

PUBLICATIONS LIV
Poèmes


JEAN-MICHEL TARTAYRE
LES POÈMES D’ART JUNGLE
Genèse du portrait
Poésie
Parce que les circonstances de l’écriture ne sont jamais les mêmes, que chaque jour est différent des autres, je ne change pas mon point de vue quant à moi lorsque mon regard se pose sur la page ; seule sa fixité m’importe et, à titre de support majeur, elle porte un mouvement, soit la dynamique des signes dont la plume est le véhicule. Il s’agit là d’une transmission que je rapporte sous l’autorité de cette instance qu’est la plume. Je ne pense pas à moi, je pense en l’occurrence à l’événement que constitue l’acte d’écrire. Toute interférence entre ledit événement et moi, sujet pensant et agissant, n’existe pas. Je suis inscrit dans le rythme de la marche en avant de la syntaxe et du sens qu’elle développe – et jamais ne reviens en arrière – tel qu’à bord du bateau, dont j’ai la responsabilité, je conduis sur les eaux du Grand Fleuve.
Ce rythme est musical et va en toute autonomie sous la direction de la plume, comme le bateau vogue à la surface des eaux sous ma direction. La progression est une constante qui me ravit ; d’un mot à l’autre s’organise les accords où je n’apparais pas, mais seulement sur le seuil de leur théâtre syntaxique et sémantique, animé que je suis par l’idée du Poème, structure indépendante née de la parole transmise à la plume par le Chœur des Muses et parole qui me tient à distance par le fait de son orchestration ; car j’assiste au ballet des mots devenus notes cristallisant sur la page grâce aux mouvements cadencés de la plume. Ma posture se situe dans le cadre de l’interaction qui se réalise entre ce jeu musical et mon regard pleinement impliqué dans ses diverses séquences, constitutives de la prosodie. Je dis donc les rythmes perçus, comme bercé par l’instant qui les organise. Il me suffit de tenir la plume et de la laisser transmettre le ballet de notes sur la page.
Ce sont des paysages musicaux, azur, jasmin, menthe, devant lesquels je me tiens, qui m’emportent et m’installent sereinement dans ma demeure avec vue sur la Montagne-sui-parle. Mon jardin, sis au premier plan dans cette perspective, me satisfait pleinement : je l’ai planté et le cultive. Il est à la fois mon agrément et la source de mon complément de nourriture grâce aux fruits et légumes qu’il produit. Je suis à ces champs de vision, azur, jasmin, menthe, quand je rentre chez moi, après quelque mission de plusieurs semaines ou retour de la journée de travail accomplie dans mon Secteur, rattaché que je suis à la base portuaire de K. Il va de soi que l’idée du Poème, lorsque le Chœur des Muses le décide, se fonde sur mon expérience de marin, sur le paysage de ce moment privilégié qu’est mon regard posé à la fenêtre, lequel paysage présente un relief chromatique toujours différent selon l’heure, la saison et les nuances lumineuses de l’azur.
Le Chœur des Muses décide. Si la décision prise est favorable à l’écriture, dès lors la plume s’envole par consultation près le Palais des Hauts ; dans le cas contraire, je lis plusieurs poèmes, plusieurs pages d’un essai philosophique, ou un article de la revue de la Marine Nationale, avant de dîner d’un plat tout prêt, d’une pizza ou du poisson que je serai aller pêcher à la rivière bordant mon jardin et qui se jette dans le Grand Fleuve à plusieurs encablures valant un mille marin. Dans tous les cas, je mange avec appétit et dors du sommeil du juste. L’engagement m’a permis, grâce à l’expérience dans le Bâtiment et la Construction dont on me fit bénéficier, de bâtir ma demeure, non loin du village où je naquis. Je l’ai baptisée « Le Fortin » et il vrai que je m’y sens bien. Peut-être un jour quitterai-je « Le Fortin », si je me marie, si j’ai des enfants, par exemple. Il se peut que j’aille habiter à la Base de K. Néanmoins, « Le Fortin » restera, je le proposerai en location à une sœur ou à un frère d’armes. En attendant, il est mon lieu de vie, cadre de repos et de réflexion à mes heures vacantes. La plume, à cet égard, je le constate, me conduit à parler de moi prosaïquement, sans rechercher la figure ou la syntaxe de la prosodie, une période narrative disant l’expérience réelle et mon domicile, où l’idée du Poème s’associe à l’idée du Journal. Quoi qu’il en soit, je suis au corps de la page et m’inscris dans le mouvement vers, dirigé par la plume – dynamique qui me rejoint naturellement par vouloir sincère de ma part et m’absorbe à titre d’adjuvant du procès syntaxique, sémantique.
Je crois en ces rythmes transmis par l’Étoile Humanité dont le Chœur des Muses est la Suprême Instance et j’y crois par amour, n’appartenant plus qu’à l’Étoile Humanité au titre de signe mû, moi-même, grâce à son rayonnement et au nous ravi ; tel enchantement où je n’appartiens en effet qu’à nous selon la loi absolue de Nature qui fixe, par là même, la raison d’être à soi en faveur du Chant de l’Étoile Humanité aussi solidement et gravement que le roc appartient à la Terre. Je suis sourd à la moindre passion et n’entends que la voie de l’Étoile Humanité. Je ne veux pas être orgueilleux. Je veux être fidèle à la voie. Au corps décisionnaire appelée la plume, celui que l’on nomma Chœur des Muses, elle se rend depuis ma fenêtre – au regard que je posai ce jour sur les choses, la Montagne-qui-parle, la page. Il pense la structure et le mouvement. La plume reviendra à bord de son nuage, est là déjà sur la page où cristallisa le nuage, bouquet des notes et fragrances provenant du Palais des Hauts et où transparaît le portrait de la Dame que j’aime, ravissante dans sa loge d’artiste reconnue, près de mon bouquet de roses de Damas et entourée des Vertus trônant. Or, non sans me souvenir de son sac Hermès sur la table high-tech déposé, que comblent la lumière et le miroir adjacent.