

PUBLICATIONS XL
Récit fictionnel

JEAN-MICHEL TARTAYRE
LE JOURNAL D’ART JUNGLE
Inshore
Récit fictionnel
La sensation est idéale, toujours. Je veux parler en l’occurrence d’un événement vécu à l’initiative de ma supérieure, le Commandant du Bureau du Port, qui me sollicita pour que je participe à une compétition de hors-bords … J’entre aujourd’hui dans ma dernière semaine de livraisons auprès des quinze villages. Dès demain mardi, je reprends mon travail mais ce seront mes trois derniers jours hebdomadaires. Vendredi est à considérer comme le terme de ma mission dans le cadre du Programme Humanitaire. J’entre donc aujourd’hui dans la dernière semaine du mois de juin. Aujourd’hui lundi, tandis que nous revenions de chercher nos enfants à l’école, mon épouse et moi, le téléphone sonna. Il était près de 18 heures ; je décrochai :
« – Allô, Jungle. Votre Commandant. Passez me voir au Bureau demain à 7 AM. J’ai une information d’importance à vous communiquer.
– Bien, mon Commandant.
– À demain, Jungle. »
La conversation fut succincte. Après quoi, je me sentis le courage de reprendre le cours de mon Journal, avant d’aider mon épouse à préparer le dîner, du saumon à la purée de brocolis. Il m’est en effet difficile de ne pas écrire lorsque j’entends l’appel de mon carnet ou de la feuille blanche format A 4. Stylo à la main, j’ai l’impression que chacune de mes journées cristallisent davantage ainsi en notant leurs rythmes respectifs, car aucune journée ne ressemble à une autre. Tout l’intérêt d’en rédiger leur contenu réside dans le sentiment de bien-être que j’éprouve à dire le labeur et la satisfaction que l’expérience du labeur me procure. De fait, je ne distingue pas le labeur de l’écriture. La tribu où je naquis m’a éduqué selon les principes du rite initiatique, du travail aux champs et de l’école. Dès mon plus jeune âge, on m’apprit à lire et à entendre la nature d’après ces trois principes. Le Journal est donc pour moi un support où le labeur est roi, où le labeur a le statut d’une instance rythmique que fonde dans sa suprématie la Lumière de la Raison.
J’arrive aujourd’hui mardi au Bureau du Port. Il est 7 AM. Le Commandant O. est en train de parler avec l’un des secrétaires de l’Accueil. « Bonjour Jungle, comment va ? Montez. Deux minutes. J’arrive. » Je m’assois, le temps de regarder un peu la carte murale, près de la fenêtre, le Commandant O. est déjà là.
« – Voilà, Jungle … J’ai une info à vous communiquer. Vous finissez vendredi. En attendant votre nouvelle mission, je vous invite à vous inscrire à la compétition annuelle d’Inshore. Vous êtes un spécialiste. Nous aimerions tous vous voir remporter un des Prix. Qu’en pensez-vous ?
– Où a lieu la compétition cette année, mon Commandant ?
– Le plan d’eau est le même : le Lac de Y. Le tracé a très peu changé. Tenez, voici le flyer.
– Merci, mon Commandant. Ah, c’est dans trois semaines …
– Exact. Le temps que vous vous y concentriez un peu dessus. Vous savez où se trouve la salle du simulateur de pilotage.
– Oui. Je l’ai souvent pratiqué.
– Je sais. Cette année, c’est vous qui avez été désigné par la commission du Service des Sports, qui s’est réunie la semaine dernière. C’est loin d’être négligeable, Jungle. C’est officiel. Le Sergent T. a terminé quatrième l’an dernier. Essayez de faire mieux. Le Sergent est un excellent marin ; vous le savez, Jungle.
– Oui, il est sûr. Son travail est irréprochable. Outre qu’il effectue mes remplacements avec une rigueur exemplaire.
– Je vous le confirme, Jungle. Donc, je vous inscris auprès de la FFM ? Il me faut votre accord.
– C’est d’accord, mon Commandant.
– Voici. J'ai déjà rempli le formulaire de demande de licence. Vous signez là, s’il vous plaît … Merci.
– La Formula, mon Commandant ?
– Oui, la Formula 500. Elle est au Hangar 15. Passez jeudi, à 11 heures. Je vous y conduirai. Il y aura le Sergent T.
– Très bien, Commandant.
– Il est presque 8 heures. C’est l’heure de charger votre barque. 300 kilos pour les 5 villages, Lieutenant. On vous attend au département Logistique. Bonne journée.
– Merci. Bonne journée, mon Commandant. »
Ce mardi. 9 AM. Ma barque progresse au rythme de 30 coups de rame / minute. Je viens de desservir la première plateforme. Il pleut depuis une heure. Les gouttes du ciel tombent en un épais rideau qui couvre toute la région. L’impression est chromatique, comme une œuvre picturale. La forêt autour s’augmente de nuances bicolores, vertes et bleues, sous le manteau gris des nuages par un effet de contraste saisissant. La couverture aluminium qui étanchéifia les cantines à la proue propose ses reflets d’or. Elle supporte mon point de mire. La barque avance au gré des courants qui parcourent le grand fleuve, vers la deuxième plateforme. Mon arrivée est prévue à 9,30 AM. Je sais que l’on m’attend. Les débardeurs sont toujours fidèles à leur poste au moment du rendez-vous. Ce deuxième village est de ceux qui furent les plus touchés par la tempête. Le village de M. … Néanmoins, les efforts fournis par tous ses habitants sont dignes des plus beaux exploits si l’on considère la vitesse à laquelle leurs travaux de réfection furent réalisés. C’est le dernier jour que je m’y rends dans le cadre de la mission humanitaire. J’y fus accueilli comme un prince toutes les fois que le devoir m’invitait à accoster son quai ; peut-être parce que c’est mon village natal. Dès que je le pouvais, j’allai aider les membres de ma famille et les personnes en difficulté à réparer les dégâts dont tous furent victimes, je participai au chantier. C’est ici que j’ai grandi. Rive gauche, à un demi mille, j’aperçois maintenant la plateforme. Trois personnes sont là présentes ; les mêmes auprès de qui je vais livrer les 60 kg de nourriture. Nous nous saluons, nous nous entretenons autour des dernières nouvelles. Je suis heureux de les retrouver, toujours. Et toujours, sans excès d’émotion. Une joie simple, la joie qui nous réunit lors de chacune de mes visites sur les lieux où l’on m’éduqua. J’ai appris très tôt à l’école de mon village que cette école était d’abord l’école de la vie, soit le cadre de mon existence future, celle qui est la mienne aujourd’hui. J’ai appris les valeurs humaines grâce à la pratique du sport et des sciences. J’ai appris à cultiver les champs, à nourrir les bêtes, à construire les bâtiments. J’ai appris à écouter et à m’exprimer dans le respect de la personne et de la nature. J’ai grandi, comme tous mes camarades, dans la crainte absolue de Dieu et le respect de la Femme, conscient de la sentence « Je suis jugé, je serai jugé. » Cette période de mon enfance et de mon adolescence fonde mon engagement au service des autres, au service de notre patrie. Si ce soir, avant que je m’endorme auprès de mon épouse, je consacre cet épisode de ma journée du mardi à la desserte du deuxième village, c’est parce qu’il représente un moment privilégié dans l’accomplissement de ma mission ; à la fois un départ et un retour, non dénués de nostalgie. J’entends encore, en rédigeant ces lignes, les paroles de mes trois amis qui me saluèrent lorsque je repris ma route sur le grand fleuve pour livrer la troisième plateforme, le troisième village. Ils m’aidèrent à détacher l’amarre puis me dirent d’une seule voix, formidables :
« Hasta pronto Artemus. Nos volveremos a encontrar en el Inshore. No lo olvide, teniente: aquí aprendiste a navegar. Veremos qué recuerdas. Cuente con nosotros para ayudarle a avanzar en el lago. ¡Ey! También tenemos nuestras máquinas para eso. Al igual que nosotros, conoces el espíritu del juego. ¡Ey! No tengas miedo de alinearte con nosotros desde el principio. ¡Hasta pronto, teniente Jungle! »
Il est 21 heures, ce soir du mercredi. Je viens de desservir les cinq villages inscrits sur ma liste de livraisons pour la dernière fois. Restent les cinq derniers, auprès desquels je me rendrai vendredi. Mon épouse nous a préparé, à nos enfants et moi, un plat de noix de Saint Jacques aux poireaux, délicieux au demeurant. Après quoi nous avons accompagné, elle et moi, nos enfants dans leurs chambres respectives. Ils dorment du doux sommeil de la merveille, mon épouse leur lisant toujours avant de les embrasser un conte de Perrault ou des Frères Grimm, ou encore un joli poème illustré de la Collection Jeunesse. Elle me rejoint devant la télé. Nous regardons une série policière américaine. À 22 heures, tandis qu’elle monte se coucher, je vais au bureau poursuivre la rédaction de mon journal. Au fil des mots qui se succèdent sur la feuille format A4, des moments de ma journée surgissent ; ainsi ceux que je suis en train d’écrire et que je n’ai aucun scrupule à écrire, dans la mesure où ils demeurent le gage de ma sincérité. Mon Journal n’admet jamais le mensonge. Il a le double statut d’un confident et d’un juge. « Quelle heure est-il, Artemus ? » semble-t-il me demander. 22 heures 10. La journée de ce mercredi fut pluvieuse. J’avais bâché mon package et je m’étais couvert du manteau treillis. Tous les débardeurs m’ont souhaité une bonne santé et le meilleur pour les prochains jours. Vendredi, je prendrai le hors-bord de fonction pour récupérer les cantines à l’heure convenue sur les quinze plateformes. Je commencerai par livrer les cinq derniers villages et j’y repasserai en dernier lieu, sur le chemin du retour, après avoir fait le ramassage des deux autres packages, soit des dix cantines vides. Aujourd’hui est un jour heureux parce que les débardeurs des cinq plateformes m’ont promis vendredi ce qu’il nomme : « Le Jour festif » ; sans hésiter, j’ai répondu à leur invitation. « Pour te remercier, Lieutenant … » m’ont-ils dit. Je sais leur franchise et leur générosité. « Nos enfants t’ont fait un cadeau. Tu viens prendre le thé, Lieutenant ! » C’est pour moi un moment sacré qu’ils m’ont fait partager. J’y serai vendredi. Il me restera trois semaines, à compter de samedi, pour m’entraîner dans la perspective de la compétition de Inshore. J’espère être digne du Sergent T. et de sa quatrième place l’an dernier. Le Inshore, j’en ai une expérience certaine, doit s’entendre en termes de « tranquillité aérienne et aquatique » ; je veux dire que le pilotage d’une Formula nécessite de bonnes conditions climatiques. Fin juillet, normalement il fait beau. Je n’ai pas peur.
Jeudi. Nous nous levons, mon épouse et moi. Il est 7 heures. Je nettoie le sol du séjour, de la cuisine, et dépoussière un peu. Nous allons réveiller les enfants. Nous prenons le petit-déjeuner tous ensemble. À 9 AM, je dois être au Secteur BFG. Après la toilette, mon épouse et nos enfants m’embrassent. Il est 8 heures. « Je les accompagne à l’école. À tout à l’heure. », me dit-elle. Quand, à mon tour, je quitte notre foyer, il est 8 H 45. J’entre à l’Accueil de la Brigade et salue notre secrétaire. Je passe les deux heures effectives dans mon bureau à consulter plusieurs dossiers, notamment les dossiers relatifs à l’affaire des vols en série, précédemment relatée et consacrée à cet homme vertueux qu’est « L’Homme du Mas ». Le Capitaine H. entre alors :
« – Bonjour, Jungle.
– Bonjour, mon Capitaine.
– Je vois que vous avez lu. Je les ai déposés hier sur votre bureau.
– Oui, mon Capitaine. Le procès est en cours.
– Nous verrons bien. À samedi, Lieutenant. »
11 AM. J’entre au Bureau du Port. Le Commandant me reçoit. « Bonjour Jungle. On y va. Le Sergent T. nous attend. » Direction le Hangar 15. J’y rencontre le Sergent T. devant la Formula 500. « Vous verrez, mon Lieutenant. C’est une belle mécanique. 400 ch. Vitesse de pointe : plus de 250 km / h., plus exactement 150, voire 160 MPH. » Nous nous entretenons tous les trois à propos du déroulement de la course. Le Sergent T. nous fait part de son expérience du parcours des années précédentes.
« – L’an dernier, le tracé était différent de celui de cette année. J’ai participé à dix courses de Inshore. L’an dernier, comme cette année, le Lac de Y. est le lieu de la Qualification. J’ai manqué le podium de 2 secondes. Je vous souhaite le meilleur, mon Lieutenant. Vous pouvez faire confiance aux techniciens de notre écurie.
– Je vous le confirme, Jungle.
– Je vous remercie, mon Commandant. Sergent, je vous remercie pour vos précieux conseils.
– Revenez mardi, Jungle. Vous entrez maintenant dans votre période de préparation à la course. C'est intensif. Le Sergent T. vous présentera le simulateur de F1.
– Je vous proposerai aussi de courir, mon Lieutenant. Au moins 3 fois la semaine.
– Très bien, Sergent. À mardi, mon Commandant. À mardi, Sergent. »
À 12 H 10, je rentre et prépare le repas ; un risotto au poulet et aux champignons. Mon épouse arrive de l’hôpital à 12 H 30. Nous déjeunons puis allons passer l’après-midi en ville pour faire des courses et nous promener le long de la grande plage avant d’aller chercher nos enfants à l’école. Je reprends le cours de mon Journal, le soir. Il est 21 heures. Mon épouse joue au piano, Summertime. J’écris, en l’écoutant, ce court poème :
Où les vagues loin, vers la plage,
Proposent leur douce musique,
Elle, composant mainte page,
Transcrit la note romantique.
Vendredi, 21 heures. Je suis au bureau et je reprends l’écriture de mon Journal, cet ensemble qui ne représente somme toute que l’expérience d’un homme, moi-même en l’occurrence, Artemus Jungle. Il constitue une structure autonome que composent des moments notés d’abord sur mon carnet, très souvent, puis rédigés. Ces moments sont moins précieux que pratiques, au sens rationnel du terme. Ils me permettent de me retrouver et participent de l’organisation de mes journées. En écrivant, je puis ainsi prévoir, donc planifier, mon emploi du temps de façon personnelle ; y voir plus clair dans le cours de mes actions et gérer plus efficacement l’emploi du temps officiel, celui qui m’est ordonné. Je suis sous les ordres, je ne l’oublie jamais. Noter, rédiger, sont des actions complétant d’autres actions, celles que je réalise au service de mon pays, la France, et du Corps d’Armée où l’on m’affecta. Aujourd’hui, j’ai devant moi les dessins des enfants des deux Tribus où j’eus l’heur d’être invité à prendre un thé pour célébrer la fin des jours difficiles qui suivirent l’épisode de la tempête. Les habitants des cinq villages s’étaient réunis à cette occasion du « Jour Festif » dans le plus grand d’entre eux, qui est déjà une petite ville, le village de N., associé à la troisième plateforme dans le cadre de ma mission. Je m’y suis rendu au terme du ramassage des cantines. Aujourd’hui, ma mission est arrivée à son terme. C’est, dans notre région, la fin du Programme Humanitaire consacré aux sinistrés de la tempête. Plusieurs enfants issus de ces deux Tribus m’ont donc offert, à l’initiative de leur professeure, des dessins colorés au crayon, à la gouache, quatre au total. Ces dessins, ces peintures, s’inscrivent dans le cadre d’une séquence de paysages chromatiques variant selon la lumière du ciel.
Le premier tableau représente « L’Aube Bleue », le deuxième « Le Midi et son Soleil au Zénith », le troisième représente « Le Crépuscule du Soir et son coucher de Soleil sur le Grand Fleuve et la Forêt », en hommage à l’illustre poète Charles Baudelaire ; enfin, le quatrième tableau figure « La Nuit étoilée et ornée de la Lune d’Argent en sa phase ascendante », en hommage au génie de Vincent Van Gogh. Ce sont des merveilles qui illuminent, avec les œuvres de nos enfants, de mon épouse et moi la rédaction. Mon épouse, en le voyant, a identifié cette création de « Trésor Naïf ». « Tu devrais poser ce Quadriptyque sur notre bureau, Art. C’est un Trésor Naïf, ton cadeau. Il complètera, à juste titre, les tableaux de nos enfants. Oui, c’est à mettre en valeur auprès de la création considérable de nos enfants. » Quelques minutes après qu’elle me dit sa critique, élogieuse, avisée, nos enfants arrivèrent avec, chacune, chacun, leurs propres peintures et vinrent nous les offrir. À la merveille s’ajoutait la merveille. La séquence de nos enfants figure « La Forêt qui chante pour le Ciel et le Grand Fleuve » ; c’est le titre qu’ils ont donné à leur création. L’Arc-en-Ciel s’élève haut dans le Ciel, au-dessus de la canopée verdoyante et massive, telle la gemme. Le Grand Fleuve danse en costume d’or et d’argent, tandis que la Lune et le Soleil se tiennent la main, heureuse, heureux, enchantés par la mélodie de l’air turquoise, parmi la promenade des nuages qui leur offre mille bouquets de notes en forme de fleurs.
Samedi. 8 AM. Secteur BFG. Le Capitaine H. me reçoit dans son bureau :
« Bonjour, Jungle. Vous venez avec moi. Nous allons patrouiller. Le zodiac de l’Unité est en place sur le quai 4. Vous démarrez les moteurs ? J’arrive. » À bord, je déverrouille les deux Mercury, les place en position de marche, puis démarre. Le ronflement du bateau est très silencieux et dénote une grande puissance de progression sur l’eau. Je mets mon gilet, mes lunettes de Soleil également, car il fait beau aujourd’hui. Le Capitaine H. monte à son tour.
« – On y va, Jungle. Il est 8,30 AM. Direction la zone Ouest, à 10 milles. Ici. Voyez sur le traceur ?
– Oui, le Port de L., mon Capitaine. La région des Lacs.
– C’est cela, Lieutenant. On est parti. »
Je détache les amarres et mène le bateau dans le port à vitesse réduite. Après la lagune, j’augmente légèrement la vitesse, jusqu’à 10 nœuds. Il y a d’autres embarcations ; les pêcheurs sont relativement nombreux à circuler sur le fleuve. Plus rarement, on note les passages de yachts. De fait, ce sont surtout des chalands qui croisent ici.
« – Nous déjeunerons au Port, Lieutenant. Nous y ferons une pause de deux heures. J’ai à m’entretenir avec le Capitaine U. à propos de l’organisation de la course.
– La course, mon Capitaine ?
– Je sais que vous êtes au courant, Jungle. Je sais même que vous êtes inscrit sur la liste des concurrents alignés au départ.
– La course de F1 Motonautiques, Capitaine …
– Exactement. Elle draine déjà de nombreux visiteurs et amateurs partout dans la région. C’est l’occasion pour nous de surveiller les nombreuses allées et venues, de réguler le trafic qui ne va cesser de croître jusqu’au premier jour de l’épreuve. »
Nous accostons le quai 6 du Port de L. en moins de quarante minutes. La marina est en train de débuter les activités du jour. De nombreux commerces sont déjà ouverts. Les bateaux de pêche, les péniches, arrivent au port ou le quittent. « Nous avons rendez-vous à 9,30 AM à la Capitainerie, Jungle. Dans un quart d’heure. Je vous offre un café. »
9,30 AM. Nous nous présentons, le Capitaine H. et moi, à l’accueil du bâtiment administratif, la Capitainerie du Port de L. Nous déclinons notre identité à la demande de la secrétaire. « Le Capitaine U. vous recevra dans un quart d’heure. Veuillez vous asseoir en attendant. Je le préviens. » Au terme d’une vingtaine de minutes, le Capitaine U. nous invite à entrer dans son bureau, après avoir salué la personne avec laquelle il s’est entretenu précédemment.
« – Bonjour, Capitaine H.
– Bonjour cher collègue. Je vous présente le Lieutenant Artemus Jungle, mon coéquipier.
– Lieutenant Jungle …
– Bonjour, mon Capitaine.
– Je vous en prie, asseyez-vous … Donc, Capitaine H., récapitulons. Vous venez dans le cadre de l’organisation de la course de Inshore. Elle a lieu dans trois semaines, si je ne m’abuse.
– Exactement, Capitaine U. Le Commandant en Chef souhaite que tout se déroule dans le respect des Lois de la Navigation et de la Circulation Routière, afin d’éviter tout débordement. Nous devons sanctionner la moindre infraction aux codes.
– J’entends, chère collègue. Nous envoyons deux à quatre patrouilles régulièrement pour effectuer des missions de surveillance aux abords du Lac de Y. La compétition se déroulera à guichet fermé. Nous le savons depuis une semaine déjà. Les réservations sont closes. Il est vrai, les gens sont nombreux à circuler et à avoir retenu leurs places respectives dans les gradins. La plupart des hôtels de la région affichent complet, à ce jour. C’est une compétition qualificative, vous le savez, n’est-ce pas ?
– Oui, cher collègue. Nous le savons. Il s’agit de la qualification pour le Championnat du Monde. Le Lieutenant Jungle, ici présent, y participe.
– Recevez tous mes encouragements, Lieutenant.
– Je vous remercie, mon Capitaine.
– Dès demain, Capitaine H., soyez sûre que nous ne manquerons pas de multiplier les missions de surveillance et les contrôles, sur le fleuve et sur la route.
– Très bien, cher collègue. Nous nous occupons de la surveillance du fleuve dans la zone de K., quant à nous. Celles de L. et de Y. vous reviennent logiquement, puisque ces deux zones relèvent de votre circonscription.
– Tout à fait. Le Lac de Y. est près d’ici, à trois milles. Comptez sur notre Brigade pour assurer la vigilance nécessaire. Autre chose ?
– Oui, Capitaine U. Dans deux semaines, soit une semaine avant cette épreuve de la Qualification, nous devons, vous et moi, être assurés de la présence des sociétés de Vigiles inscrites dans nos zones respectives. Deux entreprises suffiront. La sécurité sur place doit obligatoirement être maintenue deux jours avant la course et deux jours après, le temps que chaque écurie installe puis range son stand, outre le transport de la Formula et la période des essais qui nécessitent une surveillance accrue.
– Très bien, Capitaine H. Ce sera fait. Je préviens nos services de Sécurité dès aujourd’hui.
– Parfait. Je remettrai le rapport de notre entretien de ce jour à notre Commandant en Chef, le Général E. Vous avez tout noté, Lieutenant ?
– Affirmatif, mon Capitaine. J’ai tout noté.
– Rien ne doit être négligé, en effet, Capitaine H. Soyez sûre, encore une fois, de mon obligeance.
– Je vous remercie, Capitaine U.
– Capitaine H., Lieutenant Jungle, je vous en prie. »
Nous sortons de la Capitainerie avec le sentiment du devoir accompli ; le Capitaine H., satisfaite d’avoir été écoutée, comprise, sur chacun des axes de l’Ordre du Jour, moi, confiant quant à ma prise de notes, prête à être rédigée et tapée dans la perspective de remettre ce rapport à notre Commandant en Chef.
Dimanche. 8 AM. Il pleut à nouveau. Je me rends à la Brigade et tape le rapport d’après les notes prises hier à la Capitainerie du Port de L. 9 AM., je me présente à la porte du bureau du Capitaine H.
« – Entrez Jungle … Asseyez-vous.
– Je viens de taper le rapport de votre entretien avec le Capitaine U, mon Capitaine.
– Bien … Merci. Je le lis puis, après correction, si besoin est, je vous adresse la copie. J’en ferai quatre exemplaires, dont un à l’intention du Général pour qu’il ratifie la Convention. J’en adresserai un exemplaire, en priorité, au Capitaine U., sitôt que j’aurai relu votre tapuscrit, pour signature. La semaine prochaine, tous nos services doivent être prévenus de l’événement et des impératifs qu’il conditionne dans les différentes zones de la région. Le quadrillage préventif doit être parfait. Vous êtes, à ce propos, concerné au premier chef, Jungle, puisque vous vous présentez sur la ligne de départ.
– Oui, mon Capitaine.
– Comment vous sentez-vous ? Je veux dire, est-ce que vous vous y préparez ?
– Affirmatif, mon Capitaine. Je bénéficie du Programme d’Entraînement Intensif qui me fut ordonné de suivre après mon inscription. Le Commandant O. a organisé mon nouvel emploi du temps sur cette période de 3 semaines. Le Sergent T., instructeur dans notre Régiment, s’est proposé de me suivre dans le cadre de 3 séquences relatives à la préparation de cette épreuve.
– Bien. De mon côté, je suis prête à vous céder quelques heures afin que vous puissiez parfaire ladite préparation. N’hésitez pas, Jungle. Des questions ?
– Non. Je vous remercie pour votre gratitude, mon Capitaine. Je n’hésiterai pas à vous demander une autorisation.
– C’est à titre dérogatoire, évidemment, Jungle. Vous me le dites et je vous fais signer la demande. Bonne journée, Lieutenant.
– Merci, mon Capitaine. Bonne journée. »
Au sortir du Secteur BFG, j’ai le sentiment heureux de pouvoir consacrer mes journées à venir aux séances d’entraînement. Il est 11,30 AM quand je rentre. Je prépare du riz au pesto et, en entrée, des nems. Nous mettons la table, nos enfants et moi. Mon épouse vient de terminer sa nuit de garde. Il est Midi trente quand elle ouvre la porte de notre appartement. Je lui demande si elle n’est pas trop fatiguée.
« Non. », me répond-elle. L’après-midi sera tranquille. Il est 15 heures, quand je reprends l’écriture de mon Journal. « Art, tu n’oublies pas que nous sommes invités, avec les enfants. Il y a une heure de route. J’ai dit à A. et à D. que nous arriverions vers 17 heures. », me rappelle mon épouse. Nous sommes en effet invités chez une de ses amies, et confrère. J’interromps là ma rédaction pour aujourd’hui. « Tu prends un bon cru, Art, s’il te plaît. », ajoute-elle avant que nous partions. J’avais l’idée d’un poème. Je l’écrirai un autre jour avant de le lui soumettre, car mon épouse est intraitable en matière d’honnêteté. Tandis qu’elle commence à descendre avec nos enfants, je verse des croquettes dans la gamelle du chat, prends un château Cheval Blanc Saint-Émilion dans le cellier et ferme la porte.

Lundi. 7 AM. Nous nous levons, mon épouse et moi, pour réveiller nos enfants et les accompagner à l’école. C’est leur dernière semaine de cours, avant les grandes vacances. Quand nous revenons à l’appartement, la sonnerie du téléphone retentit. Mon épouse répond. Après avoir raccroché, elle m’informe que son club de danse a besoin de sa présence aujourd’hui pour donner la séance. « C’est exceptionnel, me dit-elle. Ma collègue ne peut pas donner son cours du lundi. Je dois la remplacer. Je serai de retour à midi. » Mon épouse, en effet, donne des cours de Flamenco, l’après-midi, deux fois par semaine ; le mardi et le vendredi. Je lui réponds : « C’est bien. Je vais faire le ménage, nettoyer un peu l’appartement et puis lire ou écrire, en attendant que tu reviennes. » Il est 8 AM, quand mon épouse quitte notre foyer pour donner son cours de danse. Je passe alors l’aspirateur et le balai-éponge sur le sol carrelé de notre appartement ; je nettoie les sanitaires, les éviers, puis remplis les gamelles du chat, l’une d’eau, l’autre de croquettes. Je prépare un gigot d’agneau. Après quoi, je me mets au bureau et prends une feuille format A4, poursuivant de la sorte l’écriture de mon Journal. J’ai l’idée d’un poème qui se présente à nouveau à mon esprit, celle d’hier, juste avant que mon épouse ne me rappelle que nous étions invités chez l’une de ses confrères et amie. Cette idée du poème, je ne la maîtrise au fond pas ; il serait de ma part malvenu d’affirmer que je maîtrise l’idée du poème. Il s’agit du contraire : c’est l’idée du poème qui me maîtrise.
À LA FAVEUR DE LA MODE FÉMININE
Un manteau de gemmes dont elle est éprise
Lui conçois mais sans dessus m’y projeter,
Car évidemment l’ordre est de l’entreprise,
Qui édicta les lois. « Il faut l’acheter.
Un joyau certes, prévu contre la crise
De surcroît – et tout le reste est à jeter !
Un joyau donc, échappant à toute emprise. »,
Gronda la Muse. « Et l’on doit s’épousseter. »,
Ajouta-t-elle, évoquant là les excès
D’émotions personnelles qui tachent l’œuvre
Au nom de quoi l’entreprise s’investit ;
Entreprise où donc l’écho n’a pas accès,
Puisque sa force immuable est un chef-d’œuvre
Que fondent les grands piliers de l’Interdit.
Il est bientôt midi. Mon épouse ne va pas tarder. Je sors le gigot et les flageolets de la marmite, après avoir terminé mon écriture. Je reprendrai mon Journal plus tard. La voici qui rentre. J’entends la porte, qu’elle ouvre puis qu’elle referme. J’ai mis la table. « Ça sent bon, Art. », me dit-elle. Au moment du café, je lui demande si elle souhaiterait lire mon dernier poème, composé ce matin. Elle me donne son accord. Je vais au bureau et lui soumets le poème. Je la connais pour être un juge intraitable en matière d’honnêteté.
« – …
– Tu en penses quoi ?
– …
– …
– Oui, pardon. C’est sur la mode …
– Exactement.
– Je songe à la soirée d’hier.
– Sans doute, elle m’a inspiré.
– Oui. Cette soirée semble t’avoir inspiré. C’est assez heureux. La prosodie se tient.
– Je te remercie.
– Quelle heure est-il, Art ? Tu me fais penser qu’il faut que je l’appelle, que j’appelle A. Je lui ai promis, en partant hier de chez eux, que je l’appellerais. Tu es d’accord pour que nous les invitions la semaine prochaine ? Les enfants seront en vacances.
– Aucun problème. Bien sûr.
– Jeudi soir prochain, Art ?
– C’est très bien, mon Amour.
– Parfait. »
Son appel terminé, nous sortons tous les deux au centre-ville pour voir un spectacle à l’Opéra de K.
Mardi. 8 AM. Je me rends au Bureau du Port. Le Commandant O. m’informe que le Sergent T. m’attend au stade pour une première séance d’entraînement. « Toute la journée. », me précise-t-elle. « Il en sera de même mercredi et vendredi durant ces trois semaines avant la qualif. », ajoute-t-elle. J’arrive au stade, salue le Sergent T. et passe par les vestiaires pour me mettre en tenue. « On y va, Lieutenant. 20 km, en footing + quelques séries de fractionnés. » me dit le Sergent. Nous partons. Après 5 tours de stade, soit 2 km, nous empruntons la piste cyclable à travers la forêt, jusqu’à la plage. Nous passons au préalable dans la zone militaire du port, puis gagnons la grande plage qui longe le littoral sur plus d’une cinquantaine de kilomètres. Il fait beau, par chance, aujourd’hui. Je cours au rythme imposé par le Sergent T., à raison de 12 km / h, rythme intense pour ce début d’entraînement, mais que je supporte. Je ne pense pas. Je m’oublie, moi et mon inquiétude, moi et mes dérisoires soucis. Je n’entends que l’harmonie des vagues de l’océan et, à peine, le souffle de ma respiration. Mon corps devient de plus en plus léger, au fur et à mesure de notre progression sur le sable. Le Sergent T. est un athlète professionnel qui enseigne. J’ai entièrement confiance en lui. Il sait ce qu’il fait. Vainqueur de nombreuses courses de Formule 1 motonautique, il est en outre un artiste martial et un parfait marin. Il a une expérience du terrain exceptionnelle. Nous sommes en train de courir maintenant au pied de l’immense falaise de calcaire et de craie, après notre passage le long de la dune. J’ai conscience de ma petitesse au regard de cette étendue rocheuse qui se tient face à l’horizon depuis plusieurs millénaires. Notre course aller arrive à son terme quand, au moment où je prends la mesure de ma condition au sein de la nature, le Sergent m’avise que nous sommes déjà au dixième kilomètre. « Allez, mon Lieutenant, nous retournons à partir d’ici. Restent 10 kilomètres jusqu’au stade. » Nous entrons dans le stade, sur la piste en tartan et, à la fin des cinq tours, le Sergent T., tandis que nous marchons en relâchant nos muscles, m’informe, ce après avoir regardé sa montre-chronomètre, que nous avons couru la distance en 1 H 40. Je suis satisfait. Le Sergent me félicite.
« – C’est bien, Lieutenant. Même chose demain et vendredi. Même chose, durant les deux autres semaines à venir.
– Oui. On se retrouve cet après-midi ?
– Cet après-midi, Lieutenant. Exactement. Secteur BFG. Le Bâtiment N. Pour deux heures de simulateur F1.
– OK. Merci Sergent.
– À tout à l’heure, Lieutenant. 14 heures. »
Après déjeuner, je me présente à l’Accueil du Bâtiment N, Secteur BFG. Il est 13 H 45. C’est le Capitaine H. qui me reçoit.
« – La porte est ouverte, Jungle. Le Sergent est déjà sur les lieux. Porte N 101. À votre droite, au milieu du couloir.
– Je vous remercie, mon Capitaine.
– Avec plaisir, Lieutenant. »
J’avoue que c’est pour moi une surprise de rencontrer le Capitaine H. à l’Accueil. Mais je sais que, par ailleurs, elle suit de très près mon Programme de Préparation à la compétition régionale au titre de codirigeante du Secteur 3 avec le Commandant O. « Entrez, mon Lieutenant. », me dit le Sergent T. quand j’ai frappé à la porte N 101. Je découvre dès lors un immense paysage en couleurs représentant un plan d’eau ; c’est ma toute première impression. La salle autour reste obscure. « Asseyez-vous dans le cockpit, Lieutenant Jungle. S’il vous plaît. » Je ne reconnais pas cette voix. À la gauche du Sergent T., se trouve une dame en blouse blanche. « Je me présente, Lieutenant. Colonel J., médecin cardiologue du Secteur 3. Laissez-vous faire. Vous prenez le volant. Ne bougez pas … Voilà. » De fait, je constate que le Colonel J. m’a placé des électrodes au niveau de la poitrine.
« Vous allez subir un test, Lieutenant Jungle. Dès que le Sergent T. aura mis la machine en route, vous devez simplement piloter, comme vous avez l’habitude de faire dans la réalité. C’est votre métier. Attention toutefois, il s’agit d’un simulateur de F1. Mais vous êtes déjà informé … Oui, allez-y Sergent. » Ça démarre. Le paysage bouge alors ; j’entends très bien le ronflement de la Formula 500. Le paysage tangue. Je n’ai pas encore véritablement démarré en tant que pilote. Ma Formula est derrière un bateau pilote. J’attends le drapeau vert. Je teste l’accélérateur, sans débrayer. C’est un moteur d’avion que j’ai derrière moi. Je regarde les concurrents, à droite, à gauche, sur la ligne de départ. Le parcours s’affiche sur le traceur de carte marine du tableau de bord. Il est sinueux. 7 bouées au total sur un tour de 3,790364 milles nautiques, soit 6100 mètres, dont une ligne droite de 2 milles. Je respire. J’inspire, j’expire, calmement, l’œil rivé sur le compas numérique. Le drapeau du départ est le vert. Je pars. En 3 secondes, la F1 atteint 100 MPH. Je suis second. 80 MPH, bouée à gauche, virage à 45° Ouest. Je le passe à la corde, mais reste second. La suite du parcours est sinueuse. Trois chicanes successives. Je maintiens la vitesse entre 60 et 80 MPH. Mon régime moteur doit demeurer idéal. Quand j’arrive à l’entrée de la ligne droite de 2 milles, j’accélère au maximum pour atteindre, dès 0,5 mille, la vitesse de 150 MPH. La pression est forte. J’ai la sensation d’être au-dessus de la surface du plan d’eau. C’est réellement le cas. Le carénage du hors-bord ne fait qu’effleurer par moments cette surface mouvante. Je me sens bien. J’ai conscience du risque majeur néanmoins et surveille la direction et la force du vent sur l’anémographe numérique. Les conditions sont en l’occurrence favorables pour que je maintienne cette vitesse. À la fin de la ligne droite, la courbe est à 180° Sud. Je ralentis avant, à 50 MPH. Ça passe. J’accélère jusqu’à la ligne d’arrivée. Je reste second. Le paysage s’immobilise. Le Colonel J. me dit alors : « C’est bien, Lieutenant Jungle. Ça ira pour aujourd’hui. » Les tests sont bons. Le Sergent T. m’accompagne jusqu’à la porte.
« – À demain, mon Lieutenant.
– À demain, Sergent. Je vous remercie. »
Mercredi. Le Sergent T. m’attend au stade. 8,30 AM. Nous courons les 20 km, en empruntant le même parcours qu’hier.
« – Même chrono qu’hier, Lieutenant. On se retrouve à 14 heures, salle N 101.
– Très bien, Sergent. À tout à l’heure. »
Après déjeuner, je me présente à la porte N 101 du Secteur BFG. « Entrez, Lieutenant jungle. », me dit le Colonel J. « Même chose qu’hier. Je vais vous placer les électrodes. Entrez dans le cockpit, s’il vous plaît. Tenez le volant … Voilà. » En regardant droit devant moi, pendant que le Colonel me place les conducteurs, je constate que l’écran parabolique ne présente plus le même paysage que la veille, pas exactement du moins. Le tracé n’a pas changé, mais le climat est différent. Je vois un ciel couvert et qui a l’air venteux, car la surface de l’eau est animée par des séries de petites vagues. « On y va, Lieutenant. », me dit le Sergent T. depuis sa table de commandes. Sa voix résonne derrière moi comme un ordre que je recevrais du ciel. Il ajoute : « Méfiez-vous des turbulences, aujourd’hui. Vous l’avez compris, mon Lieutenant ; il y en aura. » Le paysage se met alors en mouvement. Le simulateur démarre. Je tiens le volant avec beaucoup de fermeté et met le moteur en marche. Je regarde, à tribord, à bâbord. Le nombre des concurrents n’est pas modifié. Je respire. J’inspire, j’expire, calmement. Le paysage passe à la pluie. J’actionne l’essuie-glace. Je perçois le ronflement du moteur dès le signal du Pace Boat. Le feu passe au vert, j’embraye et débraye en une fraction de seconde. Sur la première ligne droite de 1 mille, je parviens à passer en tête, à la vitesse de 100 MPH, atteinte en 2 secondes. Au mille 1, je ralentis jusqu’à 50 MPH pour enchaîner la série des trois chicanes, modulant mes accélérations jusqu’à la limite de 80 MPH. Je distingue nettement le paysage de la course, étant donné qu’aucune Formula concurrente n’est devant la mienne cette fois. Je demeure en tête et peux voir tous les rivaux derrière moi, grâce au miroir des rétroviseurs. La pression est d’autant plus forte. Je respire, calmement. L’anémographe affiche soudain une bourrasque Force 6, à 1 mille, 120° Nord-Ouest. Les vagues commencent à grossir au moment où j’entre dans la ligne droite des 2 milles. Je tente l’accélération maximale, – et possible en l'occurrence – soit à 150 MPH, sur 1 mille, conscient du risque que le bateau peut se retourner. Le hors-bord est au-dessus de l’eau très vite à la faveur du mouvement des vagues, très nombreuses. J’ai largué les poursuivants et diminue la vitesse à 50 MPH sitôt la limite de 1 mille atteinte. Le vent frais s’engouffre au même moment dans ce passage du plan d’eau. Ma trajectoire est à peine faussée. Je la rétablis fermement et réaccélère jusqu’à 150 MPH, atteints en 2 secondes. La Formula a braqué normalement et retrouve sa position horizontale au-dessus de l’eau. Je ralentis à 50 MPH, 3 secondes avant le virage en épingle, 180° Sud, remonte à 100 MPH en le négociant et passe la ligne d’arrivée au max, loin devant les poursuivants. Le paysage s’immobilise. « OK, Lieutenant, me dit le Sergent T., c’est mieux qu’hier. » Le médecin cardiologue ajoute : « En effet, Lieutenant Jungle, le rythme est bon. Vous avez tenu compte du prévisionnel, bien géré le phénomène des turbulences. Je demande alors :
« – Mon Colonel, Sergent T., … Ce parcours est-il celui de la Qualification ?
– Non, Lieutenant Jungle, me répond le Colonel. Personne ne connaît encore le tracé de la course. Nous n’en serons informés que l’avant-veille. Dans tous les cas, il nous est interdit de proposer le tracé d’une compétition sur simulateur. Il s’agit d’un appareil adapté au dispositif du Test. C’est tout.
– Je vous remercie, mon Colonel.
– Je vous en prie. Les résultats de ces deux essais sur simulateur vous seront adressés demain. J’ai votre e-mail. Je ne serai donc pas là vendredi. C’est suffisant pour moi. Bonne journée, Lieutenant Jungle. Et bon courage pour la suite. »
Le Sergent T. m’accompagne jusqu’à la porte. « À vendredi, Lieutenant. » Je le salue, le remercie. En rentrant à la caserne, après avoir fait un détour au Tabac-Presse du quartier pour y acheter une revue spécialisée de la Marine Nationale, j’ai le sentiment d’être l’objet d’une décision importante quant à l’enjeu de la compétition et de l’honneur que l’on me fait en m’inscrivant candidat. Ce soir, mercredi, en reprenant le cours de la rédaction de mon Journal, je m’interroge par conséquent sur le concept de décision. Qu’en est-il au juste ? À vrai dire, je n’en sais strictement rien. C’est peut-être cela qui importe, n’en savoir rien ; mais ne répondre qu’à l’ordre de l’instance décisionnaire, à savoir la raison nôtre – ou raison sociale. La participation à la course de F1 motonautique pour laquelle ma hiérarchie me sollicita relève du domaine de l’investissement, de fait. Je suis, pour être exact, à la fois objet et sujet de la décision. Et cette décision n’a de sens qu’entendue au degré considérable de la personne morale, en l’occurrence de l’entreprise d’Etat qu’est le Régiment auquel j’appartiens. Des fonds sont engagés. Je suis le Programme de préparation, en tant qu’objet de la décision administrative qui m’oblige en m’associant, par devoir, au bien investi, la Formula 500, mais aussi en tant que sujet, c’est-à-dire à titre d’être pensant, donc de personne physique et juridique qui, par l’exercice de son métier, dépend d’une entité au service de quoi elle demeure, précisément mon corps d’Armée, soit la personne morale et juridique constituant le cadre de mon Obligation.
Jeudi. 8 AM. J’entre dans le Hall d’Accueil du Secteur BFG. Notre secrétaire me salue et me remet un nouveau dossier : « Tenez pour vous, Lieutenant. » Je monte dans ma salle, ouvre les stores, place mon blouson sur le porte-manteau, pose ledit dossier sur la table de bureau et m’assois pour le consulter. Il s’agit du rapport écrit de l’entretien entre le Capitaine H. et le Capitaine U., que je tapai dimanche dernier. Il est ratifié. Le Général E. l’a lu et approuvé. Ce rapport est en effet signé par notre Commandant en Chef à la date d’avant-hier, mardi. Je le relis et me satisfait que la Convention entre les deux Brigades du Secteur 3 puisse se réaliser, surtout s’appliquer sur l’ensemble de la région, à l’heure où l’affluence touristique s’accroît. « Bonjour Jungle. » Le Capitaine H. fait son apparition dans le bureau.
« – Bon. Vous avez vu que le rapport a été approuvé. Par ailleurs, le Capitaine U. m’a confirmé que les Services de Sécurité sont prévenus. Tout sera mis en place durant la semaine où a lieu la compétition. Nous sommes rassurés. Comment se sont déroulés vos tests, à propos ?
– Oui, mon Capitaine. Je m’apprêtais justement à consulter ma messagerie pour le savoir.
– Allez-y …
–- …
– …
– Alors … Voilà … Service Cardiologie … Rien à signaler …. Bilan Satisfaisant.
– Bien. Vous me l’imprimez, s’il vous plaît ?
– Tout de suite, mon Capitaine.
– Je vais à l’imprimante. Je reviens.
– …
– Oui, Jungle. Ça va. Vous pourrez vous aligner au départ avec tous les concurrents. Dites, à cet égard, comment envisagez-vous cette course ?
– Avec confiance, mon Capitaine.
– Ce sont tous des professionnels, vous le savez.
– Oui, j’en connais certains. De grands marins, avec qui j’ai grandi.
– Vous venez du village de M., n’est-ce pas ?
– C’est exact, mon Capitaine.
– J’ai la liste des compétiteurs dans mon bureau, mais peu importe, je l’ai en tête. Je crois savoir, Jungle, qu’ils sont trois.
– Tout à fait, mon Capitaine. Ils servent le Régiment dans le Secteur 5. L’un d’eux est aussi motard de la Police dans la Brigade régionale mobile, le Major A. Après l’épisode de la tempête, ils ont participé avec bravoure à la reconstruction de M. Ils étaient souvent engagés comme débardeurs également. Je les ai rencontrés mardi, la semaine dernière, dans le cadre de ma mission humanitaire. Des braves, mon Capitaine, œuvrant avec efficacité sur le fleuve, sur terre et sur mer.
– Je vois. Le Sergent I., le Lieutenant H. et le Major A. C’est cela, n’est-ce pas ?
– Exact, mon Capitaine.
– Vous y serez, Jungle. Je n’en doute pas, vous serez présent au rendez-vous.
– J’y serai, mon Capitaine.
– Bonne journée, Lieutenant. »
Midi. Je rentre pour passer une belle après-midi en compagnie de mon épouse. Elle nous a préparé un faux-filet frites. Après le café, elle se rend dans notre bureau afin d’y clôturer un dossier, « à traiter en urgence », me précise-t-elle ; puis nous décidons d’un commun accord d’aller prendre des photographies sur la falaise et le long de la route côtière. « Il fait beau, me dit-elle. Profitons-en. » 14 H 30. Elle prend le volant, démarre sa voiture et nous partons pour une promenade de quelques heures vers les merveilleux paysages qu’offre le littoral en cette première semaine de juillet.
Vendredi. 8 AM. Le Sergent T. fait des échauffements au stade, tandis que j’entre au vestiaire pour me mettre en tenue. Lorsque nous nous apprêtons à partir courir en discutant un brin, mon instructeur m’informe que nous ne courrons que sur une distance de 5 km aujourd’hui. « Oui, Lieutenant. Aujourd’hui, il faut vous économiser sur la course à pied, car cet après-midi, il est nécessaire que vous vous prépariez sur la distance réelle d’une compétition de vitesse Inshore. Donc, nous allons maintenant faire un vrai footing ; c’est-à-dire, courir un peu, sans chrono. » Lorsque, à 9,30 AM, je rentre à la caserne, j’ai le temps de me préparer psychologiquement à la situation « réelle » du Inshore dans la catégorie « Course de vitesse » ; celle où l’on m’a inscrit. À 13 H 45, je me présente à l’Accueil du Bâtiment N, Secteur BFG. Le Capitaine H. est présente : « Bonjour Jungle. Vous êtes prêt, j’espère. Le Sergent T. vous attend. Bonne chance. » Je remercie ma supérieure et me dirige vers la porte N 101. « Entrez Lieutenant, me dit le Sergent T. … Voilà … Comme vous le savez, les tests cardio sont terminés. Aujourd’hui, je vais vous demander de vous asseoir dans le cockpit. Voyez, le paysage du plan d’eau n’a pas changé mais, vous le verrez, le tracé est plus court que le précédent. Il s’étend sur une longueur de 1, 889 849 mille, soit 3500 mètres et non plus 6100 mètres. Il y a 5 bouées au lieu de 7, ainsi que ce fut le cas mardi et mercredi derniers. Prenez le volant, s’il vous plaît. Harnachez-vous. Aujourd’hui, comme pour la Qualif et toute la durée de la préparation, je suis désormais « L’Homme radio ». Je n’interviens qu’en cas de nécessité. C’est parti, d’abord pour un premier tour d’essai ; puis, vous aurez dix tours à accomplir. » Le paysage se met en mouvement. L’anémographe affiche des conditions climatiques favorables, des vents Force 0 à 1, descriptif « Calme », à « Très légère brise ». Je suis en pôle position, au vu de ma première place de mercredi. J’entends le moteur ronfler. Le drapeau vert est mis. J’embraye et débraye. En l’espace de deux secondes, l’appareil atteint la vitesse de 100 MPH sur la première ligne droite de 0,5 mille. En bout de ligne, je diminue la vitesse à 50 MPH. Au lieu des trois chicanes successives, il n’y en a plus qu’une. Dans cette chicane de 0,2 mille, j’accélère et passe à 80 MPH. À la suite de quoi, une ligne droite de 0,4 mille se présente, que je parcours à 120 MPH ; pour ralentir légèrement dans la courbe de 0,2 mille à 100 MPH et réaccélère au max sur le dernier 0,5 mille avant l’arrivée. Je passe sous le drapeau à damier à la vitesse de 155 MPH. Le paysage s’immobilise. « Un bon temps encore, Lieutenant. Nous allons faire une pause d’un quart d’heure, avant de reprendre en situation réelle. », me dit le Sergent T. « Nous allons considérer que vous avez fait le quatrième temps aux essais, Lieutenant. », m’informe mon instructeur au moment où je reprends le pilotage, mais pour réaliser dix tours, cette fois. Mon objectif en l’occurrence est de garder mon rythme, au mieux d’améliorer le temps d’essai, au pire d’arriver en troisième position. Je demeure attentif à ma trajectoire, de manière constante. Je passe la chicane de 0,2 mille, un peu plus rapidement que lors du tour d’essai, à 85 MPH et parviens à doubler un concurrent, sans heurt ; oui, je dis parviens car en situation « réelle », il est fondamental de tenir compte, non seulement de sa propre trajectoire mais aussi de celles des autres. Un choc peut être fatal à cette vitesse. La vigilance est notre protectrice en tout cas et notamment lors des compétitions. « Ne jamais relâcher son attention » est une sentence absolue. Je suis donc en troisième position et m’engage dans la courbe de 0,2 mille qui succède à la chicane des trois bouées à la vitesse de 110 MPH en doublant la Formula qui était jusque là devant moi. Je suis second. Reste le 0,5 dernier mille. Malgré ma pointe de vitesse jusqu’à la fin du premier tour, je demeure second. Il me faut patienter ; attendre le cinquième tour. En effet, lors du cinquième tour, c’est à nouveau dans la chicane de 0,2 mille que je parviens à doubler, en atteignant la vitesse de 90 MPH, soit 10 MPH de plus qu’à mon tour d’essai. La voix de « L’Homme radio », celle du Sergent T., se fait entendre alors :
« – Lieutenant, c’est bien ; vous faites un très bon chrono. Attention quand même à la courbe à 110 ° Ouest. Pensez à réduire après la ligne droite, même si ça suit de près derrière vous.
– OK, Sergent. »
J’accélère jusqu’à 130 MPH dans la ligne droite de 0,4 mille et m’engage dans la courbe de 0,2 mille à 115 MPH ; pour réaccélérer dans la dernière ligne droite, au maximum, soit à 155 MPH. Au dixième tour, j’ai pris mes distances avec les poursuivants, une marge suffisante qui me permet d’assurer la tête de la course jusqu’à la ligne d’arrivée. Le paysage s’immobilise. « OK, Lieutenant. Vous faites un excellent chrono, un des meilleurs depuis que nous travaillons sur ce simulateur. Votre meilleur tour est le sixième. Vous le réalisez en un peu plus de 1 minute ; 1, 009 exactement. Votre vitesse moyenne sur ce sixième tour est de 129, 2 milles. Voilà, Lieutenant. Nous nous retrouvons mardi. La semaine prochaine, à cet égard, nous passerons à la pratique réelle de la Formula, sur le fleuve, dès mercredi. Je vous souhaite une bonne fin de journée, Lieutenant. » Je remercie mon instructeur. Il est 17 heures à ma montre. Je vais chercher mes enfants à l’école. C’est leur dernier jour de classe et les grandes vacances qui débutent. Je suis heureux de les voir. Leur professeure est satisfaite de leur travail. Elle me remet leurs bulletins respectifs en les congratulant et en leur donnant rendez-vous à la Rentrée. « À bientôt les enfants. Passez de très belles vacances d’été. »
Samedi. 8 AM. Mon épouse a pris ses dispositions pour être avec nos enfants tout ce week-end. Durant la période du mois de juillet, ses parents nous ont proposé de les recevoir chez eux. Nous nous levons et prenons le petit-déjeuner tous ensemble. Le chat miaule et veut sa part. Je lui sers les croquettes et l’eau, respectiveme dans les deux récipients de sa gamelle. À 9 AM, j’entre dans le Secteur BFG, salue notre secrétaire et monte au bureau. Pendant que j’allume l’ordinateur, le Capitaine H. entre et me demande de l’accompagner pour contrôler la navigation sur le grand fleuve : « Le trafic augmente ces jours-ci, Jungle. L’ordre est donné aux patrouilles de la Police Fluviale de veiller à sa régulation. Nous prenons le zodiac. » Nous sommes de retour à la Brigade à 14 heures, le Capitaine H. et moi, après avoir verbalisé plusieurs contrevenants. « À demain matin, Lieutenant. Nous nous rendrons dans la zone du Lac de Y. en passant par le Port de L. Je dois faire le point avec le Capitaine U. Bonne fin de journée. » Je la salue et rentre dans mon foyer pour voir mon épouse et nos enfants, non sans impatience. Ce sont les grandes vacances. Après les deux manches de la course qualificative pour le Championnat du Monde, nous partirons tous ensemble. En attendant, les parents de mon épouse nous ont fait part de leur joie et, surtout, de leur gratitude, à l’idée de recevoir chez eux nos petits, dans leur belle maison sur la Côte. Ils sont à la retraite depuis quelques mois à peine, mais ils travaillent toujours pour le Conseil Municipal de la Ville de T., à titre d’élu(e)s et de conseillers délégués : « Je les emmènerai pêcher le marlin et au lamparo. Nous les aiderons à faire leurs devoirs de vacances, si besoin est. », m’a dit hier soir mon beau-père, lorsque mon épouse me le passa au téléphone. La période des grandes vacances est un moment à part dans une année. Elle correspond normalement au bonheur et au voyage ; c’est du moins la thématique qui s’impose à moi. Non pas que le bonheur et le voyage soient absents ou dissociables le reste de l’année s’agissant de mes enfants, bien au contraire, mais j’adopte en l’occurrence mon point de vue d’enfant devenu adulte. Il est nécessaire qu’un(e) enfant soit heureuse, heureux, tout le temps et la période des grandes vacances demeure, dans ma mémoire, entre autres celle qui enrichit le bonheur d’être et de découvrir. Au village de M., où je naquis, les grandes vacances étaient un cadre d’étude et de dépaysement. Nos rites initiatiques avaient lieu à ce moment-là. Il s’agissait déjà de défis à soi-même et de passages de grades. Nous cultivions l’apprentissage des arts. Nos épreuves s’inscrivaient dans maintes disciplines tels le calcul, la mécanique, les arts plastiques, la musique, l'histoire et la géographie, la lecture à voix haute, la traversée du grand fleuve en barque et à la nage, l’ascension de la montagne haute, la course à pied, la course d’orientation dans la forêt, l’agriculture, la pêche en mer et les sports de combat. Le principe de cette institution qu’est L’École d’Été, où nous étions inscrits mes camarades et moi, étant de nous « endurcir », comme le Maître nous le disait souvent.
Dimanche. 21 heures. Je reprends le cours de ma rédaction. Cette journée débuta par notre visite, le Capitaine H. et moi, de la zone Nord-Ouest où se situent le Lac de Y. et le Port de L. À 9 AM, nous nous sommes rendus à la Capitainerie du Port de L., le Capitaine H. voulant s’entretenir avec le Capitaine U. afin de se rendre compte sur place de l’application des normes de sécurité dans la zone du Lac de Y. De fait, le Capitaine U. lui a présenté le dossier approprié, stipulant que les deux entreprises de Vigiles confirment leur présence au Lac de Y. durant une période de six jours, soit dès le jeudi, avant-veille de la compétition qui compte elle-même deux journées d’épreuves, enfin les lundi et mardi qui lui succèdent. À la suite de quoi, le Capitaine U. est monté avec nous, à bord du zodiac, et nous sommes allés jusqu’au Lac de Y. faire l’état des lieux. Le Capitaine U. a en l’occurrence constaté que les installations relatives aux gradins étaient déjà prêtes : « La tribune des spectateurs est montée, Capitaine H. Dans dix jours, les techniciens des différentes écuries mettront les stands et les bouées en place. », dit-il en s’adressant à ma supérieure. Nous avons ensuite ramené le Capitaine U. au Port de L. et prîmes le déjeuner tous les trois au mess. Il avait plu sans discontinuer toute la matinée. De retour, à 2 PM, au Port de K., le beau temps revint. Après que j’eus amarré le zodiac, le Capitaine H. me souhaita de passer une bonne fin de journée et « À mardi, Jungle. Je serai à l’accueil du Bâtiment N. ». Je passai une partie de l’après-midi en compagnie de mon épouse, de notre fille et de notre fils. Nous nous sommes promenés un peu sur la Côte en voiture, nous avons marché le long de la plage. Puis nous avons accompagné nos enfants chez mes beaux-parents, qui nous invitèrent à dîner et à passer la nuit dans leur belle maison. Nos enfants étaient heureux de les voir et de pouvoir aller à la pêche avec leur grand-père pendant leur séjour de trois semaines. Il est 21 heures. Je poursuis l’écriture de mon Journal dans une chambre, face à l’océan. Le Soleil n'est pas encore couché. L’équipage d’un grand voilier a jeté l’ancre au large. L’horizon est d’or. La fenêtre filtre la lumière du soir, proposant au regard la forme d’une page où rien n’est écrit, pourtant énonciatrice. Ce poème :
À voir tel envol
De la plume vers sa page –
Il doit nous conduire.
Mardi. 21 H 30. Mon épouse est de garde. Je suis seul dans l’appartement, avec le chat dont j’ai rempli la gamelle double de croquettes et d’eau. Je reprends mon Journal. Hier, nous avons passé la journée chez mes beaux-parents. Nous nous sommes, tous les six, promené(e)s le long de la plage : « Demain, j’emmènerai les petits à la pêche. Il fera beau temps. », me confirma mon beau-père. Les enfants étaient heureux de passer trois semaines chez leurs grands-parents. Nous sommes parti(e)s, mon épouse et moi, à 20 heures, après le dîner. Ce matin, à 8 AM, le Commandant O. m’a reçu dans son bureau afin de me présenter le programme d’entraînement de la semaine ; puis le Sergent T. m’a proposé de courir 15 km. À 9 AM, nous avons commencé, lui et moi, à faire des exercices d’échauffement. Nous avons ensuite emprunté le parcours habituel sur la distance de 15 km. « Le chrono est intéressant, Lieutenant. 1 H 10 pour les 15 km. On se retrouve au bâtiment N, cet après-midi, 14 heures. », m’a-t-il dit après la course à pied. Il avait l’air confiant quant à mon évolution depuis le début du Programme. À 2 PM, j’entrai dans le hall d’accueil du Bâtiment N. Le Capitaine H. et le Commandant O. étaient présentes, discutant lorsque je me présentai devant elles : « T. vous attend, Jungle … », m’informa le Capitaine H. Je la remerciai et me dirigeai aussitôt dans le couloir où se trouve la salle du simulateur, porte N 101 ; tandis que mes deux supérieures poursuivaient leur propos. « Bon, Lieutenant, me dit le Sergent T. quand j'eus franchi le seuil de la salle, aujourd’hui, nous sommes à la veille de la pratique réelle de la Formula, comme vous le savez. Ce que je vous propose donc, c’est de faire plusieurs tours d’essai pour que vous puissiez bien sentir la machine. Vous pouvez vous faire plaisir et tester davantage le moteur. L’objectif, cet après-midi, est de faire le meilleur tour. Vous avez dix essais. Vous êtes seul. Aucun concurrent sur le parcours. Je suis votre ‘homme-Radio’. Installez-vous. Prenez le volant. Ça démarre dans 5 minutes. » Je pris le volant et m’aperçus que le paysage climatique était à la pluie. Je vérifiai l’anémographe, affichant un vent Force 1 à 2, descriptif légère brise, assez facile ; le GPS Traceur de carte, le compteur de vitesse 0-160 MPH. Le parcours était de 3500 mètres, soit 1, 889 849 mille. Mon meilleur tour fut réalisé en 1 minute. Le Sergent T. se montra satisfait. Nous nous saluâmes. Il me dit : « À demain. Au Hangar 15, Lieutenant, pour la mise à l’eau de la Formula sur le fleuve. » Je rentrai enfin à la caserne, après avoir rendu visite à mon épouse sur son lieu de travail, qui m’informa qu’elle était de garde, puis commandai une pizza calzone dans les galeries marchandes de l’hôpital. Il était 18 heures. J’allumai la télé jusqu’à la fin de mon repas du soir, consultai le dernier numéro de la revue de la Marine Nationale acheté au Tabac-Presse des mêmes galeries marchandes. Je me régalai de la pizza que je mis à réchauffer. J’allumai la radio.
Je regarde ma montre. Il est près de 22 H 30. Je pense aux deux manches de la Qualification. C’est un mouvement irrépressible. Inscrit dans le Programme de cette compétition depuis bientôt 10 jours, je demeure conditionné par les impératifs qu’exige l’évolution avant l’instant T des deux manches, respectivement réparties sur deux journées. Je pense aux concurrents et, parmi eux, aux trois braves et amis du village de M., où je naquis. Je les entends encore me dire dans la joie : « Nos volveremos a encontrar en el Inshore. » Je sais qu’ils seront présents au rendez-vous. C’est pour eux, pour nous tous, une question d’honneur et qui doit répondre à notre engagement au service de la patrie, de l’humanité, de la fraternité, à l'intransigeance du Code de notre Régiment.
Mercredi. 8 AM. Le Sergent T. et un agent du département Logistique m’accueillent au Hangar 15. « Bonjour, Lieutenant. Je vous présente le Brigadier-Chef R. Il va nous aider à poser la Formula sur la remorque pour la mise à l’eau et participer à toutes les séances d’entraînement. Le parcours est à 5 km d’ici, au Nord-Ouest du fleuve. » Je les salue. Nous quittons le Hangar 15 à 8,30 AM tous les trois, à bord d’une Jeep, une fois la Formula calée, harnachée, sur la remorque. Le Brigadier-Chef R. conduit la Jeep. À 9 AM, nous procédons à la mise à l’eau dans la zone d’entraînement du Grand Fleuve. L’endroit est balisé dans les proportions d’une aire de 4 km2. « C’est presque le même circuit que celui du simulateur, Lieutenant. Longueur : 3500 mètres. 7 bouées. Vous pouvez monter dans la Formula et commencer par la mettre en route. » Je monte à bord de l’engin depuis le quai, ferme le cockpit et m’assois au volant. Je mets mon casque et démarre le moteur. Une voix se fait entendre dans les écouteurs de mon intégral, celle du Sergent T. « Je suis votre homme-radio, Lieutenant. Nous allons commencer. Le Brigadier-Chef R. va vous donner le signal. Tenez-vous prêt, s’il vous plaît. » Je tiens le volant. Le plan d’eau est éclairé par un ciel clair. Le climat est clément. Je pose mon regard sur le tableau de bord ; l’anémographe affiche un vent Force 1, Très légère brise, le compteur est à 0.
« 10 secondes, Lieutenant. 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1 … » J’embraye et débraye. Le compteur indique déjà la vitesse de 100 MPH, lorsque je vois la première bouée au bout de la première ligne droite de 0,5 mille. Je ralentis, après être monté à 140 MPH, ce pour m’engager dans la double chicane à la vitesse de 70 MPH. La série de virages matérialisée par la présence de quatre bouées s’étend sur une distance de 0,3 mille. Je sors de là à 110 MPH et prends la courbe suivante à 120 MPH, sur 0,2 mille, pour enfin m’engager dans la deuxième ligne droite à la vitesse de 155 MPH sur 0,7 mille, ralentis à 80 MPH dans le virage en épingle, 180° Sud, réaccélère enfin dans le dernier 0,2 mille, 155 MPH, jusqu’à l’arrivée. Voix du Sergent T. :
« C’est bon, Lieutenant. Ralentissez, s’il vous plaît. On reprend après la pause. Quelques secondes d’attention. Vous faites un bon chrono. 1 minute, 10 secondes. Pour un premier tour, c’est bien. Vitesse moyenne, vous le voyez sur votre compteur numérique : 190,82 km / h, soit 118,57 MPH. Voilà. Nous reprenons, Lieutenant. 9 tours. » Je réalise mon meilleur temps lors du dernier passage, le dixième. Le compteur de la Formula affiche la moyenne de 149,129 MPH, pour un chrono de 52,5 secondes. Voix du Sergent T. : « Très bien, Lieutenant. Vous descendez sous la minute. 52,5 secondes. Revenez à quai, s’il vous plaît. » Au terme de l’entraînement, nous réinstallons la Formula sur sa remorque et reprenons la route vers K. à destination du Hangar 15. Le Sergent T. me questionne sur mes impressions, sur mon mental, pendant que le Brigadier-Chef R. nous ramène. Mon instructeur finit par me dire : « On ne peut pas trop se glorifier, vous savez, Lieutenant. Ce n’est pas la Qualification. Les neuf concurrents sont des professionnels émérites, tous engagés dans les Unités d’élite, vous savez aussi cela, Lieutenant. Votre niveau est satisfaisant. Mais il faudra faire mieux le jour J, c’est certain. » À 2 PM, lorsque nous sortons du Hangar 15 après avoir replacé la Formula sur son socle et refermé les portes du site, le Brigadier-Chef R. nous informe qu’il sera là vendredi à 8 AM. Nous le remercions, le Sergent T. et moi-même. « À vendredi, même heure, Lieutenant. », me dit mon instructeur. Je le remercie et le salue, puis rentre à la caserne. Le chat miaule et demande à manger et à boire. Je remplis sa gamelle double puis allume la radio en dégustant un plat préparé de riz aux crevettes. Après le dessert, je finis par m’endormir sur le canapé au passage des musiques populaires dans l’air, qu’agrémentent les senteurs d’ylang-ylang et de jasmin.
Jeudi. 23 heures. J’écris mon Journal avant d’aller me coucher. Pour faire le point sur cette journée, ainsi que le veut l’esprit du genre. Nous venons de recevoir l’amie de mon épouse et son mari. Ce fut convivial. Mon épouse et moi-même leur avons préparé une entrecôte grillée et frites maison, sauce au poivre, après que nous avons nettoyé l'appartement à fond. On s’est régalé. Puis, après la mousse au chocolat et le café gourmand, nous avons discuté autour d’une partie de cartes.
« Comment se passe cette phase d’entraînements, Artemus ? », me demanda A. Je lui répondis que ça pouvait aller mais que je ne devais pas trop me réjouir, au vu des remarques toujours judicieuses de mon instructeur, le Sergent T. La compétition serait relevée, difficile. « Le Championnat du Monde, n’est-ce pas, Artemus ? C’est l’enjeu … », reprit D., son mari. Je lui répondis par l’affirmative. Nous parlâmes ensuite des enfants et de la pêche. D. est aussi, comme beaucoup de personnes dans notre région, un amateur de pêche et la pratique. Il part pêcher au gros, au moins une fois par mois, avec l’un de ses collègues. Nous avons bu modérément et surtout apprécié le Château Pétrus que nos deux hôtes nous ont offert, assorti d’un sublime bouquet d’orchidées blanches et d’iris de Hollande Blue Star, ensemble floral dont les senteurs se mêlaient aux essors du jasmin et de l’ylang-ylang sur le mode d’une danse à quatre temps qui m’évoqua le ballet de cour. Dès que mon épouse augmenta cette rythmique des mélodies de Porgy and Bess, en démarrant la lecture du célèbre opéra de George Gershwin, au format CD, sur notre microchaîne hi-fi LG, les murs de notre salle à manger, de notre séjour, se transmuèrent en une tonnelle géante et luxuriante telle que je la vis à W., le village de « L’Homme du Mas », Monsieur Paul M., à l’occasion du banquet que les habitants avaient réalisé pour remercier les membres de notre équipe d’intervention. Nous avons donc dansé, mon épouse et moi, puis A. et D. également. La sourdine de Miles Davis nous transportait dans les sphères du génie du Jazz. A. et D. partirent à 22 H 30 en nous remerciant avec émotion. Il est presque minuit. Je songe à écrire un poème. Je n’ai pas décrit ma matinée. De fait, le Commandant O. m’a reçu à 9 AM pour un débriefing, s’agissant de mes dix premiers jours de préparation. Je suis sorti du Bureau du Port au terme d’une séance d’entretien de 2 heures avec le Commandant O. Après quoi, je suis allé faire des courses pour le repas du soir, la réception de nos hôtes. Ce poème, maintenant.
UN CHANT DU PARNASSE
Au jardin d’été,
Les Fleurs chantent en fragrances. –
Je danse avec elle.
Au jardin d’hiver,
Les Fleurs gardent leur cadence. –
Elle me transporte.
À la mi-saison,
Le jardin donne le la. –
Elle écrit mes jours.
Vendredi. 7 AM. Je reçois un appel téléphonique :
« – Allô, Lieutenant ? Sergent T. à l’appareil. Il n’y aura pas d’entraînement aujourd’hui. Pluie tropicale. Il nous faut patienter. Nous devons reporter à demain pour la deuxième mise à l’eau.
– Bien, Sergent. Je vous remercie. À demain. »
Je raccroche et, en même temps, pose mon regard dehors, à travers la fenêtre du séjour, puis consulte le bulletin météo sur mon smartphone. Averses régulières. Vents Force 4 à 7. Jolie brise à Grand frais. Très difficile, mer grossissante de 1O AM jusqu’à 5 PM. Je comprends. Les palmiers, au pied de la caserne, se couchent presque et ce, tout le long de la baie. La pluie frappe aux carreaux. Je passe le balai serpillère puis nous prépare un café. Mon épouse se lève.
« – Qu’est-ce que c’est que ce temps, Art ?
– Pluie tropicale … T. vient de m’appeler.
– Et ta préparation ?
– Il la reporte à demain.
– Bien. Quant à moi, je dois me rendre à l’hôpital, quoi qu’il en soit. Je vais me préparer. »
Mon épouse quitte notre appartement à 8 AM, munie d’un long manteau à capuche et de son parapluie à fleurs. Aussitôt après, le téléphone sonne à nouveau. Je décroche.
« – Allô, Jungle ? Ici, le Commandant O. Vous passez au Bureau. L’entraînement est annulé. T. m’a prévenue. Je sais qu’il vous a appelé.
– En effet, mon Commandant.
– 8,30 AM. Je vous attends. »
Cinq minutes après, je quitte l’appartement, sors de la caserne et gagne le Bureau du Port en dix minutes sous des trombes d’eau, couvert de mon manteau treillis à capuche. Je franchis le seuil du hall d’Accueil et salue la secrétaire. « Bonjour, Lieutenant Jungle. Le Commandant est dans son bureau. Elle vous attend. » Je remercie la secrétaire pour cette information.
« – Entrez, Jungle ? Je vous en prie. Asseyez-vous … Nouveau débriefing. C’est l’occasion. J’ai eu le Capitaine H. au téléphone. Elle m’a adressé les derniers résultats de vos séances d’entraînement, par l’intermédiaire du Sergent T. Comment vous sentez-vous aujourd’hui ?
– Bien, mon Commandant. Je me sens bien.
– Vous reprenez demain, s’agissant de la deuxième mise à l’eau. Notre météo prévoit la fin des intempéries à 7 PM. Donc demain vous reprenez le volant pour une nouvelle série d’essais en situation.
– Oui, mon Commandant.
– Comment sentez-vous la machine, notre Formula ?
– Maniable, puissante, mon Commandant.
– La concentration, Jungle ?
– C’est une constante à laquelle je m’applique, Commandant.
– Bien. Le Sergent T. est un homme de grande valeur. Je pense qu’il pourra, et saura, vous mener à un résultat satisfaisant.
– Je le crois, Commandant.
– Nous investissons afin que vous puissiez atteindre la ligne d’arrivée à une bonne place … La Formula, intacte. Éviter le pire, Jungle. Éviter le pire … C’est la devise. Il s’agit, je vous le répète, d’un investissement lourd. Vous êtes un bon marin, un bon pilote. Vous représentez le Secteur 3 de Notre Régiment. Soyez à la hauteur de notre espérance, s’il vous plaît. Je sais par ailleurs que la concurrence est relevée.
– Exact, mon Commandant. Mais …
– Mais ?
– J’ai confiance en moi.
– C’est cela, Jungle. Ayez confiance en vous. Autre chose : ne pensez à la course que le jour de la course. D’une manche à l’autre, il peut y avoir un monde. N’oubliez pas. Un bon résultat à l’arrivée de la première ne signifie rien. Vous parliez de constante, à l’instant. Le bon résultat ne sera significatif qu’à l’arrivée de la deuxième et dernière manche. Par conséquent, il est fondamental de garder la concentration comme constante avec l’idée d’un accomplissement réalisable au degré optimal.
– Oui, Commandant.
– Vous pouvez disposer, Lieutenant. Je vous revois demain. Nous serons cinq sur la zone d’entraînement, à savoir : Le Sergent T., le Brigadier-Chef R., vous-même. Le Capitaine H. et moi-même sommes convenues tout à l’heure que nous assisterions à ce deuxième temps d’essais en situation. À demain, Jungle. Reposez-vous un peu.
– À demain, mon Commandant.
– Ah, Jungle. J’oubliai de vous dire. J’ai reçu votre numéro de départ. Votre numéro est le 4. »
Samedi. 8 AM. Il fait beau. La pluie et les vents ont disparu autour de 19 heures, hier soir. J’ai bien dormi. Mon épouse quitte déjà l’appartement pour reprendre son service. J’ai rendez-vous avec le Sergent T. à 9 AM dans le cadre de la deuxième mise à l’eau du hors-bord Formula. Lorsque j’arrive au Hangar 15, ils sont quatre soldats à me recevoir : le Sergent T. et le Brigadier-Chef R., accompagnés du Commandant O. et du Capitaine H. Une fois la Formula posée et harnachée sur la remorque de la Jeep, nous partons tous les cinq, direction la zone d’entraînement, sise à 5 km de là. « Ce sera deux fois dix tours, aujourd’hui, Lieutenant. Premier départ à 11 AM. Deuxième départ à 3 PM. », m’informe le Sergent T. « C’est une bonne chose, Lieutenant. Vous devez vous mettre en situation réelle, celle des deux manches. », ajoute le Commandant O. J’acquiesce à leurs remarques respectives, avec joie. Lorsque nous arrivons sur place, sitôt que la Formula est mise à l’eau, je monte à bord, mets le casque intégral + écouteurs, ferme le cockpit, me place au volant, me ceinture. Le Pace Boat bien réglé, j’attends le signal du départ et démarre au bon moment. Je réalise mon meilleur chrono de la matinée en moins d’une minute, sur un circuit qui est identique au précédent, celui de mercredi dernier.
« Cet après-midi, le parcours sera différent. », me prévient le Lieutenant. Nous prenons le déjeuner à la cafétéria de la zone d’entraînement ; un complexe commercial fut construit à cet endroit en raison de l’agrément qu’offre ici la région et son paysage aquatique, luxuriant. Nous sommes près de l’océan, l’air y est vivifiant. En outre, cette zone demeure à l’abri des vents trop forts. À 13 heures, le Sergent T. et le Brigadier-Chef R. se lèvent de table pour, nous disent-ils, « faire le nouveau tracé ». Je reste en compagnie de mes deux supérieures. Elles semblent assez contentes de mon chrono du matin : « 48 secondes, c’est bien, Lieutenant. », dit le Capitaine H. « Comment vous sentez-vous ? », me demande alors le Commandant O. Je lui réponds que la dimension de plaisir ajoute à l’enjeu proprement dit :
« – C’est une belle machine que vous me confiez, mon Commandant.
– Soit, Jungle. À gérer au degré optimal, souvenez-vous.
– Nous verrons cet après-midi.
– Ayez confiance, Jungle. »
À 15 heures, je gagne le ponton de départ. « Vous me recevez, Lieutenant ? » C’est la voix de « L’Homme radio », la voix du Sergent T.
« – Affirmatif, Sergent. Reçu 5 / 5.
– Bien. Réglez votre Pace Boat. 30 secondes, avant de démarrer.
– Voilà … C’est fait.
– Vous commencez par reconnaître le nouveau circuit, s’il vous plaît. D’abord ce premier tour, donc. »
30 secondes passent ; je démarre et attends le drapeau vert du Brigadier-Chef R. Je consulte le Pace Boat. 15 secondes … 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1. Drapeau vert. J’embraye et débraye. 3 secondes, j’atteins la vitesse de 120 MPH et la maintiens sur 0,5 mille avant le virage à 90 ° Est. Je pose mon regard sur le compteur numérique en négociant ledit virage : 90 MPH, et accélère progressivement pour atteindre la vitesse de 155 MPH dans la deuxième ligne droite de 0,5 mille. Attention maximale. Je rétrograde 2 secondes avant le virage en épingle, 180° Sud, suivi de la triple chicane, ralentissant à 80 MPH sur cette séquence de 0,4 mille, pour réaccélérer dans la dernière courbe de 0,4 mille avant l’arrivée, à la vitesse de 140 MPH. « C’est bon, Lieutenant. Ralentissez. Regagnez le ponton, s’il vous plaît. Vous repartez pour dix tours. Dans 1 minute. » Je réalise mon meilleur chrono en 51 secondes. Lorsque, à 5 PM, nous repartons vers K., mes deux supérieures sont rassurées quant au potentiel de la Formula et à mes chances d’être sur le podium.
« – Sincèrement, Jungle, me dit le Capitaine H., votre temps est correct. La course commence dans un peu moins d’une semaine … Nous pouvons y croire et ce, je tiens à vous rassurer, malgré la concurrence.
– Merci, mon Capitaine. »
Dimanche. Mon épouse et moi sortons de l’appartement à 8 AM, pour nous rendre sur nos lieux de travail respectifs. À 8,30 AM, le Capitaine H. me rend visite dans mon bureau :
« – Bonjour, Jungle. Nous avons du nouveau concernant le procès. Le flagrant délit fut décisif.
– Le jugement a été prononcé, mon Capitaine ?
– Exact. Le président de l’association, plutôt de la fausse association, a été reconnu comme le principal commanditaire. Il est condamné à dix ans de prison ferme et au versement de 150 000 euros d’amende.
– Et les cinq autres ?
– J’y viens. Le récidiviste, déjà connu de nos services, obtient la même peine que le commanditaire. Quant aux complices, ils sont tous les quatre reconnus de vol aggravé. Chacun d’eux est condamné à cinq ans de prison ferme et au versement de 150 000 euros d’amende.
– Les faits sont ceux d’une bande organisée, n’est-ce pas Capitaine ?
– Oui. Outre que tous les six sont majeurs. Voici un extrait de la jurisprudence qui sera rendu public dès demain.
– Merci Capitaine.
– Autre chose. S’agissant des services de sécurité, les deux sociétés de Vigiles m’ont adressé leur confirmation par courriel. Je vous remets une photocopie. La voici, gardez-là. La compétition devrait très bien se dérouler, sans débordements. Par ailleurs, vous voyez le Sergent T. mardi, Jungle, pour parfaire la pratique de la Formula. Ce sera deux jours avant les essais … Quelle heure est-il ?
– Neuf heures, Capitaine.
– Bien. Vous pouvez y aller à 11 heures, quand vous en aurez terminé avec le nouveau dossier. Vous l’avez regardé ?
– À moitié. Plusieurs excès de vitesse sur le fleuve … et dans la zone de fret du port.
– C’est ça. Il vous faut établir les procès-verbaux.
– Très bien, Capitaine.
– Bonne journée, Jungle. »
À 11,30 AM, je quitte le Secteur BFG et rejoins mon épouse dans son service, à l’hôpital. À midi, nous allons déjeuner dans un restaurant situé en front de mer. Tout va bien, elle semble sereine. Elle me dit que ses parents l’ont appelée sur son smartphone en cours de matinée. Ils nous invitent à passer cette fin de week-end et la journée du lundi chez eux. Ils lui ont passé les enfants. Nos petits sont heureux d’aller à la pêche avec leur grand-père. À 14 heures, nous rentrons à la caserne pour prendre quelques affaires, nourrir le chat, et prenons la voiture. Mon épouse nous conduit à destination de la maison sur la Côte, la maison de mes beaux-parents.
Lundi. 22 heures. Nous sommes rentré(e)s à l’appartement depuis une heure, mon épouse et moi, après notre bref séjour chez mes beaux-parents. J’eus la chance, ce matin, de pouvoir accompagner mon beau-père sur son bateau pour participer à une partie de pêche. Les enfants se sont réjoui(e)s de prendre du poisson. Pour ma part, je réussis à pêcher quelques daurades. Nous conçûmes alors le menu du soir à base de poissons, ceux que nous avions tous les quatre pêchés. Après dîner, nous sommes parti(e)s, mon épouse et moi, de la maison sur la Côte, non sans regret. Mais l’essentiel est que nos enfants soient heureux.
Je regarde ma montre. Il est maintenant 22 H 15. Demain, je dois reprendre le volant de la Formula pour sa troisième mise à l’eau. Idem, mercredi, s’agissant du quatrième passage sur le plan d’eau d’entraînement. Jeudi et vendredi se seront les essais. Enfin, vendredi, ce sera le jour du briefing, à la veille de la première manche. Je ne me sens pas fatigué, calme face à l’événement. Le Programme de préparation forge ma pratique de l’Inshore. C’est mon métier. Je suis un marin et j’en suis fier. En aucune façon, je ne saurais me plaindre de quoi que ce fût. J’obéis à ma condition d’être humain, en m’efforçant toujours de me situer au degré optimal que propose chaque journée, aussi bien dans le domaine des émotions que dans celui de la tâche à accomplir. L’existence est un dû. Il m’importe de pouvoir l’assumer et de me sentir libre de l’écrire, de le dire, seul devant la page dont la qualité considérable est d’inspirer le rythme de ma narration. Le rythme, où cristallise mon témoignage dans l’ordre de progression des heures, est cet ensemble de signes que les unités de temps rapprochent de mon expérience sans que jamais je n’intervienne négativement, soit par défaut ou par excès d’ego. À cet égard, je conçois mon Journal tel un compte-rendu simple de l’événement. Il m’appartient par suite d’écrire comme on établit un rapport. Le mot est outil. La raison et ses piliers nous offrent les mots afin que puissions bâtir des structures significatives. Au reste, l’écriture de mon Journal serait irréalisable si je n’étais pas honnête, posture sur laquelle chacune de ses pages veille, prête à intervenir à la moindre erreur, au moindre doute, et m’interpelant aussitôt de fait, de droit, grâce à son pouvoir de recours en révision près la Prise de Conscience.
Vendredi. Veille de la première manche. Il est 22 heures. Je reprends mon Journal, pour écrire le contenu des trois jours précédents, n’ayant pas eu jusqu’à aujourd’hui l’opportunité de le faire. En d’autres termes, je me mets à jour, sans mauvais jeu de mots. Mardi et mercredi furent le cadre du dénouement de ma préparation. Le Programme d’entraînement est arrivé à échéance maintenant. Grâce à Dieu, je suis sain et sauf. Mardi et mercredi, le Sergent T. et le Brigadier- Chef R. m’accompagnèrent durant mes dernières heures, s’agissant de la pratique en situation de la Formula. Le chrono, dans les deux cas, demeure satisfaisant d’après le Sergent T. Je descends sous la minute régulièrement lors de mes meilleurs tours. Jeudi, à 7 AM, je me suis rendu au service ophtalmologie de l’hôpital afin de passer un examen complet de la vue. Le résultat me rassure, il est excellent : ma vision binoculaire est validée à 20 / 10e. L’après-midi de ce même jour, je participai à la première séance d’essais libres sur le Lac de Y. L’équipe des techniciens du Secteur 3 a pu ainsi procéder aux réglages de la F1 motonautique. Je réalisai le quatrième temps. En revanche, cet après-midi, je me classe troisième, derrière le Sergent I., du Secteur 5., second, et le numéro 3, qui fait le meilleur temps : un concurrent dont je n’ai jamais entendu parler, ayant quitté le circuit très tôt après sa performance remarquable, puisqu’il termina premier au terme de chaque séance d’essais. Lors du briefing de ce matin, les organisateurs et le commissaire de course nous ont expliqué dans les détails le règlement de la compétition. Le parcours est plus difficile que je ne le pensais. Le Sergent T. reste confiant quant à mes passages et à mon temps. À 19 heures, le Commandant O. me téléphona pour m’encourager :
« Nous comptons sur vous, Jungle. Ménagez-vous, ménagez la Formula. Tout le Secteur 3 vient vous voir. Nous serons là. Bonne chance, Jungle. À demain. » La première manche a lieu demain ; le départ est fixé à 10 AM. Je sais aussi, qu’outre les camarades du Régiment et de la BFG, mon épouse, nos enfants et mes beaux-parents, assisteront aux deux manches de la Qualification. Mon épouse réserva leur place il y a déjà trois semaines, sitôt que je lui annonçai la nouvelle de mon inscription. Déjà trois semaines … Je n’ai pas vu les jours passer. Je suis à la veille d’une qualification pour le Championnat du Monde de F1 Motonautique et je me sens bien, comme si la course avait déjà eu lieu. La Formula est en très bon état, bien réglée, ce grâce aux soins de l’équipe technique. Elle est amarrée à son stand ce soir, sous la vigilance des gardes, membres des deux sociétés de sécurité relevant des zones L. et Y., région nord-ouest du grand fleuve. Je connais le nombre des réservations : 35 000 spectateurs seront présents à la joute. La compétition se joue à guichet fermé. Je me dois de saluer le travail de nos camarades des Secteurs 3 et 5, qui ont pensé et bâti les tribunes d’après l’architecture d’un amphithéâtre antique. On identifie clairement la cavea et le vomitorium du Circus de Rome, lieu où chacune, chacun, peut prendre sa place, circuler, jusqu’à ce que le signal du départ soit donné. J’ai à ce titre, par la raison que mes camarades sont, non seulement des bâtisseurs experts mais aussi des braves dans le combat, j’ai, dis-je, un hommage à rendre à l’une des plus grandes personnalités que le monde antique ait connues, et qui demeure présente dans mes souvenirs d’enfance, Judah Ben-Hur, magnifiquement interprété par Charlton Heston dans l’adaptation que William Wyler réalisa d’après le roman de Lewis Wallace, en 1959. J’écris ceci : Saluto te, Iuda Ben-Hur, ô venerabilis bellator et me fata relinquo.
Samedi. Jour de la Qualification. Première manche. Il est 7 AM quand je quitte la caserne après avoir rempli la gamelle double du chat de croquettes et d’eau. Mon épouse, nos enfants et mes beaux-parents arriveront à 9 AM dans les tribunes impressionnantes du Lac de Y. Mon épouse m’a souhaité bonne chance.
Elle me dit : « Tu es prêt. J’ai confiance en toi. » Le Sergent T. m’attend dans la Jeep en compagnie du Brigadier-Chef R. Ce dernier nous conduit jusqu’au Lac de Y. À 8 AM, nous sommes sur place. La Formula est amarrée à son stand. Nous la débâchons puis discutons autour du plan de course et du tracé. 3500 mètres pour 15 bouées. Les concurrents et l’équipe technique de chaque écurie arrivent. Deux experts du Secteur 3 inspectent tous les réglages déjà réalisés sur ma Formula, procèdent aux dernières manipulations techniques. Je vois mon épouse, nos enfants et mes beaux-parents. Ils me font signe. Je suis heureux. 9,45 AM, je suis à bord de la Formula, comme les neuf autres concurrents. Dans un quart d’heure, le drapeau vert s’agitera. Je mets mon intégral + écouteurs. Je me ceinture. Le temps est au beau fixe. Je consulte le tableau de bord : l’anémographe affiche un vent de Force 0 à 1, calme à très légère brise. « C’est le moment de régler votre Pace Boat, Lieutenant. », me dit le Sergent T., dans les écouteurs, depuis son poste d’homme-radio. Je règle le Pace Boat. 9,55 AM, toutes les F1 sont à leurs places respectives près du ponton. J’occupe la troisième place, derrière le numéro 1 du Sergent I. et le numéro 3 qui réalisa, quant à lui, le meilleur temps des essais. 30 secondes s’écoulent avant de démarrer. Le top est maintenant donné par le Pace Boat pour le démarrage des moteurs. Restent 10 secondes avant le départ. 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1. Drapeau vert. J’embraye et débraye. En 2 secondes, mon compteur numérique affiche 100 MPH. Première ligne droite de 0,5 mille, je suis juste derrière le numéro 1, vitesse 120 MPH. Puis nous entrons dans la première chicane, conçue sur le mode simple du S, d’une longueur de 0,1 mille. Je passe le numéro 1 à la vitesse de 90 MPH pour accélérer aussitôt, dans la courbe de 0,3 mille, à la vitesse de 120 MPH et je ralentis à la vitesse de 80 MPH, dès l’entrée de la deuxième chicane, conçue sur le mode complexe du triple S, d’une longueur de 0,3 mille. Je réaccélère dans la deuxième ligne droite de 0,5 mille où j’atteins la vitesse maximale de 160 MPH. J’approche du numéro 3, rétrograde jusqu’à la vitesse de 70 MPH pour négocier le virage à 180° Ouest et fonce vers la fin du premier tour à 160 MPH, ligne sise à 0,2 mille de la dernière bouée. Restent neuf tours. Je suis le numéro 3 de plus en plus près. Qui est ce pilote ? Sa Formula est très puissante. Il conduit de main de maître. Je le suis sans parvenir à le doubler. Le numéro 3 atteint des vitesses exceptionnelles, notamment dans les chicanes. Au neuvième tour, il passe la deuxième chicane, soit le triple S, à la vitesse de 100 MPH. Remarquable. Qui est-il ? « Le numéro 3 vous tient à une distance de 2 secondes, Lieutenant. », m’informe l’homme-radio À la fin du dernier tour, je franchis la ligne d’arrivée en deuxième position. Pas déçu. Sincèrement admiratif à l’égard du mystérieux pilote. C’est au moment de l’annonce des résultats faite au micro par une journaliste de l’Agence de Presse de K. à l’adresse des spectateurs que je réussis à identifier la personne pilotant la Formula numéro 3. Oui, Numéro 3 a enfin retiré son casque intégral, un intégral chromé qui ne manque pas de faire impression auprès des juges et des pilotes, assorti aux couleurs or et argent de la combinaison du parfait pilote. Je la reconnais alors : c’est le Lieutenant-Colonel de la Tribu de Femme- Soleil, cette tribu qui sut nous accueillir avec les honneurs lors d’une intervention de notre Unité Spéciale, épisode que je rapporte dans mon Journal sous le titre de « Femme-Soleil », précisément. Le nom du Lieutenant-Colonel apparaît au-dessus du mien sur l’écran numérique de l’arrivée : Hawk. Le Lieutenant-Colonel de la Tribu de la Femme-qui-Gouverne, de la Tribu dirigée par la Reine-qui-prend-la-Parole et qui prit la parole en louant les vertus de notre Régiment, la Reine d’un peuple qui nous reçut en princes, tandis qu’il était engagé H 24 dans les travaux de réparation et de réfection de la Cité de la Région Nord, par suite des dommages qu’entraîna l’épisode de la tempête. « Bonjour, Lieutenant Jungle. Comment allez-vous ? » Elle s’est rapprochée de moi pour consulter l’écran d’arrivée et m’a reconnu elle aussi. Je lui réponds que je suis satisfait de ce premier résultat, sans m’y étendre outre mesure. Les souvenirs me reviennent, nous discutons, quand les ingénieurs de nos écuries respectives viennent nous rejoindre. Le Sergent T. est là, avec le Brigadier-Chef R. Ils me félicitent. L’important est la course du lendemain toutefois. Il ne s’agit pas de se déconcentrer. « Demain sera décisif, Lieutenant. », me dit le Sergent T. J’entends la foule applaudir à l’annonce de la compétition d’endurance. Je monte voir mon épouse, nos enfants et mes beaux-parents dans la tribune. Ils passeront la nuit chez nous. Mon beau-père tient à nous préparer des rougets avec du riz, agrémenté d’un filet d’huile d’olive. Je me régale déjà. Nous rentrons en Jeep, le Sergent T., le Brigadier-Chef R. et moi. À 14 heures, lorsque je rentre à l’appartement, ma fille et mon fils m’accueillent avec joie en me présentant le fruit de leur dernière pêche, sept rougets prêts à la cuisson, préparés puis dressés par mon beau-père sur un grand plat en étain.
« Nous allons pouvoir passer à table, les enfants. Papa est là. », dit mon épouse. C’est l’appartement de la joie. Mes beaux-parents sont vraiment heureux et me félicitent encore. « C’est quand même le Championnat du Monde, au demeurant, mon cher Artemus, n’est-ce pas ? » insiste ma belle-mère.
Dimanche. 7 AM. J’ai rendez-vous avec le Sergent T. et le Brigadier-Chef R. devant le Bureau du Port. Dimanche, Jour J. Dimanche, jour de la deuxième manche. J’ai laissé ma famille dormir. Ils arriveront à 9 AM au Lac de Y. Nous partons, mes coéquipiers et moi, à bord de la Jeep, conduite par le Brigadier-Chef. Une fois sur place, observant le parcours, je constate que ce n’est pas le même que celui d’hier.
« C’est celui de votre deuxième jour d’essais. Vous le connaissez. Il est plus rapide, Lieutenant. », souligne le Brigadier-Chef R. À 8,30 AM, l’équipe technique arrive pour régler la Formula. Je n’éprouve pas de fatigue. Je me sens bien. « Les techniciens sont en train d’adapter le moteur au nouveau tracé, Lieutenant. », me dit le Sergent T. Nous entrons en discussion avec les deux techniciens du Secteur 3, des experts en mécanique et informatique, pendant qu’ils remplissent le réservoir de la machine. Je demande à l’un d’eux : « Vous faites le plein, n’est-ce pas Capitaine ? » Le Capitaine V. me répond catégoriquement : « Non, Lieutenant. Nous remplissons le réservoir eu égard à la distance exacte, en d’autres termes la distance suffisante que vous devez parcourir à bord de la F1. » J’acquiesce d’un signe de tête, justifiant par là même que je comprends sa réponse. « Quant au moteur, Capitaine ? », demandai-je ensuite. Là encore, il me donne une réponse éclairante : « Nous l’avons gonflé, au vu du nouveau tracé ; précisément conforme à une pratique des pointes de vitesse plus nombreuses que ce ne fût le cas la veille, Lieutenant. » Je comprends dès lors que je vais être aux commandes d’une fusée. M’apparaît conséquemment l’idée, je ne saurais dire pourquoi, l’idée du Stradivarius que l’on me confierait sans me demander rien en retour, excepté de le garder intact jusqu’au terme de ma prestation. La F1 est maintenant nettoyée de fond en comble par notre duo de techniciens / magiciens experts. J’ai conscience que je dois courir pour eux, car je les compte aussi parmi les membres de ma famille, au même titre que mes sœurs et frères d’armes. 9 AM, on ouvre les portes au public. Les journalistes de l’Agence de Presse de K. sont là. Les enceintes du Circus diffusent Brothers in Arms, de Dire Straits. À 9,30 AM, les tribunes sont déjà bondées. Le Sergent T., le Brigadier-Chef R. et l’équipe technique regagnent le stand « Secteur 3 ». Je monte à bord de la Formula après avoir revêtu ma combinaison bleue et mon casque intégral muni des écouteurs. Je me ceinture.
« Vous me recevez, Lieutenant ? » La voix du Sergent T. résonne sans écho, clairement.
« – Je vous reçois 5 / 5, Sergent.
– Bien. Il est 9,45 AM. Réglez votre Pace Boat. À 15 secondes, s’il vous plaît.
– C’est fait.
– Merci, Lieutenant. Bonne chance. »
Je vérifie le tableau de bord. L’anémographe affiche un vent de Force 1 à 2, Très légère brise à légère brise. Le temps est au beau fixe, comme la veille. J’occupe le deuxième rang, après Hawk, le numéro 3. Je connais le nouveau circuit. 7 bouées. J’ai réalisé le meilleur tour sur deux tours, vendredi, lors de la dernière série d’essais. Restent 45 secondes avant le drapeau vert. Dans 30 secondes, nous pourrons démarrer le moteur. Je regarde devant moi, légèrement sur la droite, la Formula de Hawk. Le Pace Boat donne le signal. L’eau mousse dans le grondement des Mercury. Nous sommes tous, les dix concurrents, au diapason du premier signal, avant que ne s’agite le drapeau du départ. 10 secondes, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1. J’embraye. Drapeau vert. J’ai débrayé. Mon compteur numérique affiche 160 MPH en 4 secondes. Le cadre spatio-temporel où j'évolue se fige à proportion de la structure granitique, comme le signifia l'illustre champion de Formule 1, Alain Prost, lors d'une interview qu'il accorda un jour pour une émission de télévision sportive. J’enchaîne le 0,5 mille de la première ligne droite et le 0,4 mille de la longue courbe Ouest à la vitesse maximale, 160 MPH. 2 secondes avant la bouée du virage à 180 ° Ouest, je rétrograde à la vitesse de 90 MPH et passe la chicane simple de 0,2 mille à la même vitesse. Il n’y a qu’une chicane. J’en sors à la vitesse de 120 MPH pour atteindre à nouveau, en 1,5 seconde, 160 MPH dans la deuxième et dernière ligne droite de 0,6 mille. Je réussis à dépasser Hawk, le numéro 3, dès la fin de ce premier tour et conserve la tête de la course jusqu’à la ligne d’arrivée. Néanmoins, « Dans le dernier 0,6 mille, m’informa le Sergent T., Numéro 3 n’est qu’à 1 seconde derrière vous, Lieutenant. Numéro 3, a refait son retard de 3 secondes dans la chicane. Elle la passe à 100 MPH et en sort à 130 MPH ! Elle la survole ! … Gardez l’avantage de la seconde. » Je remporte la deuxième manche. Mais je comprends que je ne suis pas le vainqueur de la Qualification, étant donné que Hawk remporta hier la première manche avec 2 secondes d’avance sur moi. Au demeurant, je suis fier de ma deuxième place au classement général. Mon nom s’affiche sur l’écran d’arrivée, juste sous le nom du Lieutenant-Colonel Hawk, de la Tribu de Femme-Soleil, la Tribu de la Femme-qui-Gouverne. Le Sergent I. conserve sa troisième place. Nous sommes tous trois qualifiés pour le Championnat du Monde F1 Motonautique, après nous être soumis au contrôle antidopage, qui s'est avéré négatif. Lors de la remise des Trophées, quelle n’est pas ma surprise de nous voir remettre nos médailles et coupes respectives par M. Paul M. lui-même, dit « L’Homme du Mas », en sa qualité de Président de Région. Il me dit : « C’est un beau jour, Lieutenant. Vous avez su l’honorer, comme un grand marin. Vous êtes un grand marin. Félicitations. »