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montagnes

PUBLICATIONS XXVIII

Poèmes

Saxophone

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RIVAGES

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Poèmes dans un Carnet de Bord

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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UN MOMENT D’INSPIRATION

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         C’est d’abord une musique qui saisit un instant et vous conduit. Nommons-la « Appel de La Plume ». D’elle-même fixant les rythmes autour desquels s’organisent plusieurs signes selon tel ordre, horizontal très souvent, ou bien vertical. On peut ainsi entendre des résonances lointaines, celles par exemple que jadis la pierre suggérait, relevant du paysage historique. Des cordes vibrantes leur associant les notes, on chanta.

          Aujourd’hui, pareil phénomène s’est accru, qui ajoute à l’ordre harmonique la dimension planétaire. Les motifs ou thèmes comme envolés dans l’air des foyers, des régions, se conçoivent dès lors aisément au quotidien. Ils circulent parmi nous et nous les entendons aussi bien que nous respirons. Musiques, œuvres chorales, discours, nous parlent tout le jour, de sorte que le moindre effort d’écoute offre à chacun sa participation à l’étonnant concert. Quant aux images, elles en enrichissent le sens, par le fait qu’elles comblent ces rythmes au point de les inclure aux leurs.

         Auditeurs, spectateurs, sont ainsi des fonctions qui nous définissent ou nous constituent au titre de communicants, au titre d’acteurs sociaux. C’est un progrès indéniable qui forge la conscience de l’Humanité, nonobstant les aléas. De fait, la plume inspirée par la richesse des mouvements de notre quotidien tels que décrits dans les lignes qui précèdent, suit sa voie aérienne non toutefois sans solliciter les sensations à propos, afin de satisfaire aux concepts de créativité, de signe. « Voir à tel degré / Les planètes se mouvoir – / Elle joue un air. » Genre apprécié, le poème, permet à la plume d’être tant à l’espace qu’à la prosodie, l’auteure et le motif.

 

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LE DON D’UNE MUSE AU POÈTE

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           L’instant, eu égard à sa propriété suffisante, donnera selon tel domaine de l’Art sollicité. Siégeant les Muses dessus leurs trônes respectifs, pour ma part je demeure fidèle, en l’occurrence distant, après avoir fait vœu d’un poème. Qu’en sera-t-il ? Quelle inspiration insufflera l’une d’entre elles à la plume que toujours en l’air je dépose, une fois sagement assis au pied de la montagne, à quoi les Anciens consacrèrent leurs chefs-d’œuvre.

        Aux mouvements occasionnés autour de la plume par les soupirs, les accents et les notes, puisqu’ici les mots sont des notes, elle emprunte lors une orientation, une voie et ma main la suit. Voici les rythmes ! Courons aux notes et aux fragrances dont nous gratifient les Muses. Sait-on qui ? Non. Mais la parole insufflée est un absolu de parfum que la montagne sacrée soudain verse dans l’air, où se plaît la plume. L’air est le domaine de la plume. Et je la vis s’élever au-dessus des nuages qui défendent tout accès à la montagne, puis redescendre au gré des courants descendants avec un petit nuage. Ce petit nuage était, je le sus à la fin, une page, celle-là même que vous allez lire, le don d’une Muse.

        « Ayant reçu La Plume aux portes du Palais, je lui dictai la composition de mon bouquet. Le voici. Attendu que je sais votre présence grâce à l’attention sérieuse dont vous faites preuve s’agissant de garder La Plume maîtresse en son domaine. Attendu qu’elle vint au-devant de Nous portée sur ce nuage, je le recommande vers vous, entendez cette page où je réunis un instant les rythmes de ma voix, leurs fragrances, notes pour l’heure qui sont celles du jasmin et de la myrrhe. Considérez ce bouquet comme le témoignage de l’agrément que Nous donnons à la parole des fleurs et des nuages, voie par excellence de La Plume. C’est exactement le bouquet de senteurs que le jour m’annonça à l’arrivée du nuage. S’il vous plaît. »

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D’APRÈS UNE AURORE EN MER

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          Je suis aux horizons turquoise. Je ne parlerai pas de l’expérience de mon trajet quoiqu’il fût agréable et paisible, selon les rythmes de la plume m’installant dans des séjours festifs, donc musicaux. Afin de vous en parler toutefois un peu plus, je dirai que je parcourus l’univers des contes et des fables. J’entrai dans les légendes populaires sur ordre de la Muse et d’invitations en lectures actives, je me constituai une bibliothèque. Autrices et auteurs de renom forgeant de l’écriture le socle, les piliers, grâce à quoi ma bibliothèque tient, dans les proportions d’une chambre forte ou d’un vaisseau.

         Dès lors sis aux horizons turquoise, je continue le voyage en écrivant sur des mers nouvelles ce que la plume rapporte quant au climat et à la parole des nuages. Ce peut être aussi bien un récit qu’un poème. En ce jour du troisième millénaire voici qu’une Muse, dont je ne sais le nom, inspira à la plume un bouquet parce qu’Elle le lui dicta, tandis que pour sa part la plume inscrivait, posant les sèmes floraux dessus le nuage. La Muse le nomma « Le Bouquet du Nuage » et me l’adressa directement grâce au facteur plume. Je le reçus en gratifiant les nues d’un pan d’azur, c’est-à-dire d’un coloriage bleu turquoise que j’imaginai en observant mer et ciel au moment où l’aurore apparaît, depuis le bord d’une île. J’étais sur la plage, de fait, et voici ce que je transcrivis à dessein que la plume le renvoyât à la Muse :

 

                              Sur la grève je rends grâce à votre Poème,

                              Que la plume me remit en venant des airs ;

                              Au-delà du Poème, c’est bien à vous-même

                              Que je rends grâce, ô Muse, comme à tous vos pairs ;

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                              Par là saluant votre « Bouquet du Nuage »

                              Qui me ravit au point que je décidai lors

                              De vous adresser à mon tour ce coloriage

                              Dont j’émaillai l’azur avec d’Hêlios les ors.

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TEL IDÉAL SÉJOUR

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         Comme un bateau va dans le sens des vents, quoique parfois vent debout, j’allai mon chemin en mer à bord d’un galion où j’embarquai, mû par le désir de découvrir les terres lointaines riches de légendes et de fruits qui vont aux salons luxueux de nos cités industrielles lorsque, par exemple, un débat s’oriente autour de l’origine de ces boissons auxquelles on goûte avec un étonnement mêlé de plaisir, nommées selon, thé, café ou citronnade. La mer était calme, nous abordions les rivages verts d’une presqu’île entourée de nombreux îlots. Il était tôt le matin. L’air était frais. Je distinguais des sommets. L’air cristallin ajoutait à l’excellente vision de leur figure dentelée et en pente qui atteint ce point culminant entouré des mythes qui en défendent l’accès.

          Lorsque le galion accosta le quai du port le plus proche, je ne descendis pas avec la majorité des voyageurs mais me pris à contempler cette hauteur que l’on pouvait d’autant mieux apprécier par la raison que le point de vue des quais offre un panorama dont l’étendue suffit à son accès visuel direct. Je ne connais pas le nom de ce lieu, ni de cette montagne sacrée, et pour cause, la légende l’orne de ses figures imposant le silence. Néanmoins, tandis que je demeurai assis sur le gaillard d’avant à parcourir avec ma longue-vue l’horizon, son relief montagneux aux rythmes si divers, la paroi verdoyante se transmua en senteurs florales. Je perçus les notes de la menthe et du jasmin. Elles venaient à moi progressivement plus intenses, jusqu’à m’envelopper pareilles à un camouflage, c’est-à-dire entièrement, de la tête aux pieds.

         Je nageai ainsi, dans ce bain de menthe et de jasmin, quand j’entendis des voix, exclusivement féminines. Je fus invité à leur concert floral et disparus en conséquence, sans ma longue-vue mais une plume à la main. Je gagnai le rivage d’une île qui, je m’en aperçus très vite, se trouvait en lieu et place du sommet sacré. Je ne nageai pas, je ne voguai pas non plus pour l’atteindre. Non, je volai dans un parfait équilibre parmi les masses d’air de menthe et de jasmin, la fraîcheur chlorophyllienne et les nuages de myrrhe. On me reçut. Le concert débutait. Ce fut le concert des fleurs et des oiseaux, pendant plusieurs nuits. Le miel, le lait et l’eau vive nous étaient servis sur des plateaux d’argent, d’or et de gemmes. S’y ajoutaient le nectar et l’ambroisie. On dansa. On se prit aux rythmes idéaux dedans les torrents d’eau vive. Une déesse édicta le cadre du séjour auprès de la plume, puis consacra la formule.

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                                                                               Marin C. M., 

                                                                               Mer Ionienne,

                                                                               Le 16 juillet de l’an 17 ..

 

 

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QUOTIDIEN

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          Jamais seul(e). On est aux heures d’une Humanité qui poursuit sa marche vers le progrès social, grâce à la volonté de chacun de ne pas abuser de la place qui lui fut impartie ou, par ses efforts d’être au monde comme à soi en pratiquant la générosité – un écrit, un don, un dialogue, un état de confiance partagée, l’attention prêtée envers son prochain, en d’autres termes celle d’un agent économique dont la production demeure utile.

          Je sème et cultive les fleurs, pour ma part, au pied d’une montagne sise au bord de la mer. Mon travail est le fait de la plume, que la pureté de l’air régnant sur cette région inspire. Aux Dames du Palais de la Montagne, la plume, selon que l’air lui aura inspiré telle composition, l’ayant assortie à la forme d’un nuage et conçue comme un bouquet, elle l’offrira. Je seconde la plume afin que son œuvre florale puisse s’envoler au gré des vents favorables qui siègent autour des parois inaccessibles.

        Les Dames, qui sont en réalité des déesses, la reçoivent ; c’est un bien nécessaire encourageant la variété de production au quotidien. Chaque nuage est ainsi un bouquet ayant des notes dominantes, que l’on peut entendre sur le mode musical autant que sur le mode pictural. Il s’agit par conséquent d’une écriture toujours différente, et dépendant du jour, qui demande à la plume une bonne appréciation de l’air, de ses chromatismes, de ses harmoniques et du choix à faire quant à son orchestration. De quelle sorte aujourd’hui la proportion entre cuivres, bois, percussions, cordes et voix peut-elle se réaliser pour un bouquet de roses ? L’idée apparaît alors qu’en ce jour de beau temps, où il ressort que ces belles fleurs participent du parfait équilibre que le climat ordonne entre paysage et sensations au point de les confondre dans une prosodie, l’orchestration de l’air peut se réaliser d’après le concept de l’égale proportion entre les instruments. Et aux Dames en leur Palais la plume dessus son nuage convoquera lesdits instruments, d’abord à dessein de se transporter dans l’air puis, se présentant sur le seuil dans l’attente de la réception, de proposer à l’assemblée divine sa nouvelle œuvre, les espérant ravies aux fragrances et à la formule. J’aurai prêté ma voix.

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RAISON D’UNE ANCRE JETÉE À LA MER

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          Les rythmes s’imposent d’une mer aux mélodies diverses dont je ne sais rien. Mais à titre de navigateur tenant la barre, je suis la voie fixée par le cap, insensible à tout vent contraire dans des limites toutefois raisonnables, confiant, dans le matériau de la coque et au vu des indications de la boussole. Le Capitaine et la vigie me signalent lors quelque relief parmi les brumes nombreuses à l’aube parue en l’occurrence. On distingue une ombre à peine, de neuf cents pieds, que j’entreprends de contourner autant que nécessaire. Une demi-heure plus tard, l’aurore éclairant l’écueil potentiel et toute brume dissipée, nous voyons : « La Montagne Sacrée ! », s’écrie-t-on à bord.

          Après quoi, décision est prise de jeter l’ancre près du rivage, à un mille. « Nous irons jusqu’à la plage en ramant. Mettez les barques à l’eau ! » ordonne le Capitaine. Je me suis assis, plume à la main, une page sur les genoux, afin de prendre note de notre étape selon les règles d’une prose bercée par le milieu naturel, vagues et nuages sous les vents alizés. Tout est azur, tout est harmonieux. Nous sommes en effet ici au fait du poème, de ses résonances harmonieuses, de ses signes au comble des senteurs que versent du sommet de la Montagne les Muses.

        Je respire au grand air la forme des nuages et des vagues, les chants d’oiseaux, la forêt luxuriante, la transparence de la mer, la puissance des pierres. « Néanmoins, c’est une jungle ! nuance le Capitaine. L’un de nous, parti en éclaireur, a senti la présence manifeste d’une faune hostile à notre progression et faillit se perdre au sein de l’apparent amalgame végétal … » Je note ainsi qu’au-delà du rivage la Montagne a ses gardiens. Ordre nous sera donné de n’apprécier la Montagne que dans le cadre respectueux d’une nuit passée près du feu, qui nous maintiendra hors de danger et, nonobstant la distance entre la plage et le sommet, plus près de l’inspiration des Muses, des lendemains sur la mer.

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POÈME DE L’EAU

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           La pluie et les averses sur la terre nourrissent non seulement les espoirs des femmes et des hommes mais aussi les cultures et les animaux. Le rythme régulier de l’eau venue du ciel est celui d’une musique suscitant l’essor au-delà, proposant une rhapsodie dont le leitmotiv fait entendre la voix de l’eau, de la faune et de la flore propres à d’autres régions. On est chez soi. Il demeure possible d’écrire, de peindre, d’être à son travail, et la polyphonie ajoute au confort de telle occupation où l’on est.

         On regarde dehors les gouttes qui vont jusqu’à la vitre dessiner leurs transparences d’après les mouvements de l’air, former les figures d’une composition toute en contretemps. Il pleut à la fenêtre et les heures s’organisent autour. La plume portée par la masse des nuages, à l’eau de pluie composera, comblant par exemple notre intérieur de départs, ainsi de cet amarrage suggéré, aux lointains horizons.

         Lors, ce sont les grandes fleurs, les forêts vastes, les prairies, les mers turquoise et les azurs plein de lumière ; ensemble conçu à l’idée du poème. Et toujours la pluie tombe autour de nous, et par ses vagues successives d’averse créant le rythme du jour, la prosodie, confère à la plume ses mots, ses notes, ses couleurs. Un bateau mouillant au large d’une île où trône la montagne. C’est après l’orage. On distingue la mélodie des vagues, la barrière de corail. La plume s’envole dessus un nuage blanc en forme de fleur, vers la montagne.

 

 

 

 

 

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UN JOUR DE PÊCHE

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          Souvent aux rythmes du ciel s’harmonisent les rythmes de la mer. Il pleut. Un temps d’automne s’est proposé le jour du départ. Des nuances gris bleu accompagnent la progression vers le large. L’air et l’eau sont parés comme les perles rares d’un collier féminin. Le regard se pose autour du bord où la lumière matinale danse sur les flots, tombée du ciel sous la forme de plusieurs rideaux qui ajoutent au phénomène des précipitations. Averse et rayonnement confondus sur le mode de surfaces aériennes disposées en parallélépipèdes, à travers quoi la navigation suit son cours.

          Spectacle étonnant qui fait songer à des immeubles célestes dont l’ordre du jour établit le nombre suffisant aux yeux des marins, afin peut-être qu’ils puissent juger simplement des conditions de pêche aujourd’hui. Le Commandant note le cap et la durée du parcours depuis l’appareillage jusqu’à la zone de pêche ratifiée. A fortiori, la capitainerie ayant annoncé une amélioration sensible dans l’après-midi, on ne s’offusquera jamais de la mer. Parce que c’est la mer. Parce que le ciel et la mer ont tous les droits en leur domaine, qui nous dépasse. Nature et saisons tout à la fois, nous leur devons notre existence, nos salaires, notre avenir.

          Voici la montagne vers laquelle nous nous tournons avant de jeter l’ancre et les filets, à trois milles du rivage. Les oiseaux de mer volent en grand nombre dans cette région. Une plume flotte alors dans l’air puis se pose quelque part sur le bastingage. Le ciel s’est éclairci. On a jeté l’ancre et les filets à l’eau. Au-dessus de la montagne flotte un petit nuage telle une fleur de nymphéa. Le nouvel horizon s’ouvre à l’harmonie de l’aigue-marine, convoquant de façon instantanée la plume et le nuage sous le rapport d’un poème à dire, celui qu’on n’écrira pas, mais fort du silence soudain que l’événement naturel génère dans l’équipage et au-delà, celui que l’esprit de la montagne, fait des Muses, organisera en un bouquet, pareil à la composition florale. Don extraordinaire s’il en est, conçu pour chaque personne présente, sans écho ni interprétation.

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CLIPPER

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         Tout un, fond et air, la voilure prend le vent dans le bon sens, sur l’eau rafraîchissante. Elle se gonfle au souffle considérable du nord parfois mêlé de glace, le blizzard. Je porte une cagoule de laine. Une expédition officielle pour laquelle je m’engage après signature à titre de mousse. Au gaillard d’arrière, je savonne les restes de notre pêche d’hier matin, avant de passer au pont, partie du clipper la plus volumineuse, comme on le sait. Enfin, le gaillard d’avant qui clôt cette matinée de travail du lendemain. Parfois, j’y écris, l’après-midi, quand je ne suis pas à la voile pour hisser ou plier ; dessus la proue, n’ignorant guère la Figure, notre Figure protectrice.

          Les mots vont sur un bout de parchemin selon la structure exigée par la Figure. Ces derniers temps, le blizzard rend plus pénible le procès de la plume ; néanmoins, j’ai un abri, la toile qui recouvre une petite partie du cordage à bâbord, dont je me sers à la fois pour rédiger donc, mais aussi pour seconder la vigie dans son labeur d’analyse fine des parages. Nous filons droit vers le prochain fjord. Nous y resterons deux jours, au terme de quoi cap sera mis à l’ouest-sud-ouest vers un port des Highlands. La plume y vole déjà, portée par la Figure à la vision magnétique. Nous y accosterons et déchargerons l’orge, le blé, le saumon, les salaisons embarqués en Norvège. Malgré la saison d’été où nous sommes encore en cette première période de septembre, au vu des contreforts de la montagne de Norvège, la neige recouvre tout, jusqu’aux rivages. « Dans deux heures, nous serons à l’entrée du fjord ! » dit le Capitaine. Cette parole s’entend au moment où le blizzard a presque disparu.

          Le vent est de force moyenne, au demeurant, et donne à la voilure les moyens d’une belle avancée le long des côtes scandinaves. Nous portons les produits de la pêche et les céréales au peuple des fjords, outre les bonnes nouvelles du pays. Notre Figure s’en réjouit, à la proue, Elle qui porte notre espérance, à voir son visage de marbre rayonnant aussitôt qu’arrivés. « Jetez l’ancre ! Amarrez ! » ordonnent le Capitaine et le Lieutenant. J’ai posé le parchemin. Je descends les sacs en toile de jute et les coffres de congélation avec l’ensemble de l’équipage. Le blé, l’orge et le poisson frais sont à quai, nos correspondants commerciaux présents, ponctuels, au lieu de rendez-vous et d’échange ci-devant « Le Comptoir de l’Europe ». Demain, l’aube m’aura convoqué, et le Capitaine, pour le nettoyage du pont, et : « Vous n’oublierez pas non plus notre Figure de Proue, mousse, avant le départ ! N’économisez ni le savon ni les coups de brosse, s’il vous plaît. Œuvrez à sa Lumière ! Actualisez son Symbole ! Rompez, mousse. »

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                                                                               Marin C. M., 

                                                                               Mer du Nord,

                                                                               Le 7 septembre de l’an 17 ..

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UNE TEMPÊTE

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             Le cap au nord. Il y aura des averses. On aura mis un cache-nez et, à travers la vitre de la cabine du Commandant, malgré le va-et-vient des balais essuie-glaces en mode rapide, au-delà la vague aura pris les proportions d’une montagne. Plus qu’un métier, une vocation. Nous avançons néanmoins, ainsi le veut la clémence de Poséidon. « Celle-ci est très volumineuse, mon Commandant ! » Qu’importe, nous passons en escaladant, du Wärtsilä-Sulzer sûrs de la performance par tous les temps. Puis la crête franchie et ses mouvements d’écume entrés jusqu’à bord, qui baignent nos pieds, nous descendons le versant opposé sur plus de cent mètres, presque à la verticale, comme on surfe. « En attendant la prochaine … », ajoute le Commandant.

           La voici. Plus haute que la précédente. Nous trempons … Car nous sommes dessous la vague cette fois, ou mieux … dans une sorte de tunnel d’eaux violentes que nous formons, ce d’après nos calculs rapides, concourant au choix de probabilité un, celui de suivre notre trajectoire en ligne droite, tout autre choix n’aboutissant qu’à un résultat de probabilité nulle. « On ne tremble pas Sergent. Maintenez le cap ! » ordonne le Commandant. Moments de suspension rares, telle la vision impressionniste d’un aquarium géant. Je suis à la barre et je flotte pareil à un oiseau, dans l’air. Une minute … Ce sont les éclats bleus, les harmonies du silence, les frontières entre l’eau et l’air dépassées.

             Un opus joué sur une scène vide, sauf le piano et moi. C’est un grand amphithéâtre à ciel ouvert. Seules les notes résonnent. Un amphithéâtre antique, au pied d’une montagne. Je joue un nocturne sous les étoiles, dans les rayons bleu marine des projecteurs. Je n’entends rien, que chromatismes et harmoniques, en suivant la partition. Il est tard, l’air est bon et frais et m’absorbe, moi-même confondu avec, notant toutefois la prégnance de l’auteur-compositeur et celle du public. Un esprit à respecter absolument, l’esprit du lieu. Comme si je participais, grâce mon jeu d’interprète, de la respiration du lieu, soit la respiration de la montagne. Magie d’un soir ! où j’ai le sentiment que les déesses me portent vers une destination. Laquelle ? Il y a d’abord le concert à réaliser. Ensuite, quoi ? La gratitude, le salut au public, le salut aux déesses. Je suis à la grammaire musicale, à ses clés, à ses phrases, à l’économie du bouquet de notes, au champ des résonances selon la durée juste à rendre et m’y attachant des pieds et des mains. L’oreille, la note, au diapason d’or. La durée ? Une minute … « Nous sommes passés ! » s’exclame le Commandant, qui me gratifie d’un « Merci Sergent, vous nous menez lors à l’embellie ! Voyez. » Je vois. Nous sommes au ciel pluvieux, pluvieux d’une pluie de printemps, d’une mer adoucie aux instances de l’horizon redécouvert sur sa courbe asymptotique.

 

 

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BOUNTY

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         Malgré le vent. À sa faveur. C’est selon. Des harmonies soutenues de la mer et du ciel, bien inspiré le timonier mènera le trois-mâts au port. Nul doute qu’il y aura l’aventure. Ainsi de la brume aux abords du littoral. Non loin de quelque île, on va, au gré du vent, faible sur cette zone imprécise dont même le cartographe ne put déterminer les références. Un lieu où les lanternes ne découvrent que les formes diverses des vapeurs de l’air à la surface, la surface sombre, le silence alentour dissuadant de jeter l’ancre dans l’attente d’une amélioration, le silence inhabituel tandis que, presque à l’arrêt le vaisseau apparaît aux yeux de l’équipage plus léger qu’il n’est en réalité.

         Quand soudain, au vol de l’escadrille des oiseaux de mer brisant cet étrange état de nature, naît ce sentiment d’élévation inexplicable, puis : « Nous nous envolons ! », clament les gens du bord. De fait, les oiseaux ont agrippé la voilure et soulèvent le trois-mâts dans les airs. On emprunte la voie du ciel ! Au-dessus des brumes l’homme de mer redécouvre l’horizon, le relief d’un archipel ! On se situe à une altitude d’environ mille pieds. « Ce ne fut donc pas un naufrage mais une échappée au contraire, qui fonde l’aventure ! » s’enthousiasmera le mousse auprès des hôtesses habillées en fleurs. En effet, on ne côtoie plus parmi les brumes à ce moment des péripéties, C’est parmi les nuages que le procès de la navigation se réalise …

         À cinq milles d’un atoll, la compagnie des oiseaux sauveurs lors dépose le navire. « Le port se trouve à dix mille de là ! », confirme le cartographe. « Pour l’heure, proposons-nous un temps de baignade et de pêche dessus l’atoll, voulez-vous ? » demande le Capitaine. Aux vents alizés, le trois-mâts conséquemment va et bien sa route puis jette l’ancre par les transparences azur. « Notre plus beau souvenir, sans doute ! » conclura le timonier, bien inspiré après l’amarrage au port de l’archipel, en s’adressant à la dame fleur qui l’aura gratifié d’un sourire de bienvenue, outre le considérable bouquet des corolles autour de quoi cristallise la coutume, dont on adoube l’hôte.   

 

 

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GALION

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          Je vais aux expressions cruciales, les rivages de joie. Ce sont des signes contenus par les voiles, air ensoleillé, pluie ou neige. Tandis que le galion progresse entre les masses rocheuses recouvertes de neige, de glace, chacun est à sa tâche, cap au nord, vêtu conformément aux exigences du climat, soit chaudement. Comme une page s’écrit sous l’action de la plume, le galion marque son empreinte dessus les mers, écumants sillages selon les directives établies au préalable en un cabinet d’étude sis dans la capitale, qui écrivent sur l’eau des moments historiques, sans nul doute. Par conséquent le Capitaine, au fait des lignes courbes ou droites du cartographe, demeure scrupuleux des voies empruntées et des étapes. Il ordonne le cap, la vitesse du bâtiment, la discipline ; et ce d’après les consignes de l’Amiral qui supervise depuis le Ministère et ratifia le projet d’expédition.

           J’écris, quant à moi. Je note les vents, l’état de la mer, la direction, sans m’émouvoir jamais, fidèle en cela à mon poste de vigie. J’observe du haut du mât, précisément le nid-de-pie, au besoin suggérant à notre Capitaine de me confier le sextant afin de bien nous situer, la nuit. Mes calculs se fondent à la fois sur la précision de cet outil et sur l’esprit d’analyse dont je m’emploie à combler les ressources grâce à mon bon sens. Pour l’heure, je suis à l’étoile polaire, vérifiant l’angle pris avec l’horizon, n’ignorant pas le hasard de l’écueil, ni le trésor agricole que nous devons mener à bon port : blé, maïs, huiles végétales, fruits du sud de la France, un troupeau de bœufs comptant cinquante têtes de bétail, enfin les salaisons. Je suis à la constellation de cette Alpha Ursae Minoris brillante telle la perle rare, qui me donne les signes et les présages pour la route optimale que nous dessina le cartographe.

             Je vis souvent assis à ce point stratégique qui, je me l’avoue, m’assure d’un confort que je ne cèderai à personne, outre le plaisir de la prévision occupant la majeure part de ma fonction à bord. Je suis à la Petite Ourse et bientôt l’angle pris entre elle et la courbe de l’horizon va se modifier sensiblement, pour une aube ! La Reine Aube, dont les voiles de satin et de saphirs sont un suspens au seuil du jour. En cette nouvelle journée qui se prépare, il y aura d’abord l’aurore et ces éclats d’or qui vont par toute l’étendue de l’eau et des rivages de pierre, ensuite le Soleil, menant son quadrige jusqu’au zénith, nous donnera un nouveau matin, grâce à Dieu. L’amarrage au port de l’île scandinave est prévu après midi. Les circonstances nous sont favorables. Dans deux heures, je descendrai de mon nid-de-pie, pour me rendre aux rivages du Sommeil. Il n’y a par ailleurs rien à signaler, nous n’avons rencontré nul obstacle. Il a cessé de neiger ; la pluie, légère mais glacée, paraît céder la place aux heures de beau temps. La nuit est de plus en plus claire. Je peux voir l’angle se dessiner de mieux en mieux. Je salue la Petite Ourse de cette note personnelle sur mon journal de bord.

                                                                   

 

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                                                                               Marin C. M., 

                                                                               Mer de Norvège,

                                                                               Le 10 décembre de l’an 17 ..

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                                          Jean-Michel TARTAYRE

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