

PUBLICATIONS XLVI
Poèmes

JEAN-MICHEL TARTAYRE
LES POÈMES D’ART JUNGLE
Dynamique du silence
Poésie
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1
La scène lors illuminant, la raison
De notre venue –
Se fit jour.
Aux accords des guitares en leur parfaite harmonie,
Le cercle de lumière nous informait
De la présence des deux corps attendus …
Je l’observe dans sa longue robe carmin
À quoi fait écho la rose sur sa longue chevelure éclose,
Non seulement admiratif mais grave aussi –
Quant à la nécessité du regard distant face à la performance
Qui nous oblige –
Nous, spectateurs.
De fait, je suis moins au spectacle qu’à l’essor chromatique du poème
En train de s’écrire aux battements d’ailes de deux oiseaux.
… Où la scène est l’étang, nous nous inscrivions plutôt dans le cadre de l’invitation que le paysage auroral nous fit aux confins d’une plage et dont chacun des deux partenaires était la figure.
Elle danse, il danse, marchant ou pêchant.
Nous sommes aux mots perçus – à titre de témoins majeurs des lettres que les deux artistes forment par mouvements d’ailes successifs, chantant.
« On ne dérange pas. C’est un ordre. »
Nous nous situions à l’abri de nos fauteuils, calmes et respectueux de l’horizon marin, au premier plan duquel avait lieu le drame des deux figures – ombres roses dans l’étendue azur. Et nos fauteuils étaient rivage d’herbes ou de plantes, transmués dès l’ouverture en trônes d’émeraude …
Deux oiseaux nous parlent.
Le cercle des guitares ajoute à leur murmure.
« C’est le temps de la pêche, avant l’envol. »
La femme et l’homme se tiennent à une distance suffisante,
La distance qu’imposent leurs zones respectives d’évolution.
Silence.
Un chant, chant de l’homme.
La femme fait résonner ses talons, participant de la marche de l’oiseau.
Je vois l’oiseau.
Un chant, chant de la femme.
L’homme crée l’écho du rythme de sa partenaire –
Dans son prolongement fait lui-même résonner ses talons
Avec la fierté d’un dieu.
J’entends la langue de l’oiseau.
… La scène était devenue partition, page de signes …
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Le cercle des guitares à nouveau complète l’harmonie, tel
Le vent qui se lève.
La femme propose des mouvements de robe.
L’homme la regarde.
Un des guitaristes chante à son tour.
… Le vent passa à la surface du plan d’eau, la dynamique de la scène atteignit son comble. L’homme et la femme changeaient souvent de place et de rythme. La résonance des talons créa la sensation auditive de la fugue …
Les oiseaux n’évoluent plus en marchant, ils se déplacent au-dessus de l’eau.
Ils vont d’un point à l’autre de l’étang par la voie des airs.
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« Nous sommes au degré suprême de l’art. »
La foule applaudit.
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… On était dans son fauteuil, comme en apesanteur.
L’émotion est à son comble et porte le duo et les musiciens, ainsi la prière.
J’entends la voix du vent.
Je vois l’alliance de l’eau et de l’air.
« Ils s’éloignent. »
Silence.
2
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Un sentiment musical …
… demeuré à l’issue du spectacle.
Moi-même demeurant note.
Inscrit dans la partition qui se joue encore, par le fait de la plume qui m’oblige, je poursuis le mouvement orchestique dont la page s’avère désormais le lieu de mémoire.
La scène se transmua en page, de fait.
Nous assistions aux virtuosités du cercle. La danse proposait en son centre les joies chromatiques, les élégances harmoniques. Le couple d’artistes se confondait avec les notes, leurs déplacements multiples en proposaient les essors réalisés depuis leur sortie de chaque instrument, tout vibrations et pincements de cordes …
J’écris.
Le silence, demeuré souvenir d’une heure, me situe dans l’actualisation du spectacle sur le mode du poème.
Je la revois.
Elle, qui dansa tel l’oiseau de l’aurore, semble être à l’origine du mouvement de la plume, qui m’oblige.
… On aurait pu croire à des envols de fragrances dans chacun de ses gestes, si ce ne fut la réalité ; car de tous les rythmes de son corps émanait en effet l’alliance de la note des roses avec celle du jasmin.
Elle trônait sur la scène, servie par la marche d’un dieu autour d’elle, lui-même orné des sublimes senteurs dont seule la Montagne-qui-parle a le secret …
« Ce sont les habitants du jardin merveilleux ! »
La plume me guide parmi les paroles du souvenir récent, paroles d’enfants et de leurs parents entendues tandis que le couple d’artistes opérait sa prestation dans le cercle que les guitaristes formaient.
La dynamique de mon écriture s’organise autour du Palais de notre première rencontre.
… Il frappa à la porte de sa loge, un bouquet de roses de Damas à la main.
3
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« Entrez, je vous prie. »
Elle maintenait entre nous cette distance respectable qu’ordonne la parole tenue et dont mon bouquet de roses représentait la limite.
Son regard protégé par le contour du khôl, significatif de précision, s’orienta immédiatement vers le pot, chef-d’œuvre d’une dynastie devant lequel je restai coi et, tout en suggestion, m’ordonna avec grâce d’y déposer les fleurs.
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« Vous avez apprécié le spectacle, Monsieur ? »
Je répondis par l’affirmative, convaincu que j’étais de son génie.
Elle le regardait avec attention, sans le dévisager mais le fixant les yeux dans les yeux, comme transmuant chacun des mots qu’il prononçait en éclat de jour. Il y eut de nombreux silences autour de la conversation pourtant ininterrompue qu’ils entretenaient. Et ces silences étaient des Amours …
« Bien, Lieutenant. Alors, je vous dis à bientôt. »
… Il sortit du Palais heureux, prêt à naviguer sur toutes les mers du monde.
« Certainement, je vous rappellerai, Monsieur Art. »
Ce n’est pas un écho, non. Il s’agit là d’un simple mot d’ordre que j’évoque une heure après, les mots qu’elle me dit avec humour dans l’ouverture d’une porte avant de la refermer. – La loge du Bonheur.
Dès lors, au pied de la Montagne-qui-parle où ma demeure est sise, je m’arrêtai sur le rivage du Grand Fleuve pour saluer un tel jour. J’entendis la Forêt murmurer en eaux de pluie avec le Grand Fleuve et n’en sus jamais le propos.
Il prit son bâton peint aux couleurs de l’Azur et de la Forêt et traça à nouveau des signes sur le sable. Un oiseau chanta avant l’essor. Le Firmament réalisait son passage à l’horizon du Soleil qui se couche …
4
Certus et sine omni passione …
… Elle était tranquille …
… Rien ne pouvait altérer sa plénitude.
Elle est une belle personne, une dame dont la grâce illumine.
J’écris, comme à ses pieds, juste – et me situant toujours en sa présence. Elle actualise ma présence auprès du poème, dans le cadre luxueux de sa loge d’artiste.
Je me sais en forme, réellement. Néanmoins, rendu à ma forme, stricto sensu, sur ordre de l’absolu respect que je dois à la Femme.
D’un mouvement continu de plume qui fixe les signes sur la page selon telle rythmique, mon interlocutrice se manifeste dès lors par le ressort de cette constante adjectivale qui la définit : heureuse, belle, savante.
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« Je suis médecin, Monsieur Art. »
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De la voir, de l’écouter, m’éclaira quant à la notion d’existence et au rôle que j’ai à tenir dans l’existence, soit « au service de mon prochain. ». Je me contentai de sortir de sa loge après l’avoir remerciée de l’honneur qu’elle me fit d’accepter mon bouquet d’Orient, simplement, sans me retourner. Seule la plume ravive notre rencontre de quelques minutes.
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Elle referma la porte. Il prit l’ascenseur et sortit du Palais. Nulle passion, nul complexe, ne l’affecta, heureux qu’il était lui-même. Il était conscient d’avoir vu la Muse …
… Carmen adjuxit.
