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montagnes

PUBLICATIONS XXXIV

Poèmes

Instruments de musique de capoeira

JEAN-MICHEL TARTAYRE

 

 

 

 

BALLADES À L’HONNEUR DE NOS SAISONS

 

 

 

 

 

Poème

 

 

 

 

 

ἕν οἶδα ὅτι οὐδὲν οἶδα.

 

                                                     Socrate

 

 

 

 

 

 

 

Veris aeterni, ...

 

 

I.

 

Un mouvement de résolution par le mot. Des histoires, en conséquence de quoi on peut lire, retenir l’idée, le thème, les motifs. Néanmoins, tel mouvement tenu sur une période, qui nécessitera un début et une fin ; laquelle période ne se conçoit pas sans rythmes. C’est ainsi que souvent s’opère la transmutation musicale d’une histoire, où le mot a valeur de note. Un champ, dont les limites seront toujours raisonnables, propose dès lors ses fruits et mène, par choix, vers sa célébration, soit le chant de l’âme. On parlera d’une période de réjouissances que fonde la seule transmutation, période contenue et comparable aussi à la lecture picturale, dont on garde secrètement la dynamique.

 

 

 

La raison oblige. Le mouvement par les mots instaure un paysage idéal. C’est une montagne fleurie au pied de quoi la dynamique de la marche en avant demeure permanente, non sans le sentiment de bien-être, celle d’une musique portée grâce à la voix et les rythmes d’un orchestre perçus chez soi ; fixant, au moyen des mots transmués en notes, le support. La page ajourée ainsi se donnera à lire sitôt ses limites réunies selon le sens et sa structure initialement pensés, soit selon le principe de raison. Le facteur imaginaire peut s’entendre mais dans les limites strictes de telle combinaison servant le paysage, qui fonde les figures. Il dépend de la volonté nôtre d’établir musicalement le jardin d’altitude de la base au sommet. On se rangera auprès, concluant à la réalité du cadre.

 

 

Ainsi créer un mouvement, de raison. Où le mot vient, à titre de composant rythmique, de l’ensemble induit dès sa lecture comme structure favorable à la dynamique de la marche. L’idée de la ballade, toujours loisible à entendre parce qu’elle donna forme au genre populaire qui séduit, semble s’inscrire dans un tel mouvement à la fois en tant que vecteur d’inspiration et modèle d’écriture. On peut penser à une promenade autour de quoi s’organise un grand nombre de variations, une promenade musicale discrète qui sait situer la scène, le sentiment de bien-être ; soit un lieu de rendez-vous occasionnant notre regard posé sur le jardin fleuri dont s’ornent la montagne au loin et l’aire où nous sommes.

 

De pluviis commodis,

De volucribus, de floribus,

De sublimibus odoribus cogitans, ...

 

S’agissant de la proposition créative qu’un instant l’on réalise, l’idée de promenade musicale convient. On insistera en l’occurrence sur la formation syntaxique, entendue comme vecteur de prosodie. Un motif, dès l’abord, autour de quoi s’organise le champ sémantique selon le procès qu’instaure telle rythmique lexicale. Où le mot tient lieu de note. Un motif, ensuite, strictement contenu dans les limites de l’idée de promenade musicale et qui peut aussi constituer le cadre de cette promenade. Je pense à un chez soi avec vue sur le jardin que la nature érigea en montagne, un chez soi où l’on compose ; par conséquent, un motif non dénué de variations multiples, qu’augmentent les fragrances d’un tel jardin et, non loin, l’agrément de la mer – considérables sur le plan de l’alliance des climats.

 

 

 

II.

 

 

La personne écrit, compose, dans un cadre apprécié. Ce sont peut-être des chants. Où la structure des signes qu’une dynamique fondamentale, celle de la parole, s’entend dans les limites du rythme que sa plume convoque. Émergent alors les fragrances et l’ordre musical naturellement selon le cadre, l’action de la plume. Tel mouvement, inscrit dans telle durée, que l’on éprouvera avec satisfaction, à lire le procès. Au constat des hypothèses que la personne aura retenues ou non, à l’idée toujours justement considérée, dont elle aura avancé prémisses et conclusion autour du motif, avant de l’offrir sur le mode du développement poétique, nous poursuivrons la marche. Je songe là à une promenade musicale réalisée chez soi, parcourant l’étendue du jardin fleuri dans les limites d’un cadre dont mer et montagne constituent le motif.

 

 

 

Par effacement total. Être à soi. En d’autres termes, disponible à la moindre alarme afin d’y répondre présent – sur le champ. Je pense à une contrainte provenant de moi seul et non admise par le cadre. C’est, nul doute, une erreur, à rectifier sitôt l’alarme donnée ; soit un son manifeste qui prévient. De là reprendre la note à sa juste mesure et poursuivre la promenade sans crainte : « Cette note glissante inopportunément contraignait la marche, voilà tout. » Un laps de temps où la réflexion est suspendue afin de mieux intégrer la clef du motif, puis à nouveau fonder la promenade musicale sur la dynamique initiale, au-devant de soi. Où réapparaît le jardin fleuri aux dimensions de la montagne, jusqu’à son sommet, imprégnant ciel et mer de ses fragrances. Enfin, grâce à la dynamique de la promenade, de fait ininterrompue, concevoir le parfum, en termes d’absolu. À dominante, ce jour, des notes d’Ylang-ylang et de Kazanlik.

 

 

 

Facile concipio varietatem climatis

Constantem staterae naturae, ...

Une promenade libératrice convoquant la joie sereine d’un regard posé sur le jardin fleuri, lequel regard allie sonorités et harmonie à l’instant ; selon une marche que motive la dynamique du dire. Dire la beauté du monde, dire l’élégance de la Muse ô combien, qui inspire – au-devant de soi, eu égard au monument floral que nature érigea ; telle écriture grâce à laquelle la personne se réalise, en harmonie avec. Nulle autre proposition qu’être à soi-même intègre face au spectacle du bien commun à l’origine de notre bien-être – et pacifique, au pied de la montagne contemplant son trésor qu’augmentent les rythmes de la mer. Ce sont des chromatismes de senteurs dont les notes imprègnent nos plages, nos pages.

 

 

Cette dépendance au cadre est réelle. Né tard, le cadre oblige nécessairement. Toujours le motif qui s’y inscrit, dès notre premier regard, est un jardin fleuri que la montagne haute propose, aux fragrances rythmées par le chant de la mer et leurs notes en symbiose se posent lorsque la plume prend son envol. Des harmonies que la plume dessine, il ressort des variations autour du motif, à l’image de la promenade des nuages observable à tout moment et qui donne la pluie ou la neige. Par temps de pluie ou de neige, la plume retiendra les coloris nouveaux du jardin, du vert au bleu, par un effet d’alternance à quoi les chromatismes de la mer ajoutent. Au printemps comme en hiver, ma demeure, grâce à cet octroi de nature, est réflexion ou point d’incidence du lieu musical dont la plume est la révélatrice. Moi-même, dûment à ma place.

 

 

 

Ainsi le jardin fleuri est une constante. Soit le motif autour duquel s’organise telle page, par le fait de l’envol où je n’apparais pas. Moi-même seulement inscrit dans le cadre qui en constitue les limites strictes, présent à titre de témoin. Du reste, on m’inclut. La plume fixe l’ordre apparaissant. Il en ressort un phénomène notoire, celui de la promenade des nuages dont, grâce au principe de mimesis, la plume s’inspire, toujours entendu dans les limites strictes du cadre, en l’occurrence les parois transparentes du flacon contenant l’absolu de parfum – ou cette page – qu’elle proposa, puis pose. Obéissant à cette invitation honorifique de la plume, je m’applique à en saisir aujourd’hui les essences d’églantine, de bergamote et de jasmin lorsque sa ballade accomplie – fondée sur la combinaison de leurs notes respectives – colore et harmonise la page, imaginable comme le fruit de sa récolte aérienne ; soit de fleurs en fleurs.

 

 

Proinde libram temporum nostrorum, ...

 

 

III.

 

 

Placé, au-devant du jardin fleuri et selon un mouvement, ou une dynamique significative dont la plume est à l’origine, telle écriture. De fait, par mon appartenance au cadre à titre de témoin majeur, j’assiste aux paysages des saisons où la plume vaque, notant d’elle-même le fruit de ses envols depuis la mer longée par la plage jusqu’au sommet du jardin ornant la montagne élevée, autour de quoi s’épanchent les nuages sur le mode de la promenade. Il s’agit du motif acté sur la page que je découvre et lis dès son accomplissement, telle réalisation de la plume, à telle heure, en telle saison. Le motif, inchangé, doit se concevoir comme proposition où ne cristallisent que fragrances et couleurs du poème. Aussi, ai-je devant moi ce jour un bouquet de lilas. Ad probationem.

 

 

Outre l’enquête motivant de ma part mainte prise de notes, la vue m’octroie ce beau paysage, intact – qu’il pleuve ou qu’il neige. Sans doute est-ce un temps récréatif mais m’obligeant face à un parcours de plume qui favorise l’abstraction ; moi-même presque absent à l’idée de peindre. De fait, idée prégnante qui me comprend et m’inclut néanmoins lors du procès syntaxique, poétique. Période d’écriture au titre de quoi je n’interviens qu’en ma qualité de témoin majeur ; page élaborée rythmiquement par la dynamique de l’envol, grâce auquel se conçoit la transmutation du mot en entité musicale confondue au paysage floral et dont la conséquence induite sera un bouquet de saison. Maintenant la ballade s’organise autour d’un champ de tulipes sis près du bureau, lequel s’étend jusqu’au pied de la montagne haute ; champ aux chromatismes nombreux et variés qui éduque mon regard, me convainc de la pertinence d’une telle proposition – moi-même obéissant à sa nature infrangible – posant d’abord ce motif dans le cadre puis sur la page.

 

 

Le vecteur regard, quant à mes moments de pause entre deux dossiers constitutifs de l’enquête, fonde l’écriture du poème autant que la lecture des textes relatifs à la loi ou l’écriture d’ordre professionnel. J’observe devant la réalité du jardin fleuri imprégnant l’air et qui m’inspire. Quelques minutes vacantes dont je profite à midi ou le soir pour m’exprimer autrement qu’à mon habitude, ayant donc opté pour la prosodie ; choix complémentaire à l’ordonnance du métier et toujours par souci de réalisme. Soit ce jardin remarquable – par ses dimensions naturellement grandes – et dont s’orne la montagne, convenant à la mer. Tout le jour la mer et la montagne fleurie chantent le bonheur vers le ciel, qui leur propose des promenades, celles que dessinent les nuages. Enfin, ce Chœur réalise la transmutation du paysage en merveilleuses ballades – invitant parfois la plume.

 

 

Bene esse.

 

À la saison belle, où le Soleil sort fréquemment de son Palais pour dialoguer davantage avec la Terre autour de la gravité des choses et des Lois, les gens de la cité, des communes et des lieux-dits alentour se rendent sur la montagne afin de cueillir les fruits du jardin ; chacune et chacun selon les besoins de notre économie, sans jamais détériorer l’arbre ni le sol. La surveillance du jardin est par ailleurs strictement assurée. Depuis le bureau, lors j’entends aussi les voix de nos sœurs et frères qui vendent les fruits sur la place du marché, les rires de leurs enfants. Tout est de fait embelli des sujets graves autour desquels la Terre et le Soleil s’entretiennent, à la saison belle. L’air et les constellations sont naturellement invités autour de la Table des propositions et des démonstrations qui fonde la rencontre sublime. Je note : « Exclusif », « Absolument », « Sans appel ».

 

 

 

IV.

 

 

Je me définis par mon appartenance au cadre. Né tard, mon devoir est une obligation de gratitude envers les réalisatrices et réalisateurs dudit cadre, soit une nécessité. Ainsi, l’enquête à laquelle je participe sur invitation s’organise autour de textes anciens dont on me confia plusieurs fragments à traduire. Je m’achemine jour après jour vers la résolution d’un tel travail grâce à l’agrément du jardin fleuri qui se propose comme motif du cadre et me conduit au poème, tout autant qu’au plaisir de traduire les fragments, eux-mêmes constitutifs du poème qu’écrivit une dame au temps de l’âge de bronze. Retrouvant dans ses signes de lumière musicaux l’idée du jardin fleuri qu’un de nos rois jadis décida de lui offrir, je m’applique simplement à l’évoquer dans notre langue héritière des signes de la dame. Ce que je considère pour le moins de ma part un dû.

 

 

 

La traduction est un travail que je réalise au quotidien, sans effort mais grâce à la volonté naturelle à laquelle je m’emploie afin de me concentrer, donc de m’y consacrer pleinement. C’est aux moments de pause où je m’adonne à une écriture inspirée par un support différent, à savoir le jardin fleuri. Motif essentiel du cadre ajouré dans lequel je m’inscris, le regard s’y pose puis m’abstrait. Alors, la plume s’envole vers l’azur pour rejoindre la promenade des nuages. Dès son retour, ce sont les fragrances lumineuses animées par les rythmes de la mer qu’elle transporte, dont mon regard s’augmente, qui se proposent et vont au-devant de la page lui présenter leur nouveau paysage. Ce peut être le jardin sous la pluie, le jardin sous la neige ou à la belle saison ; chaque jour différent et chaque jour prégnant. Et la page est un bouquet de fleurs.

 

 

 

Nix, pluvia et sol manent gemmae caeli,

Sub quo sumus,

Sub quo agimus,

Sub quo vivimus ; ...

 

Libre, ce sentiment de liberté auquel s’associe celui du bien-être, est la condition de mon regard posé sur le jardin fleuri ; par conséquent de mes actes de langage. Ainsi de cette traduction que, chaque jour, implique de ma part la lecture puis l’interprétation de signes très anciens relatifs au champ musical dont une dame est l’autrice. L’idée de mouvement aquatique, à les découvrir dès l’abord quand on m’invita à me rendre dans la salle de notre grande bibliothèque où les fragments me furent présentés, porte le lecteur, que je suis avant tout, vers l’harmonie naturelle de la parole et chaque signe s’entend telle une note, à la fois musicale et florale. Fidèle à cette idée, l’abnégation m’obligeant, l’acte de traduire m’apparaît sans solution de continuité mais bien comme le cours d’eau, au-devant de quoi je vais, inscrit dans le prolongement de sa source – origine où la dame se tient, en effigie.

 

 

Ut sorores et fratres.

 

 

La découverte du premier fragment me situa dès l’abord dans le cadre, la structure temporelle, d’un dessein d’écriture votive saluant les saisons grâce à ses signes embellis d’où émane l’idée du jardin, lors déjà accompli – fait du grand amour d’un roi pour sa dame, la reine. Ce sont des fragrances sublimes à la vue de la montagne fleurie en l’occurrence décrite, que l’on m’invita à traduire. Et chaque fragment peut se concevoir tel un flacon d’absolu de parfum que la dame pensa en signes. Conscient d’être né tard, heureux de ma condition, je me consacre à l’instant. Bien des traductions, avant celle qui me fut proposée, inscrivent les textes dans la mémoire de notre cité, des générations qui s’y sont succédées depuis les origines. Ces ballades sont l’âme de la cité et, à l’image de la montagne fleurie près de la mer, instaurent l’harmonie, la paix, des saisons dans nos mœurs.

 

 

 

L’enquête se poursuit des mots très anciens à convertir en signes nouveaux et actuellement en usage. La traduction des Ballades à l’honneur de nos saisons progresse d’heure en heure, de jour en jour, dans la paix des sens, regard posé sur le texte ou parfois, à mes moments que je qualifierais de suspens, sur le jardin fleuri dont la montagne s’orne, saisissant là l’inspiration mais aussi le motif des ballades. Si bien que mon travail est d’abord une respiration, soit une promenade dans le jardin. Aux senteurs végétales et florales d’un chemin que la dame réalisa musicalement sur plusieurs rouleaux d’après sa contemplation de la montagne ornée, je vais. Toujours confiant en la nouveauté de la prosodie qu’elle organisa, je vais à pas de danse au rythme d’une ascension – à titre de témoin majeur – très scrupuleux eu égard aux signes que j’interprète et me fondant, pour ce faire, sur la preuve métalinguistique.

 

La montagne fleurie, ce jardin, favorise l’état de suspens qui convoque l’inspiration, soit tel moment crucial autour de quoi s’organise l’écriture. Où je puis également me laisser transporter vers le poème personnel à l’idée de la plume désireuse de poursuivre la ballade qu’instaura la dame sur le plan actuel du cadre, mais cadre inchangé au demeurant. Ce qui suscite le sentiment d’une polyphonie à deux voix ; moi-même, par abnégation totale, ne participant à leur duo qu’à titre de témoin majeur. Car il s’agit d’un choix de la plume et ses envols ne m’appartiennent pas. Dépendant du cadre, de ses variations multiples, parce que je suis né tard, je dois m’inscrire – aux ordres d’une parole nécessaire – dans cet état de choses Juris et de jure.  De fait lorsque mon travail de traduction reprend, c’est sans solution de continuité, fidèle que je suis en cela à mon statut de témoin majeur, donc me vouant à la seule Raison.

 

Quia simul regina et rex hoc iuramentum eis exigunt ...

 

V.

 

Où je retrouve le sens vrai des mots que je traduis, grâce à l’appui des recherches réalisées par mes prédécesseurs et consignées sur le mode métalinguistique dans des rouleaux mis à ma disposition. Un sens que je réactualise pour servir une majorité du lectorat fréquentant notre bibliothèque et ayant déjà pris connaissance des Ballades à l’honneur de nos saisons d’après les autres traductions, en d’autres langues anciennes ou plus récentes, que mes prédécesseurs proposèrent. Le cadre dans lequel j’exerce est précisément un bureau avec vue sur le jardin, sis à l’un des étages de notre bibliothèque. J’ai l’heur d’y travailler à intervalles réguliers tous les ans, lorsque ma direction me le suggère fermement ou me convoque de manière officielle, soit sous l’égide du Sceau. Je prêtai serment.

 

 

Et sicut lux caeli et lux terrae,

Regina et rex simul illuminant significationem coetus nominalis "personae",

Suae status ut subjecti coram Deo,

Iurium,

Officiorum suorum.

À ce stade de mon travail de traducteur, m’apparaît l’idée relative à la structure fondamentale de la ballade, il est vrai ancienne mais qu’en l’occurrence d’après cela écriture et lecture me conduisent à saisir le fait de l’interprétation ajourant par-delà les âges une technique qui se perpétue, l’idée du cadre où ne se révèle que le bonheur présent. Pourrais-je dire qu’une dame m’inspire ? Non. Mais son écriture. Je m’en tiens à mon statut, stricto sensu. Ballade n’est pas errance. Cette dame est de vertu grande, élue reine, aimée des Muses, aimée du roi, aimée du peuple, glorifiée. Mon travail est tout orienté sur les signes, simplement, absolument, desquels je m’emploie à identifier le domaine originel grâce à la ressource du métalangage. J’ignore de fait l’écho narcissique, l’insouciance. Je note surtout la présence manifeste, outre celle du texte, de la montagne fleurie que la dame célèbre à l’honneur de nos saisons, en d’autres termes du don merveilleux que son époux le roi lui fit, sur quoi il m’est accordé de poser mon regard. Et l’idée du cadre qui m’interroge au quotidien sur le plan sémantique s’harmonise au cadre institutionnel où je demeure affecté par ma direction, la grande bibliothèque.

Ma vue sur le jardin dont s’orne la montagne est une ressource dynamisant écriture et lecture. Le poème, à mes heures vacantes, demeure un plaisir que je m’autorise, précisément au spectacle d’un tel décor et qui s’augmente du chant de la mer. Reprenant les schèmes de la ballade, objet de ma tâche officielle d’interprète et à quoi je souscrivis sitôt l’invitation qui me fut faite par ma hiérarchie, là encore avec le plaisir non dissimulé de l’amoureux des mots que je m’avoue être, j’écris. Le motif autour duquel s’organise la ballade est toujours le sujet, pas seulement l’objet, de mainte variation musicale. Au-devant de lui va la plume, qui en établit après une proposition de paysage dont m’est donnée, à titre de témoin majeur, la lecture. C’est ainsi qu’entre l’interprétation de deux fragments, j’ai l’heur de pouvoir me situer dans un espace-temps à la fois identique à celui de leur composition originelle et comme transitoire.

 

 

C’est un rythme jussif. L’esprit de l’air, de l’eau et de la Terre convoquant les signes que la plume note sur les rouleaux dont je dispose officiellement. Le regard posé tantôt sur tel fragment, tantôt sur la montagne fleurie, la plume m’apparaît le lieu où cristallise l’esprit de l’air, de l’eau et de la Terre, apparition dans la perspective – toujours. S’ensuit l’acte en conscience du témoin majeur dont l’institution me confie les droits et les devoirs, statut répondant au critère de l’honnêteté. Outre le fait nécessaire de la pratique des langues, acquise par ailleurs depuis mon enfance, ce critère fonde mon engagement sous l’égide du Sceau. C’est une dynamique musicale que, dès l’abord, je puis observer à la lecture de ces fragments avant de m’en remettre à sa traduction, non sans le souci de la vérité sémantique, approchant au plus près, dans la mesure du possible, la structure de la syntaxe souhaitée et proposée par la dame. Démarche, au demeurant, qui fonde la notion d’enquête et m’oblige, puisqu’elle serait vaine hors des limites du cadre qu’intime cette notion.

 

 

Je note qu’arborant des couleurs différentes dans son écriture, la dame, souhaite représenter la montagne fleurie selon chaque saison, chromatismes que cette autrice lors perçoit en effet, car il est vrai qu’elle les composa sur la base de pigments végétaux et minéraux que ladite montagne fleurie offre. Les nuances varient du bleu vert au jaune doré et comblent d’après tel dessin, telle lettrine, qu’elle réalise, ce que de nos jours nous nommons les enluminures. De même que chacun de ses textes, telle une fleur, transporte le lecteur que je suis avant tout vers la saison évoquée et ce, dans l’ordre des fragrances, de même chaque mouvement constitutif de son œuvre peut se concevoir de fait comme un bouquet de saison, soit un flacon d’absolu de parfum dont les signes sont les notes de senteur. Ainsi, il m’apparaît que l’autrice fonde l’économie de ses ballades sur la grâce et l’idée du sublime, contenant les sensations dans le cadre strict du rythme jussif.

 

Hortum deinde immensum et mirabilem optavi,

Qui paulatim e caelo quasi suspensus esset

Et cuius sublimia aromata

Usque ad ambulationem nubium defluerent

Et regionem implerent ...

 

Né tard ; je veux dire né dans une civilisation constituée depuis plusieurs millénaires, je grandis par conséquent dans son cadre institutionnel, ses savoirs, ses lois. Mon travail d’interprète (hermeneuein) ne peut se concevoir sans l’idée du respect fondamental que je dois à nos Anciens et aux textes qui me furent confiés afin qu’ils puissent être à nouveau empruntés dans notre grande bibliothèque – et selon de nouveaux critères éditoriaux, notamment cette traduction à laquelle je m’emploie. L’objet texte a par ailleurs ceci d’intéressant qu’il établit des ponts d’une civilisation à l’autre, ou bien d’une période de l’Histoire de notre cité à une autre. Ce deuxième cas est celui d’après lequel j’officie, étant donné que l’autrice fut reine de notre cité mais aussi que notre montagne fleurie, c’est-à-dire l’immense jardin qui nous ravi, est un vœu réalisé – le vœu que Sa Majesté fit puis déclara au roi son époux et vœu auquel le roi acquiesça.  L’immense, merveilleux, jardin éclos à la lisière du ciel, de la promenade des nuages, et près de la mer, fait le bonheur nôtre depuis bientôt mille ans, le bonheur des habitants de la cité et de sa région. Cela est vrai.

 

 

 

 

VI.

 

Le bureau d’étude où nous sommes relativement nombreux à travailler est une partie annexe de la salle de lecture, sis dans la grande bibliothèque. Il donne, par une ouverture, directement sur la montagne fleurie. Autrement dit, mes heures s’accomplissent à la lumière du jour passant au travers de cette ouverture, une grande baie grillagée, pour être plus précis, et qu’ornent des longs rideaux de soie et coton azur, à la belle saison, de laine blanche à la saison des pluies et des neiges, toujours parfumés par les encens dont demeure servi l’air ambiant. Nos tables d’étude se trouvent disposées face au jour. Par surcroît, un meuble bibliothèque est placé contre le mur de cloison derrière quoi est une deuxième salle aussi spacieuse que celle où l’on m’affecta, éclairée par la même baie, où œuvre un autre groupe d’agents. Nous pouvons les uns et les autres nous concerter et circuler d’une salle à l’autre grâce à l’arche romane donnant l’accès. Ce meuble bibliothèque est notre ressource métalinguistique. Les traductions anciennes, les supports d’ordre définitoire, en constituent la majeure partie des rouleaux de papyrus rassemblés. Ensemble nous travaillons d’après les directives qui nous sont proposées par un maître, soit un spécialiste expérimenté dans notre domaine, celui de la traduction. La seizième heure de la journée s’affiche sur le cadran solaire fixé près dudit meuble. Il sera bientôt temps de quitter les lieux. Demain sera un nouveau jour, une étape nouvelle de l’enquête sémiotique.

 

 

 

Votum meum regis voluntate concessum est.

Et dixit ad me rex: “Iuste hortus iste erit hortus populi,

Quem servimus.”

Item populus serviebat

Per montem operarii ...

 

Je n’ajoute ni ne retranche rien du texte original. Il convient de raison d’assortir le signe, chaque signe, à la pensée qu’il détermine. La montagne fleurie est en l’occurrence perçue par l’autrice non seulement comme le ressort de son expression musicale – fait de la Muse, mais aussi comme un champ d’exploitation fruitière qui fournit une grande partie des réserves alimentaires satisfaisant les besoins des foyers de notre cité et de sa région, outre celle des cheptels paissant près du fleuve dans les verts pâturages, dont le pied de cet immense jardin est bordé – fait de l’économie et de la justice. Par conséquent, lorsque l’autrice considère les travailleurs de la montagne (montem operarii), elle désigne les cueilleurs et les éleveurs, tous exploitants de maintes parcelles inscrites dans les registres relevant du Code du Travail, du Code de Commerce et du Code Civil, vergers, plantations, domaines d’élevage. L’autrice considère l’ensemble de la population d’après le concept de Démocratie (Quem servimus), égalitaire et fraternel s’il en est.

 

​​

Et hic populus,

Qui venit et omnes mundi ambultiones constituit,,

Serviemus ei ...

De chacun des mots de l’autrice, je traduis tel signifié, sans nullement m’y projeter, en d’autres termes grâce au fait d’une abnégation que je veux totale, m’empêchant d’interpréter par excès ou par défaut. Je lis, saisis au besoin en m’aidant d’un ouvrage d’ordre métalinguistique, s’il m’arrive de douter sur un mot, une phrase, puis je transcris. À cet égard, l’acte de transcription me définit proprement – il m’institue véhicule soumis au rythme jussif que propose la dame écrivant. Dès lors prise à ce jeu musical inspiré par la montagne fleurie, la transcription se réalise privée de mon intermédiaire émotionnel, soit augmentée de mon expérience des mouvements de plume et je vais comme voguant parmi les chromatismes syllabiques et saisonniers d’une mélodie archétypale – celle de la promenade des nuages où s’associent les parfums sublimes que l’autrice ensuite transmue sur le mode du flacon textuel. Chaque fragment est ainsi concevable par les sens tel un flacon luxueux. La responsabilité m’incombe de n’en rien corrompre, de le livrer intact au lectorat (Serviemus ei). Car l’acte de transcription est un langage, c’est-à-dire un mode d’expression à part entière très structuré, avec ses codes, ses normes juridiques, son rythme, son silence franc et impérieux. Il revient à ma personne d’être digne d’un tel cadre, chaque jour, chaque heure, chaque instant.

 

 

Et mons floridus erit

Nobis locus inspirationis et laboris.

 

 

Sous-ordre du Sceau, j’écris, je transcris. Le cadre institutionnel m’oblige donc. Nous avons tous, nous nous devons tous aux échéances intimées par le cadre. Attendu que je suis né tard, dans la mouvance juridique préétablie, considérable, d’un tel cadre, je me dois de prendre la mesure de ma fonction sociale, qui repose sur l’écriture et ses lois ; ce qui ne m’empêche toutefois pas de me sentir libre quand je traduis ou bien quand j’écris des textes personnels. Ce sentiment de liberté est le propre de l’être de parole qui définit tout être humain. L’écriture demeure, sur ce point, à la fois un acte d’effacement de soi au profit d’un texte écrit par une autre personne – texte que l’on doit transcrire, et un mode d’épanouissement de soi – que l’on transcrive ou que l’on crée personnellement. La dimension de plaisir (Nobis locus inspirationis et laboris) ne lui est donc pas dissociable de fait, car elle en fonde le rythme – et le procès syntaxique a cours naturellement. La tâche est intraitable quant à une éventuelle erreur d’ordre phonétique ou sémantique et attend de ma part la rectification immédiate. L’esprit de Ballades à l’honneur de nos saisons détermine ma transcription et sa période jusqu’à l’échéance. Il propose en l’occurrence un leitmotiv, celui de la montagne fleurie (mons floridus), soit cet immense jardin nôtre dont la résonance s’inscrit dans l’ordre des sensations sur le mode de la note musicale ou de la fragrance. Je suis d’un mouvement qui m’octroie l’heur de m’épanouir au poème de Sa Majesté la Reine, le mouvement de la plume – qui m’institue personne affectée au titre du témoin majeur. Je m’en remets à l’instant.

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