourir autour du sujet « Tout a une fin ».

Le récit demeure rythmé par des proverbes au moment de l'intermède, donnant lieu de la part du répondeur Tiécoura à un jeu de flûte et de danses destiné à amuser l'assistance, laquelle se compose des principaux représentants du pouvoir, dont Koyaga en personne : « Vous, Koyaga, trônez dans le fauteuil au centre du cercle. Maclédio, votre ministre de l'Orientation, est installé à votre droite. Moi Bingo, je suis le sora ; je louange, chante et joue de la cora [...] Tiécoura est un cordoua et comme tout cordoua il fait le bouffon, le pitre, le fou. Il se permet tout et il n'y a rien qu'on ne lui pardonne pas. »

Il ressort du donsomana le portrait épique d'un homme qui s'est d'abord révélé un champion de lutte hors pair, un évélema, et qui s'inscrit à cet égard dans la lignée de son père Tchao, lui aussi un grand lutteur et un maître chasseur, le plus grand du peuple paléo, le peuple des montagnes de la République du Golfe ; Tchao qui, après son comportement héroïque de tirailleur engagé sur le front de l'armée française durant la première guerre mondiale, devint une figure vénérée dans son pays pour avoir transgressé les lois des colonisateurs et s'être imposé à la tête d'un groupe de guerriers, tous issus du peuple paléo, appelé aussi le peuple des hommes nus, comme un héros de la résistance, le membre le plus menaçant de l'opposition indigène face aux colons blancs et tragiquement disparu sous la torture dans une prison d'État : « Tchao, le champion de lutte, était de droit le généralissime des armées de toutes les montagnes. » En digne fils de Tchao et de Nadjouma, qui fut quant à elle reconnue également comme évélema, une championne de lutte initiatique, et sorcière aux multiples pouvoirs de divination, Koyaga perpétue les actions guerrières à la suite de son père, restant en cela fidèle aux traditions des hommes nus et à la célébration des mânes de ses ancêtres. Au terme d'une éducation reçue au sein des institutions françaises et de son engagement dans l'armée des tirailleurs au service de la France lors des guerres d'Indochine et d'Algérie, Koyaga, de retour dans son pays, est reconnu par ses compatriotes comme un héros, à l'image de son père, auteur de nombreux exploits dignes de ce dernier et parachève sa lutte en faveur de l'indépendance, en prenant les rênes du pouvoir mais au mépris des règles visant le respect des Droits de l'Homme. Koyaga, dès lors, instaure un gouvernement dictatorial et cette prise de pouvoir par la force est sans concession pour les opposants d'obédience communiste. Il se pose comme un acteur du libéralisme et reste soutenu dans ses actes par sa mère Nadjouma et le marabout Bokano : « Nadjouma est la racine qui pompe la sève qui nourrit le régime du maître chasseur Koyaga. Koyaga a aussi des contacts quotidiens avec le marabout Bokano. »

Ahmadou Kourouma, du reste, réalise avec cette oeuvre un réquisitoire à l'encontre de toute forme abusive de pouvoir, qui se complique toujours, sur le plan politique et historique, en jeu de massacres et de trahisons sans cesse renouvelé. Son intention de situer l'intrigue au moment de la guerre froide n'est pas anodine puisqu'elle donne à voir dans la figure du dictateur africain la caricature d'un individu qui, parvenu au suprême degré de l'indépendance de son pays, se voit pour autant contraint de subir à nouveau la politique des occidentaux à l'échelle internationale, demeurant de la sorte le jouet des puissances économiques, colonisatrices, contre lesquelles s'est construite son image, adulée par tout un peuple, de grand libérateur et de héros. Le titre, ironique s'il en est, accentue l'idée d'un gouvernement sourd aux voix de la démocratie et qui se fige obstinément dans la pérennité d'un parti unique, radicalement orienté vers la politique d'un seul homme autoproclamé président et dûment plébiscité par la minorité des acteurs avec lesquels il perpétra son coup d'État. Les bêtes sauvages dont il est fait mention se comptent au nombre de quatre et sont définies métaphoriquement comme les principales menaces du dictateur. Kourouma les identifie une à une au cours du dialogue de portée initiatique réunissant Koyaga et le dictateur au totem caïman, Tiékoroni, « le maître de la République des Ébènes », qui lui transmet son savoir, fruit d'une longue expérience vécue à la tête de son pays : « La première méchante bête qui menace un chef d'État et président d'un parti unique dans l'Afrique indépendante de la guerre froide [...] s'appelle la fâcheuse inclination en début de carrière à séparer la caisse de l'État de sa caisse personnelle [...] La seconde était d'instituer une distinction entre vérité et mensonge [...] La troisième consiste à prendre les hommes et les femmes qui le côtoient, qu'il rencontre, avec lesquels il s'entretient, comme culturellement ceux-ci se présentent [...] La quatrième bête sauvage qui menace le chef d'un parti unique : le mauvais choix [...] L'histoire lui avait imposé le camp du libéralisme, le meilleur choix. »

Éditions : Seuil. Collection : "Points" n° 762

Date de parution : 21 juin 2000. Nombre de pages : 380 p. Prix : 7,80 €. EAN 9782020416375

Prix du Livre Inter 1999

S'il braille, lâche-le... (If He Hollers, Let Him Go, 1945)

Chester Himes ; traduit de l'anglais par Renée Vavasseur et Marcel Duhamel

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Robert Jones vit à Los Angeles depuis l'automne 1941 et travaille désormais comme chef d'équipe aux Chantiers Navals Atlas.

Sa liaison avec Alice Harrison, la fille du docteur Wellington L.- P. Harrison, médecin de renom, nourrit ses ambitions de réussite sociale dans la perspective de pouvoir un jour se marier et avoir des enfants avec elle (« J'étais fier de l'avoir pour amie. Et j'étais fier d'elle aussi. Fier de son apparence, de l'impression qu'elle faisait sur les Blancs ; fier de ses rapports avec les Blancs et de la confiance qu'ils lui accordaient... »)

Alice l'a, pour ce faire, engagé à lui promettre de poursuivre ses études de droit à l'Université dès la rentrée prochaine (« Si tu concentrais toute ton énergie à un seul but et si tu travaillais dur dans ce sens-là - par exemple, si tu te donnais à tes études et pensais plus sérieusement à reprendre l'Université cet automne - tous ces incidents sans grande importance et ces petites irritations quotidiennes ne t'affecteraient pas si profondément. »)

Néanmoins, si sa compagne, dans sa fonction d'assistante sociale et son appartenance à une des plus riches familles de la Côte Ouest, s'adapte bien au contexte ségrégationniste qui sévit encore, au moment de la seconde guerre mondiale, aux États-Unis, Jones, quant à lui, s'inscrit en perpétuelle opposition avec cette politique raciale et, par là même, avec les représentants de l'autorité qui dirigent ses activités ou travaillent avec lui, à savoir : les Blancs (« Ma couleur est un handicap : ça, je le savais. Mais merde, je n'étais pas obligé de prendre ses crosses [...] Je sentais que si on continuait à m'évincer pour engager les Blancs qui faisaient la queue derrière moi, il faudrait que j'en dérouille un, c'était réglé. »)

De fait, la situation dans son travail commence à s'assombrir dès sa rencontre avec Magde, une ouvrière blanche qu'il a sous ses ordres et avec laquelle il entre en conflit à telle enseigne que cette dernière va porter des fausses accusations et adopter une attitude raciste à ses dépens (« "Je n'vais pas gratter pour un sal' nèg'", elle a dit d'une voix âpre, blême. »)

En conséquence, la direction d'Atlas décide de relever Jones de ses fonctions de chef d'équipe (« Je n'ai pas besoin de vous raconter tout ce que ça aurait pu entraîner, vos insultes à une Blanche, vous le savez aussi bien que moi [...] Voici Dan Tebbel. Danny travaillera avec vous cette semaine et, à partir de lundi, il prendra votre place. »)

Au demeurant, on pourrait à juste titre considérer cette œuvre comme un réquisitoire social par lequel Chester Himes s'emploie à critiquer la politique ségrégationniste des États-Unis qui sévit jusqu'à la période de l'après-guerre. Robert Jones est un personnage qui permet à l'auteur d'offrir un témoignage à charge contre cette actualité en établissant le portrait d'un héros tragique qui, d'humiliations en lynchages, est irrévocablement conduit vers cette unique issue qu'est la mobilisation pour le second conflit mondial, suivant ainsi la loi d'un fatum qui n'a pour justification que sa couleur de peau.

Éditions : Gallimard. Collection : "Folio" n° 1618

Date de parution : 14 mars 1996. Nombre de pages : 308 p. Prix : 9,40 €. EAN 9782070376186

La comédie du succès

17 juillet 2013

Les Jolies Choses (1998)

de Virginie Despentes

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Claudine et Nicolas se sont rencontrés dans un café à Paris. Elle est une starlette, lui, outre le fait d'être un bon ami, lui sert de confident. Claudine a une sœur jumelle prénommée Pauline, à la personnalité très différente de la sienne. Si Claudine a une sensibilité très vive marquée souvent par des phases de mélancolie, Pauline au contraire a un caractère bien trempé. L'une et l'autre, par ailleurs, sont dotées d'un physique de « bimbos ».

Un jour, tandis que Nicolas fait écouter un arrangement musical de sa composition à Claudine, cette dernière a l'idée de faire chanter sa sœur à sa place et de l'inviter à poser sa voix dessus : « - J'aime vraiment bien sa voix, y a moyen de faire de jolies choses... » Au reste, Claudine prévoit de jouer sur leur gémellité pour assurer son statut de femme publique et faire croire à ses qualités de chanteuse. Pauline accepte le contrat et, grâce à son talent, l'enregistrement est un succès. L'imposture néanmoins va se retourner aux dépens de la jeune starlette qui ne peut supporter l'ascension de sa sœur sous son propre label, celui de Claudine en l'occurrence, et se suicide en se défenestrant...

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Virginie Despentes propose, à travers ce roman, une intrigue qui se fonde sur l'usurpation d'identité dans le contexte du show-business parisien. L'auteur de King Kong Théorie et de Baise-moi, entre autres, pose la problématique des conséquences aliénantes que peut entraîner un tel fait sur l'individu susceptible de s'y complaire.

La gémellité est un moyen pour Virginie Despentes de traiter le sujet avec humour et cynisme en mettant en scène deux sœurs qui ne se ressemblent que par leur physique. Pauline, à la différence de Claudine, se joue de l'univers du spectacle avec opportunisme. Elle sait tirer parti des circonstances en artiste, au point de transmuer son ascension vers le succès en véritable vaudeville et de faire de sa fausse identité un ressort ontologique qui lui permet un total accomplissement de soi : « Elle aime jusqu'à l'hostilité qu'elle déclenche chez pas mal de monde [...] Elle se sent porteuse d'une haine telle qu'elle kiffe aussi quand on l'insulte. » Enfin, l'auteur œuvre dans une langue jubilatoire, sans a priori et profondément ancrée dans la réalité sociale des métiers du spectacle, une langue consistant dans l'art de ne pas se prendre au sérieux.

Éditions : Le Livre Poche n° 34105 

Date de parution : 30 mars 2016. Nombre de pages : 308 p. Prix : 7,30 €. EAN 9782253087540

Baise-moi (1993)

Virginie Despentes

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Nadine est une jeune femme qui vit en colocation avec Séverine. Elle occupe ses journées en regardant des films pornos, à traîner en ville avec son walkman ou à faire des passes. Elle a un copain, Francis, en cavale depuis que ce dernier a tué Bouvier, son débiteur : « Bouvier devenait responsable de tout. Vu de près, ce n'était pas surprenant que Francis finisse par lui éclater le crâne. »

Un jour, en rentrant dans l'appartement, elle subit les remontrances de Séverine qui lui reproche de boire son whisky et surtout de ne pas ranger la bouteille. Il n'en faut pas plus pour qu'une sévère dispute éclate et que Nadine en vienne aux mains, jusqu'à étrangler sa colocataire. Quelques heures après, elle a quitté l'appartement, laissé le cadavre comme si de rien n'était et arrive à son lieu de rendez-vous avec Francis, dans un hôtel. Là, celui-ci l'informe qu'il a besoin d'une ordonnance pour aller à la pharmacie. Nadine remplit le document. Plusieurs minutes se passent après le départ de Francis. Il ne revient pas. Nadine, trouvant le temps long, sort de l'hôtel devant lequel est sise ladite pharmacie. Elle aperçoit alors son compagnon marchant à reculons dans la rue, puis tomber presque aussitôt sans vie. Il a le crâne déchiré.

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Elle s'enfuit sans se poser de questions jusqu'à la gare pour prendre le premier train. Mais aucun départ n'est prévu à cette heure tardive de la nuit. Elle reste devant la grille et va bientôt croiser la route de Manu, une banlieusarde et accessoirement hardeuse qui vient d'être victime d'un viol.

Une complicité va se tisser dès les premiers mots échangés et les deux femmes vont dès lors s'entendre pour gagner la Bretagne à bord d'une voiture volée...

Virginie Despentes propose avec ce roman une sorte d'épopée dont les protagonistes Nadine et Manu seraient les antihéroïnes. Antihéroïnes tragiques qui auraient l'intuition de l'instant tout en ayant conscience qu'elles sont condamnées par la loi du fatum social. Leurs actions sont motivées par l'hybris : elles ne semblent avoir d'autre but que de transgresser à l'extrême les codes sociaux. À la fois victimes et bourreaux, elles participent de la dérive nihiliste que leur statut de laissées-pour-compte occasionne, entretient et aggrave sur le mode de la fuite en avant. Prises dans l'engrenage du sexe et du meurtre à outrance, elles demeurent pour autant lucides et constatent avec humour qu'elles ne s'en sortiront qu'en se jetant du haut d'une falaise : « Je préfèrerais finir tout ça aussi bien que ça a commencé et donner sa chute à la blague. » L'auteur à cet égard pratique l'écriture narrative en artiste de l'humour noir et du réalisme. La trame est émaillée de phrases nominales, d'hypotyposes et de zeugmas qui ajoutent au climat de totale liberté dans lequel évoluent les personnages. L'alternance entre niveau de langue soutenu et argot corrobore la force du propos, les effets de réel. Enfin, la concision de la syntaxe donne à la fable une dynamique efficace sachant inviter le lecteur à titre d'actant du drame qui se noue ou parfois même le prendre à partie.

Éditions : Le Livre Poche n° 34059

Date de parution : 2 mars 2016. Nombre de pages : 283 p. Prix : 7,30 €. EAN 9782253087557

Les Chiennes savantes (1996)

Virginie Despentes

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Louise Cyfer travaille à L'Endo, un peep-show de Lyon. C'est l'hiver. Son quotidien se résume aux exhibitions pornographiques et aux virées au bar de L'Arcade, tenu par Mathieu. Arrivant de Paris, où elle fut embauchée dans un autre peep-show de la rue Saint-Denis, Louise a retrouvé à L'Endo des filles qui travaillaient avec elle dans l'établissement d'alors, Lola et Stef, du genre de celles qui lui font grande impression de par leur force de caractère et leur beauté physique : « Stef et Lola m'avaient fait grosse impression et j'avais été vaguement décontenancée de les retrouver à Lyon. »

De spectacles pornos en réunions entre filles autour d'un verre à L'Arcade ou d'un « spliff » dans le cagibi au moment de la pause, Louise vit sa vie à peu près normalement sans se soucier du lendemain, jusqu'au jeudi 7 décembre où la directrice de L'Endo l'appelle pour l'informer que la boîte est fermée pour la journée et pour lui demander de passer à son bureau à 20 heures. Dans l'attente du rendez-vous, Louise profite de son temps de repos avec Guillaume, son frère avec qui elle partage un appartement en colocation, puis plus tard dans l'après-midi avec les fidèles de L'Arcade : Roberta, Sonia, Saïd, Mathieu avec lesquels elle fraye tous les jours.

À l'heure convenue, elle se présente au bureau devant la patronne qui l'interroge sur Stef et Lola, leurs habitudes, leurs anciennes relations à Paris. Louise reste sur sa réserve et pressent une grave affaire autour des deux filles. Son interlocutrice lui tend enfin une enveloppe, qu'elle ouvre pour bientôt constater d'après les photos qui y étaient contenues que Lola et Stef ont été sauvagement assassinées, leur corps rendu presque méconnaissable...

Au reste, Virginie Despentes propose avec ce roman une entrée dans l'univers de la prostitution, soutenue par un style où le réalisme se conjugue avec la poétique de l'intrigue telle qu'elle est mise en pratique dans le genre du roman noir. L'auteur adopte la focalisation interne et découvre à travers le regard de Louise la dimension interlope, la part d'ombre, des quartiers sensibles de Lyon, en particulier celui des Brotteaux. La narratrice tient un journal et raconte chacune de ses journées dans le détail, tout au long d'une période qui en couvre quinze. D'un meurtre à l'autre, du viol dont elle est victime à sa relation ambiguë et néanmoins passionnée avec son agresseur, Louise se livre avec spontanéité, disponible à l'intervention du hasard, dure au mal et le transposant dans une langue écrite rapide, incisive, qui sait traduire le langage de la rue, le langage de la nuit des jungles urbaines, et s'harmonise avec lui sous la forme d'un plaidoyer soutenant la cause des femmes prises dans l'étau de la violence masculine ou de leurs propres passions.

Éditions : Le Livre Poche n° 34063

Date de parution : 2 mars 2016. Nombre de pages : 350 p. Prix : 7,30 €. EAN 9782253087533

L'Armée des ombres (1943)

Joseph Kessel

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Dans la France occupée, lors de la Seconde Guerre mondiale, Philippe Gerbier est emmené par deux gendarmes dans une voiture cellulaire à destination d'un camp de prisonniers. Arrêté à Toulouse sur simple dénonciation mais sans aucune preuve, il ne sait combien de temps cette détention doit durer (« Le temps qu'il leur plaira, voyons, dit-il. »)

Dès son arrivée sur les lieux, après avoir enlevé ses vêtements et revêtu le bourgeron de rigueur sur ordre du commandant du camp, il est dirigé dans une baraque déjà partagée par cinq autres prisonniers (« La baraque abritait cinq bourgerons rouges. Le colonel, le pharmacien et le voyageur de commerce, assis à la turque près de la porte, jouaient aux dominos avec des morceaux de carton, sur le dos d'une gamelle. Les deux autres prisonniers conversaient dans le fond à mi-voix. »)

De jour en jour, Gerbier parvient à nouer des liens d'amitié avec ses compagnons d'infortune et en particulier avec un jeune communiste nommé Legrain auquel il confie sa véritable identité : celle d'un haut responsable de la résistance, et avec l'aide de qui il projette de s'évader (« J'étais dans l'état-major d'un mouvement, dit-il. Personne ici ne le sait [...] Legrain s'arrêta et regarda fixement le sol. Puis il dit d'une voix étouffée mais très ferme : - Monsieur Gerbier, il faut que vous partiez d'ici. »)

Somme toute, L'Armée des ombres est une œuvre dont la valeur testimoniale demeure considérable au regard des actions héroïques menées par les résistants sous l'Occupation. Joseph Kessel, en tant qu'auteur engagé dans les actions de ce mouvement, rapporte les événements auxquels il a pu prendre part avec une remarquable authenticité, qui place au premier plan le courage et la dignité des femmes et des hommes ayant su redonner à la nation française son vrai visage et, par là même, sa liberté (« Sans aucune fausse modestie, j'ai senti tout le temps mon infériorité, ma misère d'écrivain devant le cœur profond du livre, devant l'image et l'esprit du grand mystère merveilleux qu'est la résistance française. »)

Éditions : Pocket n° 2643 

Date de parution : 9 mai 2001. Nombre de pages : 253 p. Prix : 5,50 €. EAN 9782266115001

Le Démon (The Demon, 1976)

Hubert Selby, Jr. ; traduit de l'américain par Marc Gibot

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Le personnage de ce roman, Harry White, est un séducteur aimant conquérir les femmes mariées (« Il trouvait que coucher avec une femme mariée était beaucoup plus jouissif »). Hubert Selby Jr. le décrit également comme un homme intelligent, se comportant « en employé modèle » au sein de la Lancet Corporation. Pour autant, il n'a qu'une obsession : les femmes. Jusqu'au jour où il rencontre Linda, qu'il ne tarde pas à épouser. Deux enfants naissent de leur union. Mais Harry, en proie au démon du donjuanisme, poursuit, au terme d'à peine quelques mois de fidélité conjugale, ses relations adultères (« Il avait l'esprit plein de dégoût et de haine pour lui-même, une bile amère qui brûlait la gorge, mais il ne regrettait rien. ») Peu à peu, et parallèlement à son ascension professionnelle à la Lancet Corporation puisqu'il y est promu vice-président, le comportement d'Harry change et sombre davantage dans la perversité : il commence à voler, puis prend conscience de son penchant pour le meurtre, qu'il accomplit à plusieurs reprises, avec une recherche consommée dans l'art de la préméditation...

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Ce roman d'Hubert Selby Jr. est, somme toute, une œuvre où l'auteur exploite dans un style original mêlant récit et passages dialogués, sans la ponctuation appropriée pour ceux-ci, utilisant en outre la page comme un espace de jeux d'ordre typographique, l'auteur exploite les ressources de l'écriture afin de donner à voir au lecteur en quoi le donjuanisme moderne s'avère en tout point semblable au mythe enrichi par Molière et Mozart.

Ici, le meurtre d'un homme d'église clôt en quelque sorte la descente aux enfers de ce Don Juan new-yorkais. Ainsi, Hubert Selby récrit à sa manière, brute et très réaliste, les aventures du célèbre personnage.

La traduction de Marc Gibot demeure par ailleurs remarquable tant du point de vue du respect du style du romancier américain que du travail de longue haleine réalisé.

Éditions : 10-18. Collection : "Domaine étranger" n° 1606

Date de parution : 13 mars 1997. Nombre de pages : 362 p. Prix : 7,50 €. EAN 9782264005786

« Traders never die »

7 février 2010

Un trader ne meurt jamais (2009)

Marc Fiorentino

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Sam Ventura, après huit années d'interruption dans ses activités de trading pour cause de dépression, décide de revenir sur la place des marchés financiers parisiens afin de se constituer une nouvelle fortune (« Cette fois-ci je ne laisserai pas passer ma chance. Ce sera mon dernier coup. The Ultimate Fight. »)

Pour ce faire, il décide de renouer avec une amie, ancienne trader elle-même, qui coule désormais des jours heureux dans une villa en Corse avec sa famille (« Mais aujourd'hui, je ne peux compter que sur une seule personne, Sunee. Un trader. Une soeur. ») Son objectif est de « monter un crédit bancaire » à partir d'une somme de 100 000 euros empruntée à Sunee. Cette dernière accepte volontiers au nom de leur amitié (« Dans le monde du trading, 100 000 euros c'est du pocket money, de l'argent de poche. Mais, sur les marchés à terme, ça me permet de jouer, avec l'effet de levier, sur 2 ou 3 millions d'euros. »)

De jour en jour, Sam Ventura augmente son capital grâce à sa stratégie d'achat à la baisse et de vente à la hausse, en se focalisant essentiellement sur les cours de l'or, de l'euro, du CAC 40 et du pétrole.

À cet égard, néanmoins, le marché du pétrole, après quelques fluctuations des cours durant la première semaine, s'oriente sensiblement vers une hausse du prix du baril sans précédent et Sam Ventura restant sur sa position à la baisse et ce dans l'espoir de voir le terme de cette brusque « flambée », perd peu à peu ses gains. Ses années de cauchemar surgissent dès lors, telles les fantômes du passé, dans sa mémoire. Il se souvient d'Eva, Eva Khoury, grand amour de sa vie mais figure emblématique de ses échecs, disparue des marchés depuis sa condamnation pour délit d'initié.

Corroborant cette hantise, ces prémisses d'une nouvelle angoisse, des lettres anonymes sont déposées presque tous les jours sur le bureau de Sam.

Quelle énigme se cache derrière ces derniers événements ? et quel lien est-il possible d'établir entre le dysfonctionnement des cours du pétrole et les manœuvres de ce corbeau sur l'identité duquel Sam a somme toute quelques soupçons ? (« On connaît mes positions de trading. On sait que je m'acharne sur le pétrole comme je me suis acharné sur l'Internet. Aller porter plainte ? Les flics vont me rire au nez. Et puis, si mes soupçons sont fondés, ils ne seront pas à la hauteur, face à la créature qui rôde autour de moi... »)

Marc Fiorentino, fidèle à son statut d'expert financier, nous fait partager les aventures d'un personnage, Sam Ventura, tiraillé entre le désir d'investissement, de satisfaire à ses talents remarquables de stratège et de fin mathématicien et le penchant naturel à s'établir dans une vie très éloignée de la jungle affolante que représente l'univers du trading. L'auteur a écrit ce roman, que l'on peut à juste titre considérer comme un ouvrage de vulgarisation scientifique, sous la forme d'un journal tenu par son héros, rendant compte par ce biais de tous les faits d'actualité qui marquent et marquèrent le monde d'aujourd'hui durant ses vingt dernières années, depuis l'avènement du golden boy jusqu'à celui du trader, donnant à voir dans leur condition exceptionnelle le cadre d'une activité où la moindre information peut avoir des répercussions à la fois sur l'ordre économique de la planète et sur le quotidien des ménages.

Éditions : Pocket n° 14172 

Date de parution : 21 janvier 2010. Nombre de pages : 242 p. Prix : 6,95 €. EAN 9782266196550

New York lunaire

19 février 2003

Moon Palace (Moon Palace, 1989)

Paul Auster - traduit de l'américain par Christine Le Boeuf

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Paul Auster aborde ici deux de ses thèmes de prédilection, à savoir la solitude et la quête du père. Le « Moon Palace » est d'abord un restaurant chinois de New York que fréquentent le héros et son amie de façon régulière. Au sens figuré, il s'agit également d'un hymne à la lune conçu bien des années après Beethoven. Aussi les deux personnages s'inscrivent-ils dans une intrigue qui nous découvre tout du long de savants passages descriptifs ayant trait au wilderness et à la Chine, mais toujours dans un « climat lunaire ». De fait, l'écriture de Paul Auster nous emporte littéralement dans un voyage aux frontières de la réalité et de l'imaginaire, ce dans un cadre urbain où toujours l'Asie demeure en point de mire... Un livre somme toute d'une grande modernité et que l'on peut considérer à juste titre comme l'un des classiques de la littérature américaine contemporaine.

Éditions : Actes Sud, coll. "Babel" n° 68

Date de parution : 9 octobre 2013. Nombre de pages : 467 p. Prix : 9,70 €. EAN 9782330026738

L'affaire Stillman

9 septembre 2005

Trilogie new-yorkaise vol. 1 : Cité de verre (City of Glass, 1985)

Paul Auster

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Daniel Quinn, auteur de romans policiers publiant sous le pseudonyme de William Wilson, reçoit plusieurs coups de téléphone - trois, pour être précis - où la personne qui est au bout du fil croit s'adresser à chaque fois au détective privé Paul Auster. Quinn, répondant à deux reprises qu'il s'agit d'une erreur, décide au dernier appel de jouer le jeu et avoue qu'il est Paul Auster. L'inconnu lui confie alors qu'il craint pour sa vie et demande au détective de le protéger. Il donne son adresse - 69e rue, côté est (l'action a lieu à New York) - et fixe avec lui un rendez-vous : dix heures du matin le lendemain. À l'heure convenue, Daniel Quinn se présente chez l'inconnu et c'est une femme qui lui ouvre la porte. Il s'agit de Virginia Stillman... Dans ce roman, Paul Auster exploite avec bonheur les ressources multiples de la focalisation, donnant au personnage de Quinn plusieurs identités qui, au fur et à mesure des événements, confèrent à l'intrigue une matière de suspense qui fait songer aux romans kafkaïens. L'auteur et le narrateur n'échappent pas non plus à ce jeu de masques et la présence de Paul Auster en personnage dénote l'humour avec lequel l'auteur se prête un nouveau statut.

Éditions : Le Livre de poche n° 13518. Date de parution : 1er juillet 2007

Nombre de pages : 154 p. Prix : 4,10 €. EAN 9782253135180

La faille de l'identité

1er octobre 2004

Trilogie new-yorkaise vol. 2 : Revenants (Ghosts, 1986)

Paul Auster ; traduit de l'américain par Pierre Furlan

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Dans ce deuxième volet de la Trilogie new-yorkaise, Paul Auster s'est appliqué, peut-être plus encore que dans « Cité de verre », premier volet, à réduire au maximum l'épaisseur de ses personnages. Ici les deux protagonistes de l'oeuvre ont pour noms Bleu et Noir. Bleu est un détective privé chargé d'observer tous les faits et gestes de Noir, à la demande de Blanc qu'il ne connaît que par courrier interposé et à qui il doit remettre un rapport écrit toutes les semaines en échange de sa paye hebdomadaire remise sous enveloppe timbrée à sa nouvelle adresse - un studio en location situé en face de l'appartement de Noir, dans Orange Street, à New York. Ainsi, la couleur caractérise le personnage, bien plus : elle définit son identité. Mais Paul Auster l'utilise aussi, non sans humour, pour créer la confusion identitaire et faire de Noir le même personnage que Blanc ou de Bleu le double de Noir. La palette d'Auster est brillante et s'enrichit tout au long de l'intrigue. Orange Street est donc un lieu où s'entretient le suspense, que corrobore l'évocation des revenants qui la hantent : Walt Whitman, Henry Ward Beecher, Abraham Lincoln, Charles Dickens, Henry David Thoreau.

Éditions : Le Livre de poche n° 13519. Date de parution : 2008

Nombre de pages : 118 p. Prix : 4,10 €. EAN 9782253135197

« La nuit on meurt »

28 septembre 2009

Le Nom de la rose (Il nome della rosa, 1980)

Umberto Eco ; traduit de l'italien par Jean-Noël Schifano

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Dom Adson de Melk entreprend dans ses vieux jours d'écrire le récit d'étranges événements dont il fut le témoin durant sa période de noviciat lors d'un bref séjour, sept journées plus précisément, dans une abbaye dont il ne cite ni le nom, ni le lieu.

Le premier narrateur, outre Adso, et détenteur du manuscrit de celui-ci l'inscrit dans une zone imprécise entre Pomposa et Conques, en Italie.

Quant à l'époque à laquelle eurent lieu les événements décrits, elle se situe à la fin du mois de novembre 1327 (« vers la fin de l'année du Seigneur 1327 où l'empereur Louis descendit en Italie pour reconstruire la dignité du Saint-Empire romain, suivant les plans du Très-Haut et pour confondre l'infâme usurpateur simoniaque et hérésiarque qui en Avignon couvrit de honte le saint nom de l'apôtre - je veux dire l'âme pécheresse de Jacques de Cahors, que les impies honorèrent sous le nom de Jean XXII »).

Quand Adso et le docte franciscain frère Guillaume de Baskerville, qui s'est pris d'affection pour le jeune novice, arrivent aux abords de l'abbaye, ils découvrent sa « masse imposante », à l'architecture complexe.

De fait, Guillaume se rend dans ces lieux car il est investi d'une mission par l'Abbé, celle d'enquêter sur la mort suspecte de l'un des moines nommé Adelme, dont tout porte à croire qu'il s'est suicidé.

Dès lors, commence pour Guillaume et son secrétaire une aventure qui va les mener à la découverte d'un second cadavre, puis d'un troisième, à partir de quoi, l'observation des faits, des lieux et la savante analyse des indices orientent progressivement l'enquête vers la présence d'un mystérieux ouvrage qui serait détenu au sein de la bibliothèque de l'« Édifice » mais dont l'accès n'est possible et autorisé qu'à deux personnes en dehors de l'Abbé, à savoir : Malachie de Hildesheim, le bibliothécaire, et le confesseur Jorge de Burgos...

Dans ce roman, Umberto Eco exploite les ressources du genre policier en y intégrant celles de l'Histoire et en particulier de l'Histoire médiévale, matière dans laquelle cet auteur fait autorité dans le monde entier tout autant que dans le domaine de la philosophie du langage.

Ouvrage savant et néanmoins porteur d'une intrigue au suspense magistralement construit qui a la vertu de nous tenir en haleine jusqu'à la dernière ligne, « Le Nom de la rose » est une référence dans l'univers des Lettres dans la mesure où les péripéties auxquelles sont confrontés le jeune Adso et son maître Guillaume de Baskerville savent captiver, voire capturer, l'attention à telle enseigne que le lecteur devient lui-même un personnage de l'enquête qui a cours en tant que témoin à charge ou, selon le cas, à décharge.

En outre, les faits d'ordre historique qui demeurent rapportés par le narrateur Adso confèrent la part de réalité qui nous permet d'adhérer complètement aux émotions des personnages dans ce climat de terreur qu'instaurait alors l'Inquisition, climat que par ailleurs l'adaptation fidèle du réalisateur Jean-Jacques Annaud traduit remarquablement.

On doit enfin noter qu'Umberto Eco propose une explication de son travail sur ce roman dans un court opus intitulé Apostille au Nom de la rose où il donne des réponses très argumentées à maintes questions que lui a posé son lectorat composé par une majorité d'étudiants.

Éditions : Le Livre de poche n° 5859

Date de parution : 1er mai 2010. Nombre de pages : 542 p. Prix : 7,90 €. EAN 9782253033134

Un amour immortel

20 janvier 2008

L'Amant (1984)

Marguerite Duras

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La narratrice évoque son enfance et son adolescence à Saigon, pendant les années trente. Elle se rend au lycée de Saigon en car tous les matins jusqu'au point d'embarcation du bac, réservé à la « traversée d'un bras du Mékong. »

À quinze ans et demi, la jeune fille se farde, se met « de la crème Tokadon » pour essayer de « cacher les taches de rousseur » qu'elle a « sur le haut des joues, sous les yeux. » On dit pourtant qu' « elle a un beau regard. Le sourire aussi, pas mal. »

C'est donc un de ces matins, tandis qu'elle se trouve sur le bac, qu'a lieu la rencontre : « Sur le bac, à côté du car, il y a une grande limousine noire avec un chauffeur en livrée de coton blanc [...] Dans la limousine il y a un homme très élégant qui me regarde. »

Un amour est né entre cet homme et l'adolescente, un amour bien différent de celui qu'elle voue à sa mère ou à son petit frère, mort trop tôt, « en trois jours d'une broncho-pneumonie », un amour qu'elle veut tenir secret : l'homme élégant est « chinois » (« Il dit qu'il est chinois, que sa famille vient de la Chine du Nord, de Fou-Chen »), elle est une jeune fille blanche et représente « la colonisation ».

Le fatum dès lors s'impose, elle et lui savent qu'ils ne pourront pas se marier, soumis l'un et l'autre à l'incompréhension et, par là même, au refus, de leurs familles respectives. L'amour devra se vivre dans la clandestinité, à l'insu de tous : « L'image commence bien avant qu'il ait abordé l'enfant blanche près du bastingage, au moment où il est descendu de la limousine noire, quand il a commencé à s'approcher d'elle, et qu'elle, elle le savait, savait qu'il avait peur. »

Il n'empêche, elle ne fera « plus jamais le voyage en car pour indigènes. » Elle va désormais fuir avec lui « l'horreur de la famille de Sadec, son silence génial. » Il l'accompagnera au lycée (« Il est venu tous les jours la chercher au lycée pour la ramener à la pension. Il l'a emmenée dans l'automobile noire. »)

Les après-midi, les journées, vont dès lors se placer sous le signe de l'amour (« il dit qu'il l'aime comme un fou, il le dit tout bas. Puis il se tait. Elle ne lui répond pas ») dans l'appartement de l'homme élégant, à Cholen, ville sise près de Saigon (« L'endroit est moderne, meublé à la va-vite dirait-on, avec des meubles de principe modern style [...] Il fait sombre dans le studio, elle ne demande pas qu'il ouvre les persiennes. »)

Pour autant, tous deux savent que cette relation finira bientôt. La rumeur s'amplifiant, les amants devront bientôt se séparer (« Cela se passe dans le quartier mal famé de Cholen, chaque soir. Chaque soir cette petite vicieuse va se faire caresser le corps par un sale Chinois millionnaire. ») Elle va le quitter et partir pour la France avec sa mère, « il l'enlace. Il lui dit que c'est bien que le bateau de France vienne bientôt et l'emmène et les sépare. »

Après la guerre, des années après, la jeune fille devenue femme écrit des livres, vit à Paris et reçoit un jour un coup de téléphone : « C'est moi. Elle l'avait reconnu dès la voix. »

L'Amant est une œuvre autobiographique dans laquelle Marguerite Duras évoque cet amour qui l'unit à « L'homme de Cholen » avec une remarquable sobriété. L'alternance des indices d'énonciation « je » et « elle » fait de la narratrice le personnage principal et témoigne de sa sensibilité extrême vis-à-vis du contexte dramatique dans lequel se nouent et se dénouent les liens, où les sentiments sont exprimés avec beaucoup de pudeur.

Éditions : Minuit

Date de parution : 1984. Nombre de pages : 148 p. Prix : 12,50 €. EAN 9782707306951

Le Voyeur (1955)

Alain Robbe-Grillet

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Un mardi matin, à dix heures précises, un petit vapeur vient d'accoster le quai d'une petite île où vivent environ deux mille habitants et que l'on imagine située géographiquement soit au large du Danemark, soit au large de l'Islande, de la Norvège, de la Suède ou de la Tchécoslovaquie, puisque l'unité monétaire en vigueur y est la couronne. Mathias est à son bord pour passer là quelques heures dans l'intention d'y vendre des bracelets-montres. Son nouveau métier de commis-voyageur l'amène ainsi à revenir sur le lieu de sa naissance et de son enfance. Un marin du continent rencontré au port d'embarquement quelques minutes avant le départ lui ayant en outre confié être comme lui natif de l'île et avoir une soeur, Mme Leduc, veuve par ailleurs, y résidant seule avec ses trois filles, Mathias entend curieusement commencer sa prospection auprès d'elle en se faisant passer pour un ami de son frère.

D'heure en heure, de foyer en foyer, Mathias, qui a pu louer une bicyclette dans un café-tabac du bourg, écoule lentement son stock de montres. Néanmoins, la rumeur court depuis peu que la benjamine des trois filles Leduc, prénommée Jacqueline, demeure introuvable, tandis qu'elle était censée garder les moutons sur la falaise (« - Elle n'y était pas, non plus. La mère l'a envoyée sur la falaise, garder les quatre ou cinq moutons qu'ils ont. Et elle a fichu le camp, encore une fois.

Toujours à courir où elle devrait pas, à faire arriver des histoires. »)  Pour autant, sa réputation de « démon » n'en faisant qu'à sa tête que soutient sa mère corrobore l'opinion générale des insulaires à son égard qui, loin de s'inquiéter de sa disparition, banalisent le fait par leur réaction de quasi-indifférence et de mise en cause du caractère désobéissant de l'enfant (« Dangers de la falaise, fragilité du roc, traîtrise de l'océan, désobéissance des enfants qui font toujours ce qu'on leur a défendu... »)

Ce n'est que le lendemain matin, un mercredi, que des pêcheurs de tourteaux font la macabre découverte : le corps de la jeune fille gisant au pied de la falaise sur un amas d'algues brunes, « parmi de grosses roches aux formes arrondies ». Mathias apprend la nouvelle au moment de l'apéritif, devant un verre d'absinthe au comptoir du café « À l'Espérance », après avoir subi un fâcheux contretemps de quelques minutes qui le conduisit la veille à se présenter trop tard au départ du bateau fixé à seize heures quinze et, par conséquent, à demeurer dans l'île trois jours de plus, jusqu'au prochain départ ayant lieu le vendredi (« La jeune fille avait enfin compris qu'il désirait une chambre pour trois jours, le plus près possible du port. »)

Cette œuvre d'Alain Robbe-Grillet se fonde, somme toute, sur une trame narrative orientée vers la relation qu'entretient le protagoniste principal, prénommé Mathias, avec son lieu natal et vers le processus criminel au cœur duquel il se trouve. Ainsi, la position du personnage dans ce contexte évolue tout du long, passant de celle d'un démarcheur venu sur l'île dans le but d'écouler son stock de montres-bracelets à celle du criminel patenté cédant à ses pulsions face à une enfant dont la mauvaise réputation auprès des insulaires conjure malheureusement les soupçons que l'on pourrait avoir à l'encontre de celui-ci. Pour autant, le sentiment de culpabilité ressort dès lors que Mathias prend conscience que deux témoins ont pu assister à son forfait : deux jeunes gens ; d'abord, Maria Leduc, la sœur aînée de la victime, qui prétend l'avoir « vu » faire un détour du côté de la falaise, enfin et surtout Julien Marek qui, lors d'une discussion avec Mathias sur le lieu du crime, après que ce dernier a pris la décision d'y revenir afin de supprimer tout indice d'accusation, le pousse à se rendre à l'évidence : « Julien avait "vu". » Alain Robbe-Grillet, enfin, traite le phénomène du voyeurisme avec une remarquable sobriété, grâce à laquelle l'acte criminel est d'autant plus intensément éprouvé par le lecteur qu'il n'est que suggéré. Par surcroît, l'utilisation fréquente du discours indirect libre se conjugue à l'alternance des points de vue, conférant ainsi au récit un climat à la fois énigmatique et malsain, corroboré par l'énoncé, souvent repris par le narrateur, de la superposition des faits, assimilable à celle des strates de la mémoire de Mathias, qui tend à faire comprendre au lecteur que ce dernier n'en est pas à son premier meurtre d'enfant (« Ce n'était pas Violette, évidemment, mais une personne qui lui ressemblait en tout cas beaucoup ; de visage surtout, car le costume de celle-ci montrait qu'elle était encore une enfant, malgré les formes naissantes de son corps qui auraient pu déjà appartenir à une jeune fille - de taille réduite. »)

La scène de crime, du reste, demeure annoncée et évoquée par plusieurs leitmotive qui parcourent le récit, ainsi celui de la « pelote de grosse ficelle » que le voyageur / voyeur conserve avec une précaution maladive dans la poche droite de sa vareuse et dont il se sert pour lier les poignets de l'enfant (« Avait également disparu, dans la poche de sa canadienne, la fine cordelette ramassée le matin même ») ; ou encore celui de l'affiche d'un film placardée devant le café-tabac du bourg qui décrit le personnage d'un homme à la stature imposante maîtrisant avec violence celui d'une jeune femme qui ne parvient pas à échapper à son emprise (« Sur l'affiche aux couleurs violentes un homme de stature colossale, en habits Renaissance, maintenait contre lui une jeune personne vêtue d'une espèce de longue chemise pâle, dont il immobilisait d'une seule main les deux poignets derrière le dos ; de sa main libre il la serrait à la gorge. »)

Éditions : Minuit. Collection : "Double" n° 93

Date de parution : 3 octobre 2013. Nombre de pages : 294 p. Prix : 9,80 €. EAN 9782707323255

Humour et tragédie

13 septembre 2005

Hygiène de l'assassin

Amélie Nothomb

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Le célèbre romancier Prétextat Tach est atteint du syndrome d'Elzenveiverplatz, cancer des cartilages, et n'a plus que deux mois à vivre. Aussitôt, nombre de journalistes s'empressent de recueillir auprès de Tach le témoignage qui tiendra lieu de scoop à sensations. Mais après les premières interviews, on s'aperçoit que Tach est un obèse mâtiné d'un misanthrope de la dernière espèce, acerbe, intolérant, provocateur et misogyne, qui ne supporte en rien les questions qui lui sont posées sur sa vie privée et pousse l'audace jusqu'à diriger lui-même les débats et enfoncer ses victimes de la presse dans une mare d'écœurement. Ainsi, tous les entretiens tournent courts, laissant sur leur faim les candidats au scoop, jusqu'à ce qu'un individu, inconnu des précédents, s'impose à son tour comme l'hôte d'infortune du romancier. Mais là, il s'agit d'une femme. Avant elle, les journalistes n'étaient que des hommes. Dès lors, l'entretien prend la forme d'un affront entre la journaliste et le Prix Nobel de littérature où celle-ci va incarner le défi face à la misogynie ordurière de Tach et parvenir à se faire accepter dans un huis clos imprégné de mystères, où peu à peu, au fil des questions et des réponses, Tach va se voir confronté aux démons de sa vie d'autrefois...

Éditions : Le Livre de poche n° 30238 . Date de parution : 15 août 2010

Nombre de pages : 221 p. Prix : 5,10 €. EAN 9782253111184

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