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montagnes

BALLADES

Nouvelle policière

 

Sur la page blanche,

Comprendre des mers le rythme. –

Je t’écris de loin.

 

I

LA FORME RÉGULIÈRE DES JOURS

 

 

           Elle m’avait écrit ce poème il y avait quinze jours, ce qu’indiquait la date de l’en-tête. Le haïku figurait à la fin de la lettre qu’elle m’avait adressée d’une station balnéaire sise à l’étranger, où on l’avait affectée pour une durée d’un mois. Tout allait bien, elle s’y plaisait. Les gens étaient aimables. Elle s’entendait avec les membres de la hiérarchie. Il pleuvait souvent depuis qu’elle s’était installée au loin, mais la pluie était toujours bienvenue, surtout, comme c’était le cas parfois, lorsqu’elle alternait avec de belles éclaircies. Le poème, que je n’avais pas à interpréter, m’évoquait son inspiration fertile, des paysages de bords de mer précisément. C’était aujourd’hui dimanche. J’avais déposé son courrier dans le tiroir de mon bureau, fis le ménage puis sortis la Kawasaki H2 R pour faire un tour. Je maintenais la vitesse dans les limites strictes y compris en l’augmentant, de temps à autre, d’une pointe de vitesse. Je longeai la Côte.  Des bateaux venus du large se dirigeaient vers le port. Le Soleil se coucherait dans un peu plus d’une heure. On pouvait le voir au-dessus de l’horizon percer de ses rayons larges comme de grands rideaux d’or les vagues cotonneuses des nuages, dans l’alternance des pluies ténues du printemps. J’avais rendez-vous. Avec la quiétude. Je garai la moto en bord de plage puis passai le temps à voir le coucher de Soleil. Sans rien penser. Jusqu’à ce que le ciel soit crépusculaire. Puis je rentrai. À la radio passaient des musiques dépaysantes, des ballades. Le chat et le chien jouaient ensemble. Les oiseaux chantaient encore dans les pins et les acacias. Quelques abeilles parcouraient l’air autour des grandes fleurs. Je regardai à nouveau sa lettre. Elle portait son absolu de parfum. Un peu plus tard la nuit m’accueillit cristalline et bleue, qui trônait parmi son cortège de beaux rêves.

II

OUVERTURE D’UNE ENQUÊTE

 

           Le lendemain, je me levai de bonne heure pour peindre. Je posai sur ma toile les couleurs de la veille fondues à celles de ce nouveau matin pluvieux. L’atelier donnait sur notre jardin, au-delà duquel la plage et l’océan ajoutaient sur le plan du rythme, des variations chromatiques. Je recueillais les impressions du moment, ni plus ni moins. Les tableaux parlaient d’eux-mêmes des propositions du climat et me portaient simplement vers la beauté des choses. Je n’allais jamais plus loin que ce que mon regard sur le jardin et sur l’océan exigeait, n’ajoutait rien d’autre que le mouvement inspiré, à la sensation disponible, sans y mêler quelque humeur que ce soit, mais bien plutôt parti au-devant de la sérénité dont nature demeure l’archétype. Je pris un thé avec un donuts. Une douche. L’eau et les croquettes respectives, pour le chien et le chat. 8 AM. L’heure d’y aller. J’enfourchai la Kawasaki. À huit heures vingt-cinq, je fus au bureau. Je saluai l’équipe, allumai l’ordinateur. – Voici pour vous Inspecteur, me dit notre secrétaire. Elle me tendit un dossier de plusieurs dizaines de pages, trente-quatre exactement. J’eus terminé de le lire dans les détails avant la pause déjeuner. Le délit avait été commis la nuit dernière. L’après-midi nous quittions le bureau avec mon homologue. Nous avions une adresse précise. Nous y fûmes en vingt minutes par le périphérique. On frappa à la porte. Personne. Le reste de la journée, on s’occupa gravement à relire les témoignages, dont une non négligeable partie du dossier se composait. On téléphona. On proposa des convocations afin d’officialiser ces témoignages dans nos locaux. Lors du débrief, l’agenda de la semaine fut validé par notre chef, M. le Commissaire. Je rejoignis mon domicile, après m’être rendu chez le barbier pour une coupe de barbe et de cheveux, puis avoir fait les courses au supermarché. Il était vingt-et-une heures. Je dînai d’un steak frites en regardant la télévision. Deux heures passèrent. Je partis me coucher. Une chanson d’amour passait à la radio. La nuit m’accueillit dans son palais féérique.

            Le jour suivant, je me levai tranquille. Il était presque sept heures. Le temps était à la pluie. J’entrai au bureau à huit heures trente. Mon coéquipier arriva au même moment. Le chef nous convoqua avec les autres membres de l’équipe. – Messieurs Dames, vous êtes au courant de l’affaire, nous dit-il. Chacun doit y assumer ses fonctions. Il nous désigna, mon coéquipier et moi, pour revenir au domicile de l’un des suspects. Nos deux homologues étaient, quant à eux, chargés d’entendre les témoins toute la journée. Ces derniers avaient répondu favorablement aux convocations. Nous prîmes une voiture banalisée. Il nous fallu un quart d’heure pour être à destination. On sonna à la porte. Personne. Nous eûmes M. le Commissaire au téléphone, qui nous dit de revenir au bureau. Nous étions invités à assister nos collègues. Le soir, j’emportai une photocopie du dossier afin de procéder à un nouvel examen des témoignages qui avaient été réécrits, puis signés par notre supérieur hiérarchique. Celui qui m’intéressait par-dessus tout était celui de la victime. Elle était venue en fin d’après-midi et c’est moi qui avais posé les questions, consigné ses paroles. Ils étaient entrés dans sa pharmacie une nuit et y avaient dérobé toutes sortes de médicaments, plusieurs substances strictement réservées à la composition de certains d’entre eux. Elle avait fait la déclaration de vol à l’assurance. Le délit se montait à cinquante mille euros, en tenant compte des dégâts commis sur le mobilier. Cette nuit-là, plusieurs voisins qui ne dormaient pas les avaient vus depuis la fenêtre, le balcon. Deux passants avaient vu la voiture et pu identifier le numéro d’immatriculation. Je relisais : « Ils étaient cagoulés », « … deux personnes … », « … leurs sacs … » Je fermai le dossier, mangeai une part de pizza achetée dans une boulangerie en revenant du travail et allai me coucher.

 

III

INSTINCTS DE NUIT

 

            Trois heures cinq à ma montre, le chien aboya en bas, tandis que je dormais à poings fermés. Je descendis. Le chien aboyait devant la porte d’entrée. Je regardai par le judas et ne vis rien qu’un visage connu. J’ouvris. Le chien fonça dans le jardin. C’était un chat. Un autre, qu’il considérait comme un intrus. Le nôtre dormait dans sa litière. Je fis rentrer le chien et remontai me coucher. Le reste de la nuit fut le cadre d’un rêve. Je me trouvai sur la plage. Je regardais le coucher de Soleil. Au loin, un bateau longeait la Côte. Les nuages passaient. J’allai me baigner et nageai une dizaine de minutes. Après quoi, au moment où je sortais de l’eau, je la vis, assise à l’endroit où préalablement je m’étais moi-même assis. Le sable avait des nuances gris bleu. Je lui souriais, j’allais au-devant d’elle. Sur l’avenue du front de mer, un peu plus haut, dominant la plage, une voiture passa. Je ne pouvais apercevoir que son toit métallique et une partie de la vitre côté conducteur. Ce laps de temps qui lors divertit mon regard avait suffi pour que ma compagne, la vision de ma compagne, eut disparu quand je voulus à nouveau me focaliser sur sa présence. À sa place se trouvait un transistor diffusant de la musique. J’ouvris les yeux. Le radio-réveil affichait sept heures. Le temps était à l’orage. La vitre extérieure du séjour, zébrée de gouttes de pluie, ajoutait aux nuances gris bleu du jardin et de l’océan. Je mis mon équipement de circonstance, démarrai la H2 R.

             À 9 AM, M. le Commissaire nous réunissait dans la salle de conférences. Il reprit les faits dans le détail. Il y eut peu de questions. Quant à moi, je suggérai une nouvelle adresse, un nouveau domicile, où nous avions plus de chance de trouver les suspects. On m’en demanda la raison. – La plaque d’immatriculation de la voiture utilisée au moment du délit, affirmai-je, est une fausse. Néanmoins, elle nous renseigne sur l’adresse d’un couple vivant dans la capitale. Cette adresse est celle de leur maison secondaire, lieu où par ailleurs nous nous sommes rendus en vain le Lieutenant L., ici présent, et moi-même. Là consiste l’erreur commise par les suspects. Et nous devons la précision de ce constat à la perspicacité des témoins. Les recherches que j’entreprends depuis que l’on m’a confié le dossier, m’ont conduit à ceci : les suspects vivent dans un bateau. Parmi les rares indices relevés sur place, dans la pharmacie, on note la présence de grains de sable. Notre laboratoire confirme en outre qu’il s’agit du sable que l’on trouve sur nos côtes.

           On donna la parole à l’agent de laboratoire. La démonstration chiffrée de ce scientifique, qui était venu me voir la veille sur le coup de trois heures du matin, pour m’en apporter la preuve, un échantillon à la main, pendant que le chien courait après un chat dans le jardin, fut convaincante aux yeux de M. le Commissaire et de mes homologues. L’après-midi de cette même journée, nous connaissions les noms des suspects et les références du bateau grâce aux renseignements que la Capitainerie du port nous livra. L’interpellation aurait lieu dans quelques heures.

              À la faveur de la nuit, on quadrilla la zone portuaire. Quatre patrouilles de police étaient sous les ordres de M. le Commissaire. Le Lieutenant L. reconnut la voiture dès notre arrivée. – Regarde. Sur le parking, me dit-il. À quelques mètres du véhicule des suspects, leur bateau, à la place que la Capitainerie nous avait indiquée. Je dégainai le Colt Python de mon holster en franchissant la passerelle. Le Lieutenant me suivait. Trois snipers étaient prêts. Le Lieutenant ouvrit sans fracas la porte verrouillée du grand salon du bord. Ils jouaient aux cartes. – Mains en l’air Messieurs. Pas de geste suspect. S’il vous plaît, ordonnai-je. Les snipers entrèrent à leur tour avec à leur tête M. le Commissaire. On fouilla de fond en comble. L’objet du vol était caché dans les matelas respectifs de deux lits superposés. Les personnes interpelées en l’occurrence n’eurent somme toute aucune possibilité de se servir de leurs armes. Ils quittèrent le bateau menottes aux poignets. Le dossier dont j’avais la responsabilité se clôtura par un rapport concluant, signé du nom de M. le Commissaire, présenté devant le juge.

 

IV

L’HEUREUSE NOUVELLE, LE POÈME

 

             Au lendemain de ces derniers événements, je reçus un courriel de sa part. C’était un dimanche. Elle revenait dans une semaine. Elle savait que j’allais bien. Notre hiérarchie l’avait félicitée pour ses services rendus dans une grave affaire liée au démantèlement d’un réseau de narcotrafiquants. La radio diffusait des ballades. Je fis le ménage, passant l’aspirateur, sortis compléter la toile que j’avais commencé de peindre et posai mon chevalet face à l’océan, sous un acacia de notre jardin. Les oiseaux chantaient. Le chien et le chat dormaient, chacun dans un coin, ; l’un dans la maison, l’autre à mes côtés, au pied de l’arbre. Il avait plu toute la nuit. Je profitai de l’embellie, songeant au poème qu’elle avait écrit et ajouté à son message.

 

J’écris sans haine ni colère,

Avec les mots qui vont de soi –

D’un pays où je pense à toi,

Car de fait te montres sincère.

 

Quant aux actes, n’exprimant guère

Ce que de l’Amour dit la loi. –

J’écris sans haine ni colère,

Avec des mots qui vont de soi.

 

 Jamais prise à l’idée amère

Sans non plus lui accorder foi,

Aux mers dont me ravit l’émoi

Je sais ton âme toujours chère. –

J’écris sans haine ni colère.

                                        Jean-Michel TARTAYRE

PUBLICATIONS XX

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