

PUBLICATIONS LV
Poèmes

JEAN-MICHEL TARTAYRE
LES POÈMES D’ART JUNGLE
Chroniques
Poésie
La paix est le seul combat qui mérite d'être mené.
Albert Camus
DYNAMIQUE DE L’ABNÉGATION
Je marche, librement, sans me demander pourquoi. Rien n’empêche. Une libération par l’écriture somme toute. Après la journée de travail. Lorsque la prosodie attend de moi de nouveaux rythmes, je me fonds dans la prose avec l’idée de la liberté toujours nouvelle mue en un poème. J’écris sans inquiétude, non, le regard posé à la fenêtre, affranchi par la musique que la plume, dépositaire d’une confidence accordée sur le mode du chant dans la voix du Chœur des Muses, en l’occurrence la confidence du rythme nouveau, note. Rien ne trouble la marche en avant de la plume sur la page et je m’y inscris, participant moi-même de sa transparence. Aucun miroir ne trouble, je fais bloc avec l’instant de la merveille, seule réalité. Je n’implique personne mais me range auprès de nous. Je n’existe que grâce à la merveille dont la plume est dépositaire, avec joie, n’ayant d’intérêt que pour la raison, à ses ordres et ne me défiant pas des mots. Je relève d’un cadre qui n’est en rien un carcan, qui ne m’interdit pas d’écrire quand j’en éprouve le besoin, ignorant des peurs et du doute, fort de mon expérience des jours, du jour éclairant nos vies, l’Azur, la Forêt, le Grand Fleuve ; le cadre du respect de soi, mon bonheur. Je n’ai aucune mauvaise pensée et ne suis pas attentiste face à la page dès lors que le procès créatif l’exige. La décision va de soi, instantanée. Raison de la joie et de la merveille ordonnant, qui me conduit, tel le bateau va à la surface du Grand Fleuve dès que je reçois l’ordre d’appareiller. Nul doute de ma part, eu égard à la valeur absolue de l’ordre. Je vais, au gré de la plume, accoster le quai de la Plénitude. Nous allons, de fait. Nous sommes, naturellement et sujets constitutifs de la marche, les signes inspirés par la Grâce.
EMPREINTE IDÉALE
Je ne sais pas. Non. Je ne sais si je la reverrai. Pour l’heure, je note, j’écris quelques mots actualisant ma journée en musique. Un poème turquoise, soit une organisation des vocables souhaitée au contact du réel. Je ne suis pas triste à l’idée du prochain rendez-vous peut-être lointain qu’elle m’accordera, lors d’un nouveau spectacle à l’opéra de K. J’ai fermé la porte, je n’imagine rien. En attendant, je lis, accomplis mes missions avec sérénité, sources de mon inspiration que la plume transmue en leitmotiv, autour de quoi s’organise la structure, qu’elle soit versifiée ou non. De fait, je me forme au concept d’une prosodie autonome actant l’air que le Chœur des Muses, de manière exclusive, propose à la plume. Je ne me soucie pas de moi en l’occurrence mais de la constante du rythme dont la plume dispose et, dès son retour du Palais des Hauts, acte sur la page. Je crois en mon innocence face à l’événement de la vie, qui n’est qu’amour, de la vie qui fonde les valeurs des peuples. Je crois en la Liberté ; je crois en l’Égalité ; je crois en la Fraternité. Et mon innocence s’augmente du respect absolu que j’ai et manifeste au nom de ces trois instances majeures. À titre de témoin majeur, je jouis de la beauté du monde, de son ordre parfait, l’ordre de nature mère et me laissant porter par les rythmes de la plume que l’on sollicita à des fins poétiques, je m’oriente vers la lumière de la raison qui nous guide, où toujours je demeure par ailleurs. Qu’il en soit ainsi, car l’essor m’établit sujet de Nature sis au pied de la Montagne-qui-parle, libre de jure, dévoué à la justice, amoureux sincère de la Dame pour qui mon cœur bat. Fidèle à son empreinte, où cristallisent les vertus telles les gemmes les plus rares.
UNE MARCHE
Libre. Et par la raison de cet état, fondé à dire. Exprimant la beauté du jour lorsque le Soleil se couche à l’horizon du Grand Fleuve et qu’en ma demeure, je puis apprécier la Montagne-qui-parle où s’envole souvent la plume, j’écris. Moi-même disparaissant à ses rythmes, lorsque sur la page la plume de retour se pose, il se forme dès lors une animation d’ordre syllabique à la lumière de quoi je me retrouve inscrit dans le motif, tel paysage parcouru et par sa beauté subjuguant, dont l’impression en l’occurrence récrite selon, d’après la parole reçue dans le Palais des Hauts qui cristallise, m’emporte. La marche prosodique, syntaxique, reprend des épisodes de ma semaine où je marchai à pas rapides sur le relief d’une zone géographique précise. De fait, mes coéquipiers et moi marchions à pas rapides. L’eau du Grand Fleuve semble interpréter un refrain, le vent dans les arbres de la Forêt les couplets. Nous nous fondons alors dans ce chant sans en déranger la prosodie, signes nous-mêmes apparus à l’improviste parmi les signes de cette composition des éléments, dévoués à l’objectif d’être à soi avec plénitude comme l’arbre l’est vis-à-vis de la Forêt, libres dans les limites strictes de la raison et n’entendant que le rythme de la marche, ce jusqu’à l’épilogue.
CONTEMPLATION
L’air que nous respirons s’organise, dirait-on, autour d’une composition de fragrances parfaitement équilibrée entre jasmin, menthe, rose de Damas et ylang-ylang. Je parle d’unités du matin que je salue avant de prendre le bateau en posant mon regard sur la Montagne-qui-parle et la Forêt entourant mon jardin. Il est 7 AM à ma montre, la plume est en essor, le Soleil arbore ses couleurs aurorales cristallisant sur la feuille, la fleur, l’oiseau, la pierre. Ma page reçoit les rythmes d’un amour incommensurable qui me garde avec fermeté contre toute agression narcissique. Ni mot de trop, ni trouble, de ma part. Je disparais à l’écriture de la merveille que Nature propose et dispose sur le mode du poème. C’est d’abord un appel exclusif, dès le réveil après le sommeil du juste, au regard sur raison, sollicitant la plénitude des sens. Je suis sourd aux voix de la confusion. J’ai à rejoindre, sans me poser de questions, le jour. Je rêvai en dormant. Je ne rêve plus. La merveille est, à cette heure, dans la simplicité de l’Action. Je dépens et m’inscris dans la transparence universelle qui commande et ordonne ma journée à faire. Personne. Je ne suis soumis à aucune contrainte qui pourrait être le fait du complexe. Non. Après la brioche au beurre et pépites de chocolat, le café ou le thé, dans quinze minutes j’appareille pour le Port de K., ma base. Juste quelques mots saisis dans l’air de l’aurore en écoutant les variétés, tandis que la plume les note en signes propres aux fragrances avec l’aval du Chœur des Muses, que j’honore tous les matins par mon regard posé sur la Montagne-qui-parle où, y siégeant, les Muses n’ouvrent la Porte du Palais des Hauts qu’à la plume. Je suis à l’essor de la plume, maintenant et à jamais. Jamais n’imaginant, que par figures et prosodie. Mais à soi par le fait de l’action nécessaire. Je suis donc de l’instant, cadre absolu de mon existence et jamais ne me plains, heureux au pied de sa beauté formidable, indiscutable.
PROSE SOUS LA TENTE
Parce que l’expression doit aller de soi, j’écris. Se présente à la pensée que j’exprime en l’occurrence un piano, comme si je l’entendais à titre de motif ce jour, à l’aube, tandis que nous nous apprêtons à lever le camp. L’aube est donc au piano. Elle est vêtue de bleu, robe uniforme où cristallisent notes et fragrances de la Forêt et du Grand Fleuve. Oui, j’écris sous la tente, sachant que dans une heure nous serons partis. Je fais fi de moi-même et n’écoute que les sonorités musicales de notre action commune dans le camp, augmentées de l’harmonie naturelle du décor splendide que la Forêt et le Grand Fleuve autour proposent et interprètent, car l’aube joue au piano. Mon carnet de bord s’augmente aussi de ces mots que je pose dans la rubrique « Notes », mise en regard de la rubrique « Calendrier ». Quelques mots avant le mess, vocables nuancés des chromatismes, des harmoniques, que l’aube propose. Je suis du jour aux ordres impérieux, après avoir très bien dormi malgré les heures de surveillance une partie de la nuit. Un médecin est avec nous, que je ne m’attendais pas à voir au départ de notre mission, dans la mesure où c’est la Dame artiste qui me reçut il y a déjà plusieurs mois dans sa loge ; la Dame que j’admire. Je la revois à nouveau. Notre mission exigeait en effet la présence d’un membre du personnel médical. Elle prend fin. Nous sommes parti(e)s loin au cœur de la Forêt. Tout s’est bien passé. Il s’agissait de parer à un début d’incendie. Les sapeurs-pompiers ont réalisé un travail remarquable. Mes coéquipiers et moi les avons aidés à construire le pare-feu, à circonscrire le foyer menaçant, tandis que leurs canadairs arrosaient massivement les flammes mortelles, jusqu’à les vaincre à terme. Nous voyions sous nos casques à visière d’acier et nos combinaisons ignifugées s’installer les murs d’eau salvateurs au moment où nous construisions avec les soldats du feu un cercle de béton, grâce aux blocs de ce même matériau que nous avions transportés sur le bateau, puis en camions. Ce fut au signal donné par les gardes forestiers depuis leur tour, que nous quittâmes K. il y a une semaine. Aujourd’hui l’aube est bleue, comme assise au piano du jour et elle chante l’amour de la vie, la Fraternité. Je disparais à l’expression de ses vertus, mes sœurs et frères d’armes qui commencent à ranger le matériel, se douchent, vont au mess. Les senteurs du café et du thé, mêlées aux parfums de fleur d’oranger et de vanille du pain chaud, de la brioche, préparés par le Chef et sa brigade, m’invitent. Je suis au bonheur de la paix naturelle retrouvée, de notre victoire sur l’accident et rejoins l’équipe.
CONSCIENCE DU JOUR
Je veux parler d’un détachement nécessaire eu égard à moi-même. J’entends par là un départ sans confusion aucune vers l’azur. J’ai un plan précis : l’écoute de Dame Nature, quand tous les matins j’appareille sur mon bateau pour rejoindre le Port de K., ma base. Ce jour encore, j’écoutais les gazouillis d’oiseaux multicolores, le bâillement des caïmans, le grognement du félin aux yeux d’or, la promenade des singes curieux sur les hautes branches. Tous me saluent dans ce dialogue qu’entretiennent le Grand Fleuve et la Forêt. Et leur salut sont autant d’harmoniques et de chromatismes auxquels répondent les mouvements du Grand Fleuve à sa surface. De retour le soir, à cette heure où le Soleil commence à se glisser dans ses draps d’océan, je pose mon regard sur la Montagne-qui-parle d’où émanent les rayons crépusculaires dont la plume s’inspire souvent pour marquer son envol et se rendre au Palais, près le Chœur des Muses. Lors, cristallisant le nuage – sur mon bureau, il devient page. La parole rapportée en ce cas peut aussi bien se proposer comme un chant ou comme un contrechant animé par la sourdine de la confidence, ou bien encore tels ces ensembles aériens que fonde la technique du contrepoint autour duquel s’organisent les deux modes d’expression précédents. C’est selon, mais surtout selon le choix du Chœur des Muses. Je le constate simplement en ne m’impliquant jamais dans l’effet de cristallisation qui se réalise et grâce à cela, à cette posture que j’adopte afin que s’opère l’écriture. Je suis aux rythmes toujours nouveaux du jour en m’y plongeant par appétit pour l’éternelle beauté que le jour véhicule et offre, à titre de cueilleur épris. Le jour, notre don, me satisfait, nous protège.
LES CHEVAUX DE L’OCÉAN
Bleu le ciel, verte la Forêt, ce jour. Progressivement vient l’or du soir. Les couleurs sont printanières et m’inspirent, vrai miroir de ma tranquillité d’âme. Sans crainte. Je suis à la plénitude d’une écriture dénuée de soucis. Je reviens des plages du bord de l’océan qui moutonna dans l’après-midi en raison du vent du large. Il y eut des averses nombreuses. Notre hors-bord de surveillance nous porta à plusieurs milles du rivage dans le cadre d’une opération de contrôle du trafic en mer hauturière. Nous vérifiâmes des cargaisons, à juste titre, d’après l’ordonnance. Au retour, tandis que je ramenai mes coéquipiers vers le port et la capitainerie, j’observai une cavalcade de chevaux sauvages qui se confondait avec le mouvement des vagues. La puissance des chevaux dans leur course me ramena aux envols des nuages, des oiseaux et de la plume vers la Montagne-qui-parle. Aussi, ce soir, présent en ma demeure comme au souvenir tout récent de ma journée, ayant posé mon regard à la fenêtre depuis mon bureau, je compose sur la page blanche sise près du rapport de notre mission dûment rempli par mes soins. J’écris sous l’effet de la cristallisation des paroles entendues près le Chœur des Muses, selon mon naturel de sujet pensant et agissant. Je suis, par la volonté du Chœur des Muses, fidèle à la Grâce de l’instant musical qu’Il m’offre, ne sachant rien du secret de la plume à qui l’on s’adressa exclusivement. J’écris, animé du sentiment de paix au sein de ce décor royal qui m’est un privilège d’existence – ma demeure – des bouquets de fleurs somptueuses que l’on confia à la plume sur le mode de la parole idéale. Je suis au fait d’un mouvement spontané autour de quoi s’organisent les rythmes, mes yeux certainement bien ouverts sur les signes qui se réalisent – et jamais ne rêvant, sauf pendant mon sommeil. N’imaginant rien d’autre que ma place à ce bureau qui m’instaura humble serviteur du procès prosodique. Je note, par le simple fait de mon expérience de la journée, la puissance de l’océan, la course des vagues, les cavalcades, les envols, motifs en l’occurrence transmués par l’Instance. Je note de jure, veillant à ne pas commettre d’erreur, faillible moi-même et le sachant, car depuis toujours j’ai fait le serment d’honneur de ne me regarder pas, de ne m’écouter pas, mais de servir, ordre absolu de mon engagement, ordre des Vertus.
MUSTANG
Aucun cynisme, ni euphorie. Mais le respect du seuil absolu qui n’admet pas qu’on le franchisse, le seuil de la Raison. Il se peut que je participe d’un mouvement de liesse néanmoins, par l’écriture rejoint. Un rythme à cet égard m’emporte au gré de la plume lorsque les conditions sont favorables et sollicitent ma participation. Telle idée, grâce à sa nature sublime, m’assoit et m’anime. Je suis dès lors à la plénitude de la vie, conscient du jour, de l’heure, de mon bonheur autour de la durée qui doit encadrer l’essor et l’envol sur le mode prosodique. Les mots ne m’effraient pas, ils sont le fait du rythme dont la plume est garante. Peu importe d’ailleurs les mots, étant donné qu’ils relèvent de l’ordre de Raison. Il fut intimé par le Chœur des Muses, près le Palais des Hauts. Je vais en totale confiance sur leur musique idéale, gemmée, dont la plume est la garante. Je suis à nous. Nous sommes les actants du poème et de ses théâtres, conscients de l’entente universelle à pratiquer. Je veux parler en l’occurrence du sens pratique de la Beauté et de l’Humanité qui nous convoque, celui de la justice qui nous mène à l’entente, celui de la transparence et du respect de soi. Personne. Je ne dépasse jamais les limites raisonnables de ce sens, car il me fixe. Je vais au gré de la plume, dans les strictes limites de la réalité, de ses lois, sous les ordres de l’Instance, le Palais des Hauts. Ne transigeant jamais avec. J’obéis. Ainsi de ce motif, le Mustang, qui inspire ce jour la rythmique du poème dont la plume est garante. Le Mustang est un motif en harmonie avec l’océan, la plaine et la montagne, qui incarne la puissance de la terre et la légèreté de l’air. Il est le symbole de la respiration par l’écriture, de l’inspiration et de la marche des signes sur la page. Il est l’animal qui participe de la promenade des nuages autour de la Montagne-qui-parle, de l’essor des vagues grandes orientées vers l’azur. La Tribu Sacrée de Femme-Soleil le dompta jadis. Le Mustang est l’action et la pensée harmonieuses de Nature, la Légende de l’Ordre et du Glaive.
ABSOLU DE PARFUM
Car l’expression va toujours de soi et doit toujours aller de soi, je m’exprime, avec des mots assortis aux musiques orchestrées par l’eau du Grand Fleuve et les ramées lorsque, retour de K., je regarde mon jardin sis au pied de la Montagne-qui-parle. Il s’agit d’un assortiment floral cristallisant, au rythme de la plume qui progresse comme à pas de danse, sur la page, fruit de la transmutation du nuage où me revint la plume. J’écris par transparence, d’abord aux impressions reçues derrière le carreau de la vitre, observant, ou plutôt contemplant, les parterres de fleurs et les arbres portant les fruits que je plantai jadis ; ensuite, dans l’esprit du poème à réaliser et qui s’organise de lui-même sous l’ordre accompli dont la plume est garante, fait de la parole qu’on lui confia près le Palais des Hauts, qui me tient à distance suffisante. Je ne me mêle pas du sens, préalablement établi, mais il m’importe de m’accorder au rythme et, à ce titre, je participe du rythme jussif dont le Chœur des Muses est Maître. J’obéis à l’instance verbale qui seule ordonne ; en effet, j’officie moi-même à la place que l’on m’attribua, celle de note parmi les milliers de notes que la plume véhicule dans ses essors, ses envols, prosodiques. Je dépens d’une ordonnance florale, musicale, précise. Elle fixa mes vœux de bonheur et d’harmonie avec la nature. À l’orchidée et au jasmin dansant sur la scène de l’air, ce cadre de la sourdine où se situe l’alliance rythmée d’or exclusif.
HUMBLE DÛMENT
Le présent, dans son instantanéité, découvre mon espace d’attention poétique. Ce jour, l’objet en est l’air que j’écoute et dont la mélodie m’est connue. Par la radio diffusé, il happe plusieurs essors de notes qui s’organisent autour d’un motif allègre, puis les transmue en un bouquet de vocables que la plume offre au souvenir récent de ma Dame. Nous regardâmes la collection Canova. Réjouis à l’idée de servir la plume et ma Dame, je m’investis sans fatigue aucune dans cette proposition d’écriture. Les yeux grands ouverts fixant le procès syntaxique et prosodique, je ne suis à rien d’autre qu’à l’idée de service, humblement, soit gravement. Inscrite dans le cadre propre à cette dynamique substantielle de l’univers musical qu’est le poème, la plume revenue à bord de son nuage suite à la captation de la parole entendue, confiée, près le Palais des Hauts, cristallise en effet ici. Songeant à ma Dame aux commandes de mon bateau, à l’heure où je rentrai de K. sur le Grand Fleuve, je pressentis l’appel que la plume reçut avant de prendre son envol. Je rejoins maintenant le message porté par le nuage, au titre d’acteur moi-même de sa réalisation sur la page, participant du statut de témoin majeur de ce merveilleux phénomène dit du « vocable dansant », tandis que l’air s’organise autour du motif de la prégnance féminine. Il interdit le cynisme. Comme je me plie à l’ordre de Raison, je me plie à la puissance de l’Amour. Et ledit motif m’apparaît allégorie, chef-d’œuvre du statuaire qui représenta la lumière, notre lumière, selon l’angle incident d’après quoi Raison et Amour interagissent. Je veux parler du degré optimal où se réalisa la scène, considérable non sans dévotion. Donc, à moi-même jamais ne dois ni ne veux me fier.
LE COMMANDEMENT MAJEUR
L’échelle du réel. Maintenant. Et foin de moi-même ! Je suis à la raison, c’est-à-dire au jour qui nous éclaire et ne me soucie pas d’autre chose. Les mots viennent, se succèdent, selon l’ordre souhaité de la plume revenue du Palais des Hauts. Jamais seul car toujours relevant du projet d’écriture collective dicté par Mère Nature, je me plais à suivre le rythme de la parole que le Chœur des Muses, infrangible, exclusif et pourvoyeur de l’énergie solaire, confia à la plume. Je suis de l’état de plénitude qui, par définition, me comble et n’appartiens qu’à l’idéale beauté dont il me nourrit. J’ai en effet l’appétit amoureux à l’origine de quoi siège le Chœur des Muses. J’entends par là ma dévotion à l’égard de la Femme, Femme ou l’Indéniable Flacon de Gemmes et d’Or contenant l’Absolu de Parfum que composent aujourd’hui, selon le secret de la combinaison exclusive de leurs fragrances, la fleur d’oranger, l’ylang-ylang, le jasmin. La parole transmise sur la page, je le constate, me le révèle au fur et à mesure de sa réalisation. Je n’apparais en l’occurrence qu’à titre de témoin majeur du phénomène de cristallisation et n’interviens pas. La plume seule inscrit la dynamique musicale et florale qu’on lui confia près le Palais des Hauts. Le Chœur des Muses décide de la prosodie du jour et de la page, exclusivement, absolument. Jamais je ne conteste la décision, je ne le peux, j’en dépens, ma vie en dépend. La plume ratifia le serment que je prononçai au pied de la Montagne-qui-parle, sur l’honneur m’engageant à servir au prix de ma vie le Commandement qui m’appela, m’inspira dès l’enfance. Non, je n’ai pas peur. Car je suis né pierre de la Montagne-qui-parle, je suis à Nous.
MOMENT D’INSPIRATION
J’entends les cuivres, les percussions, les vents, les cordes et les bois, autant d’instruments à quoi s’harmonise la voix, du chœur, de la chanteuse. C’est une mélodie grave que diffuse ce jour la radio, tandis que je rentre chez moi au terme d’une semaine de stage, le même stage que celui d’il y a quatre ans, lorsqu’on me proposa de me former après la validation de mon engagement. J’avais dix-sept ans et j’avais déjà beaucoup lu. La culture jointe naturellement à l’action me garantit une forme de sérénité à laquelle ma vigilance ne fait jamais défaut. Je ne reviens pas sur ma semaine de stage si ce n’est pour dire qu’elle me servit à aiguiser mes sens eu égard à l’intensité des efforts physiques, au principe de concentration, pour la pratique desquels nous étions sollicité(e)s. La Forêt et le Grand Fleuve sont depuis toujours mon décor, le milieu où je naquis. Aussi j’aime y perfectionner mon comportement, donc mon caractère, face à l’hostilité éventuelle. Il est 5 PM à ma montre. Assis sur mon divan, j’écoute la mélodie grave comblant l’air de ma demeure et pressens l’appel de la plume près le Palais des Hauts. Dans mon champ de vision, trône la Montagne-qui-parle vers laquelle s’est déjà envolée la plume. De fait, je me trouve potentiellement devant la page à construire ; non pas cette fois mon poste de vigie dans les arbres, mais le poème. Il parlera, j’en ai l’idée et ne sais pourquoi, de la Forêt. J’entends célébrer, grâce au soutien de la mélodie grave que généreusement la radio diffuse, la beauté de la nature, son éclat gemmé, sa parole diamantine où gazouillis et chants de faune forment le Chœur que sublima le Chœur des Muses depuis toujours. Oui, je dirai la Forêt, sa grâce d’or et d’émeraudes à la faveur de quoi, depuis toujours, l’Azur et le Grand Fleuve dialoguent sur le mode de la mélodie grave, semblable à cette mélodie que j’écoute maintenant, qui m’interpelle et me ravit. Elle m’inspire en effet, si bien que la plume m’apparaît à l’instant dans l’air où fleurit mon jardin. Et cette inspiration va s’augmentant de la prégnance des chefs-d’œuvre du Douanier Rousseau que nous étudiâmes enfants. La plume est à bord de son nuage ; portant tous deux, nuage et plume, la cristallisation des rythmes nouveaux confiés, ils m’invitent à assumer mon statut de témoin majeur participant de ce que le Chœur des Muses déclara « le phénomène de la page » – et Chœur auquel je suis voué.
SEUIL, L’AYANT REVUE
Je ne pense jamais qu’à la respiration nécessaire. Telle écriture où les mots m’apparaissent suivant le principe de réalité, notes et fragrances. J’écris, c’est-à-dire que je compose des bouquets requérant la sublimation près le Palais des Hauts. La plume à cet égard officie à titre de messagère, à l’image de la colombe. D’un envol conséquent, et non pas d’une errance, elle connaît sa destination. Où on la convoqua, elle se rend. Le cadre de cette convocation est le lieu de l’Instance Majeure que la raison nôtre nomme « Le Chœur des Muses ». Moi-même acquiesçant par le fait de l’inspiration, je ne sais ni le lieu, ni le nom, mais obéis aux rythmes nouveaux dont la plume porte le secret jusque sur la page, cristallisante sur ordre de la prosodie que près le Palais des Hauts on suggéra. Au titre de la parole confiée selon l’heure, la saison, la plume va s’animant d’après notes et fragrances dont on organisa à son intention le bouquet et le transcrit en un flacon d’absolu de parfum. Prochainement, je l’offrirai à ma Dame. Ce jour fondé sur l’alliance exclusive des notes et qualités de l’ylang-ylang, du jasmin, je le destine en effet à ma Dame, quand je lui aurai donné à lire ou à entendre, si elle le souhaite. – Elle, rencontrée, idéale toujours.
POSTE DE VEILLE
Constante. Heureux de m’y situer, car on m’en montra la voie – je veux parler d’instances absolument incontestables – je suis à ma tâche de composition, sans doute. Constante de l’idéale beauté qui me ravit tôt. Car je ne pense pas, je dépends de la seule raison. Ce jour, quand l’air se proposa inspirant, je choisis d’écrire des rythmes, regard posé sur la Montagne-qui-parle, où siège le Chœur des Muses. Dès lors, la plume s’envola pour revenir maintenant transmettre le bouquet du nuage qui la porte, où elle se fond et nuage qui se transmue en page. Selon les accords multiples que la plume transcrit, une musicalité certaine, nouvelle, fonde le poème. Je n'y suis pas et me tiens simplement, dûment, sur le seuil d’une telle opération syntaxique, prosodique. Ayant formé le vœu d’expression propre aux vocables, à leurs séquences, de retour de la base portuaire de K., ce soir la plume prit les devants sitôt amarré mon bateau. Je courus au-devant de l’idée de contemplation, posai mon sac à dos et m’assis à mon bureau. L’Azur limpide me sollicita pour dire la plénitude et j’ai le soupçon que la plume et la Montagne-qui-parle en furent par l’Azur informées, y souscrivant à la faveur de la constante qui me ravit, celle de l’idéale beauté dont le Chœur des Muses est l’Instance, que la plume toujours est conviée expressément à entendre près le Palais des Hauts, moi-même veilleur et m’assurant de la juste transcription, notant avec sérieux le procès qui se réalise, jusqu’à l’accomplissement du poème.
RÉCIF CORALLIEN
Bâtir. En toute transparence, soit franchement, par la nécessaire adhésion au roc, se créent les rythmes inspirés de la plénitude, roc parfait elle-même et suggérant ma place sur le seuil, tandis que s’accroît le phénomène créatif dont, depuis toujours, elle est la cause, la raison. J’écris certes mais on me l’enjoignit grâce au fait d’une entente cordiale consistant dans mon seul regard posé sur la Montagne-qui-parle, suite à la dernière rencontre que j’eus l’heur de vivre auprès de ma Dame. De fait mon regard s’inscrit dans le prolongement du regard qu’elle, ma Dame, posa sur moi, jussif s’il en est et, par là même, proposant l’essor de la plume, dès lors que, rentré chez moi, je me souviens et ce, en ma qualité à la fois d’amant et d’adepte de la praxis propre à la raison. Je recueille simplement en l’occurrence les fruits de la raison, une affaire d’instant après une période de plusieurs jours passés loin de ma demeure, dans laquelle la dernière rencontre avec ma Dame s’inscrit. Nous ne bavardions pas, non ; un regard d’elle me suffit, posé sur mon visage à une dizaine de mètres, distance équivalent aux mesures de son bureau nous séparant elle et moi, sur la table de quoi se trouvait un P.C. où elle nota le rapport écrit de notre entretien, dans le contexte d’une mission en mer. Elle et moi nous trouvions heureusement sur la même frégate. Je passai alors au Service de Santé avant de pouvoir plonger avec quatre de mes coéquipiers vers les fonds bleus, à des fins d’analyse du corail. Quand enfin elle formula l’ordre à mon attention : « Bonne chance, Lieutenant. Vous pouvez descendre prélever les échantillons. »
L’AZUR SEUL
« Sois toi-même quand tu écris et dans tous les actes de ta vie. Ne leurre personne. Ne triche jamais. Ta conscience est le don nécessaire. Et quand la Grâce te le commande, écris. » Je me souviens de ce que nous disait notre maître d’école. L’écriture est pour moi une respiration, un mouvement naturel au même titre que la marche ; non pas une affaire exclusive de mots mais une question de rythme que les mots servent. Il dépend de moi que l’inspiration première me soit accordée et, par suite, son effet, c’est-à-dire l’expiration sur le mode de la musicalité des vocables. Interprète, je transcris ou traduis l’ordre intimé par le Chœur des Muses et la demeure où je vis est une chambre d’appel que la plume dirige avant et après convocation près le Palais des Hauts. De fait, je suis un actant du procès syntaxique et allégorique que l’on édicta tel jour et mon seul miroir c’est l’air que la plume me donne à entendre. Nous écrivons des paysages harmonieux, les paysages naturels, dont mon âme mue par le Chœur des Muses s’éprend avec honnêteté. Craignant la faute, je choisis Amour, qu’Azur m’accorde, entité où souvent s’anime le flot des nuages. Cet amour est l’écriture florale ornée des fragrances. À bord de l’un des nuages en effet la plume, encore ce jour, m’apparaît. Nous écrirons le poème et le remettrons près le Palais des Hauts. Assimilable à l’action commandée dont au quotidien je suis, entre autres sœurs et frères d’armes, l’un des sujets dans le cadre de mon travail à la base portuaire de K., l’écriture du poème sur la page dépend de l’ordre de Raison, au service des valeurs humaines et de la justice. Chaque jour s’organise autour de l’ordonnance des signes dont la lumière de l’Azur fonde l’euphonie. Nous sommes ses voix, ses notes.
LA FIDÉLITÉ À SOI-MÊME
Je ne me berce jamais d’illusions lorsque, de retour chez moi, après plusieurs jours de mission, je décide d’écrire. Au contraire, l’écriture s’ancre dans la réalité de mon vécu. Je ne change pas ma posture de personne vigilante devant la page, je poursuis la marche, sans le moindre regard porté en arrière, mais toujours droit devant. La plume va selon la dynamique de mon inspiration, maintenant. La Forêt, le Grand Fleuve, la Montagne-qui-parle, l’Azur, fixent mon attention contre moi-même, à la faveur de leur dialogue sacré, sublimement musical, s’il en est. J’ai la concentration farouche et l’œil sûr en toute circonstance, sans considération aucune pour un autre motif que celui qui m’est conféré par le Chœur des Muses. Ma personne agit près le Palais des Hauts, au titre de veilleur. S’agissant de l’inspiration qui m’est octroyée par le Chant de Nature, auquel j’assiste chaque jour à ma place de résident privilégié, elle doit s’entendre comme une réponse à l’appel de la beauté souveraine, en d’autres termes l’appel de la beauté féminine. France. Je ne peux mentir par conséquent pas face à la puissance de l’appel, acte convoquant la plume et à l’envol de laquelle j’assiste aussitôt dans ses battements arc-en-ciel qui me raviront grâce à ses effets cristallisant sur le mode poétique ou de la critique et participent de la transmutation de son nuage, que composent harmoniques et chromatismes, en page. Il en ressortira le paysage de Nos Amours près de quoi je me tiens, car en l’occurrence je demeure sur le seuil – les rythmes de la prosodie nouvelle étant le fait exclusif de la plume, que j’accompagne tel le Grand Fleuve accompagne la Forêt et le bateau à bord duquel, chaque jour, je navigue d’un quai à l’autre sur ordre de ma hiérarchie, la plume, cette entité qu’animent les Vertus siégeant près le Palais des Hauts. « Nous comptons sur vous, Lieutenant Artemus Jungle. Soyez prêt. À demain. »
ENVOLS
Le bateau file à bonne allure sur l’océan … Je suis à la manœuvre … Je me souviens ce soir, de retour chez moi, de notre nuit passée sur la Côte … Il pleuvait beaucoup. Nous avions reçu l’ordre de contrôler plusieurs chalutiers en vérifiant les quotas de leur pêche. On avançait dans les brouillards givrants du nord. L’aube n’était pas encore levée. Nous avancions, concentrés sur les graphes lumineux de nos écrans de bord et sur le champ de proue éclairé par nos phares. La surface agitée de l’océan ressemblait à du marbre bleu, non seulement par la couleur arborée mais aussi par sa dureté – étant donné notre vitesse. Nous avions une liste d’objectifs précis ; autant de noms, autant de positions ou de points d’ancrage sur la carte, à grande distance les uns des autres somme toute. Nous étions les Yeux de la Nuit. Nous eûmes à établir quelques procès-verbaux relatifs à l’excédent constaté par nos experts. L’opération fut réalisée en trois heures. À 6 AM, l’aube se levait, nous revenions déjà vers K. par la voie fluviale, ombre parmi les ombres. La Forêt ce jour était dans la brume et silencieuse. Il pleuvait encore beaucoup. Nous naviguions à vitesse réduite quand l’idée du poème m’apparut à l’envol soudain des oiseaux échassiers. Ils avaient pris leur essor depuis un lac, non loin. Je les regardai passer dans l’air au-dessus de nous et sous le grand arc-en-ciel qui se dessinait au commencement de l’embellie. Les oiseaux volaient sous l’arc multicolore dont les piliers jaillissaient au-delà de la canopée majestueuse. J’eus l’idée du poème, à voir la merveille des envols chromatiques que nature lors nous proposait – et le Soleil se levait. Fidèles à l’équilibre, nous progressions sur le Grand Fleuve sans déranger du tout le phénomène aérien, aussi silencieux que lui. Je me souviens de ce phénomène devant ma page qui, outre l’intervention officielle, augmente mon expérience de marin des motifs extraordinaires que seule Mère Nature peut offrir. À de tels motifs d’écriture, la plume s’est à son tour envolée à destination du Palais des Hauts qui doit statuer quant à la nouvelle architectonique dont la plume est détentrice. À bord de son nuage, elle revient déjà, cristallisant les rythmes confiés et déjà, le nuage se transmue en page. La parole transmise est toujours fragrances sublimes, propriété du Chœur des Muses et de Mère Nature. Nous-mêmes fragrances sublimes.
NOCTURNE
On dépend. Je veux dire par là que, n’étant moi-même jamais satisfait de ce que j’écris, je crois en la plume. Par force de Raison, elle écrit. Il en est de même pour chacune de mes actions dans le cadre de mon statut d’agent. On dépend d’un ordre de Raison, mes sœurs et frères d’armes et moi. Nous sommes de l’Action Commandée. Je rentre par exemple ce jour en ma demeure, après neuf jours de mission. Il est 7 AM. J’écris sitôt qu’arrivé. On dépend. Ordre nous fut donné de gagner le Fort dit « De Lisle », situé dans la Région Nord de l’océan, afin de là embarquer sur nos zodiacs et stopper un cargo suspect. Il s’agissait d’une opération de nuit. On nous convoqua pour une semaine de préparation et de renseignements. Nous reçûmes l’information et le plan fourni par le traceur GPS. Quatre heures avant l’interpellation, briefing, nous quittons K. à bord de la navette. Minuit. Le silence règne jusqu’au signal. « 82000 pieds, Messieurs. On vous largue. » Nous sautons. Nous sommes dix plongeant depuis la stratosphère. Je vois la petite lumière codée du Fort au terme de cinq minutes de chute libre, je regarde le Capitaine, le Capitaine fait signe, nous ouvrons nos parachutes. Un quart d’heure suffit pour que nous touchions le sol de granit de la cour du Fort. À minuit vingt-cinq, nous démarrons les Mercury. Je consulte ma carte GPS. Nos deux hors-bords filent côte à côte à la vitesse de 120 MPH. Aucune émotion. À 1,30 AM, le cargo est en vue. 2 AM, nous lançons les grappins. 2,30 AM, l’interpellation est réussie, la cargaison mise sous clef, placée sous notre autorité. Le Capitaine et moi ramenons le cargo à K. Aucune émotion. On dépend. Ces mots du Commandant O. pour conclure : « C’est l’affaire de la Justice maintenant, Jungle. Mission accomplie. Vous nous avez ramené le cargo. Vous pouvez rentrer chez vous. Il est 5 AM. On se retrouve cet après-midi pour le debrief. »
AU MESS
Ce jour, à Midi, le Sergent T. m’entretenait de son expérience exceptionnelle de frère d’armes, tandis que nous étions à table, au mess du Secteur 3 avec vue sur le port de K. Le climat était à la réjouissance autour de l’authentique Cassoulet de Castelnaudary, préparé par notre Chef et sa Brigade, conséquemment à notre dernier coup de filet. « Je soulage la culasse à raison de cinq fois par semaine, Lieutenant », me répondit l’homme à une question que je lui posai sur son rythme hebdomadaire de pratique des armes, connaissant de lui les performances du tireur d’élite récompensé de nombreuses fois par notre hiérarchie. Il ajouta que le stand de tir était un des lieux privilégiés de notre équipe, outre le dojo, le terrain de sport. « C’est sans émotion, Lieutenant. Vous le savez aussi bien que moi. C’est dans l’ordre des choses. Et quant à l’art dont vous exercez l’un des domaines, à savoir l’art de la musique, je travaille le tuba trois fois par semaine. Il entretient la respiration et le souffle. Je m’autorise fréquemment par ailleurs à écrire la musique avec les mots, comme vous. On me sollicite toujours pour le Défilé, vous savez. J’en suis très fier. » L’homme m’assura aussi qu’il formait les jeunes recrues de notre Régiment à la discipline très stricte qui nous est imposée. « Vous n’êtes pas sans savoir, Lieutenant, à titre d’ancienne recrue, que nos exigences surpassent le confort intellectuel de la personne se disant : moi, je, etc. Non, Lieutenant. » J’acquiesçai à la clairvoyance extraordinaire de l’homme qui, au demeurant, m’instruisait tout en m’évoquant les Vertus. « C’est Non et c’est Nous, Lieutenant. Le pourcentage des admises ou admis est minime, fondé sur les critères de l’excellence, les valeurs de la Démocratie. Quand je me rends au stand de tir, au dojo, sur le terrain, je ne suis personne, Lieutenant. Lorsque je joue du tuba, je suis note. Et notre métier – notre art – est l’affaire de chaque instant, soit la suprême Instance. Voilà tout. »
ÉCRIT CE DIMANCHE, PENSANT À VOUS MADAME
Je suis au contact et j’écris d’après des phrasés que j’entends, libres mais parfaitement harmonieux. Il s’agit d’une composition improvisée au piano par le jazzman Thelonious Monk. Assis à la table de mon bureau, je ne pense à rien et ce, après avoir lu dans le texte Homère. Il advint que j’eus mon dimanche : j’en profite pour lire, écouter de la musique, écrire. Je suis roi en ma demeure. J’ai l’énergie du tigre. J’habite le palais bâti de mes mains au pied de la Montagne-qui-parle. Posté à la fenêtre donnant sur mon jardin de tulipes, de rosiers, de jasmin et de lys, je songe, tandis que Monk joue. J’ai l’acuité de l’aigle. Dès l’instant du phrasé premier en son action voltigeante me vint l’idée gravissime des Juges. Aux notes existe des mots le parallèle et les correspondances, qui m’ordonnent la prosodie singulière, cette « musique de l’âme » dont Charles Baudelaire exprime la réalité à l’attention d’Arsène Houssaye. Et l’idée majeure des Juges, sitôt prégnante, fonde la cohérence de mon inspiration générant les signes. J’écris aux notes entendues de Monk volontairement mon architectonique. Et mes signes sont des fragrances, le bouquet verbal, en d’autres termes « floral », dont le Chœur des Muses est le Sujet Réel et la Suprême Instance. Car je suis voué au Chœur des Muses, par nature. Je ne connais pas le lieu et n’entend que le nom du siège, à savoir « Le Palais des Hauts » – où les déesses résident. Seule la plume, aux rythmes confiés, de leur voix dessinera les signes et, sous l’effet de la cristallisation, donnera l’absolu de parfum. Le nuage, à bord duquel voyage toujours la plume, de retour de la Confidence, se transmuera en page. « Ce sera le flacon à offrir à la Dame », ordonna le Chœur des Muses. Ainsi ce jour, Madame, en votre honneur et saluant votre beauté, ce mariage de l’ylang-ylang et de l’orchidée auquel j’assistai sur le seuil de l’Institution sise sur la Montagne-qui-parle, depuis ma demeure et non sans crainte. Artemus.
VOCATION
J’aime la vie. N’appartenant qu’à la vie, je construis mon existence jour après jour dans mon travail, dans l’écriture, dans l’obligeance suprême à l’égard de Raison. Retour de ma journée à la base portuaire de K. consacrée aujourd’hui à la préparation aux essais d’une nouvelle Formula sur le Lac de Y., j’écris. Nous vérifiâmes d’abord les performances du Mercury dernier modèle, avec les ingénieurs et techniciens, à l’atelier, au bureau d’étude ; puis je pris ma place à bord du simulateur. J’eus à réaliser plusieurs tours de circuit Inshore par tous les temps. Sur ce point, ma concentration fut sollicitée au maximum, mais je ne produisis aucun effort en l’occurrence, si ce n’est l’effort minimum. Toujours à l’affût de l’optimisation du moteur, ma posture est aérienne. Je m’inscris à cet égard dans le cadre des conseils donnés par l’homme-radio, exclusivement. J’écoute, j’applique. Tout est question d’économie optimale en effet lorsque je tiens la barre. Je vérifie la force des vents, les données du compas, ma vitesse sur l’eau, j’entends les précieux avis de l’homme-radio, j’applique. Le Mercury va nous aider à obtenir de bons résultats certainement lors de la prochaine compétition. L’ambiance est à la joie. Sans mentir, nous sommes prêts pour le début du nouveau championnat. De même quand j’écris un poème, je suis dans la posture de l’homme à la barre, guidé par les rythmes dont la plume instaure la dynamique, seule confidente du Chœur des Muses, au titre de messagère du Palais des Hauts. Par conséquent, je note et me tiens sur le seuil de la Cour Décisionnaire qui stipula l’architectonique du jour. Moi-même ne sachant rien des paroles prononcées par le Chœur des Muses près le Palais des Hauts, je suis aux ordres de la prosodie cristallisant sur la page à chaque mouvement de la plume. J’assiste toujours de fait à la transmutation nécessaire du mot en note musicale, c’est-à-dire en fragrance sublime. Car le Chœur des Muses crée et, par la raison qu’il est la voie suprême de la créativité, j’obéis, veillant sur le seuil au bon fonctionnement du procès poétique qui a lieu, de jure. On me confia, dans mon enfance, le bouquet de fleurs que je devais déposer au pied de la Montagne-qui-parle. C’est alors que la Montagne arbora les couleurs de l’arc-en-ciel. Et il y eut un envol de colombes. Par suite, je reçus le présent d’une plume qui se tenait en suspension dans l’air et que j’accueillis, sans la saisir, dans ma chambre. Tantôt la plume se transformera aussi bien en plume d’aigle, selon le climat et la décision du Chœur des Muses ; moi-même affecté tout jeune près le Palais des Hauts et nommé dans le même temps gardien de la Promenade des Nuages sur ordre de Notre Majesté L’Azur, me vois orienté vers les rythmes de la Colombe ou vers les rythmes de l’Aigle. – On ne peut absolument pas en rire.
QUELQUES NOTES SUR LA MISSION « PHANTOM »
Je consulte ma montre, 1 AM. Fort dit « De Lisle ». Vision nocturne sur l’océan, région nord. Il pleut. La neige commence même à tomber. Je suis face à un écran numérique vert de forme circulaire, l’œil derrière ma lunette. La distance de l’objet flottant et naviguant est à 30 nautiques. Une heure s’écoule. La distance s’est réduite. L’objet flottant et naviguant est à 20 nautiques. Deux journées sont passées depuis qu’il est apparu dans notre champ de vision. Avant-hier, premier jour, nous fîmes un vol de reconnaissance. « Suspect », me dit le Capitaine B.
« Outre que le contact radio révèle des incohérences de leur part. Trois nuits suffiront, Jungle. Ils ne savent pas, ils ne peuvent savoir où nous sommes, ni d’où nous les appelons. », ajoute-t-il. Je consulte ma montre, 4 AM. L’objet flottant et naviguant n’a pas réduit la distance des 20 nautiques. Des pas derrière moi. C’est le Sergent T. Il dit : « Nous y allons, Lieutenant. » Nous descendons, lui et moi, rejoindre l’équipe sur le quai. Je démarre le zodiac. L’objet flottant et naviguant est un cargo. Nous avons couvert la distance des 20 nautiques en 10 minutes. Je mets nos quatre moteurs au ralenti. Trois de nos hommes lancent les grappins. Nous sommes quatre, dont le Capitaine B., à atteindre le pont du bateau suspect en l’espace de 5 minutes, tandis qu’un seul des nôtres est resté aux commandes du zodiac. Le pont est désert. Le pont est blanchi par la neige. Température négative, – 2 ° C. J’avance dans la nuit de flocons, couvrant la surface qui me fut impartie, soit 200 mètres. C’est sans émotion. Je n’ai pas peur. Je garde l’œil fixe derrière ma lunette.
« Là, Jungle … », me murmure le Capitaine. La lumière derrière la porte métallique entrouverte éclaire une partie de la poupe. Nous entrons après que j’ai fait signe à nos deux coéquipiers.
À l’intérieur, les suspects ne nous attendaient pas. Il est 5 AM quand nous les faisons descendre par l’échelle de corde à bord des navettes de l’équipe de renfort arrivée sur place 10 minutes après le signal. L’interpellation fut réalisée en 20 minutes. « Jungle, nous ramenons, vous et moi, le cargo et sa marchandise de contrebande à K. » dit le Capitaine B. Nous serons au port de K. 1H30 après avoir levé l’ancre du navire marchand. Il est maintenant 8 AM, et j’écris avant d’aller me coucher, quelques minutes, histoire de me souvenir.
ANCRAGE NORD-OUEST
Frégate où je suis à bord. Nous avons jeté l’ancre près des rivages très froids de l’océan. Je regarde l’iceberg sous la neige. Il a la structure d’un poème, bloc émergeant, infaillible et conçu par Nature. L’inspiration me vient alors de le choisir comme modèle d’écriture. Pour ce faire, je dois me préparer, c’est-à-dire neutraliser toute attaque égocentrique, tirer sur la moindre sollicitation narcissique comme je tire sur la cible à l’entraînement, autrement dit ignorer le miroir aux alouettes dont je suis, ou pourrait être, le seul responsable face au magnétisme de ce géant de glace. Certes, il y a la réverbération sensible malgré ce ciel de neige mais ce n’est pas la cause du tout du sentiment d’orgueil ou d’abjection qui peut parfois se camoufler et surgir à l’improviste. Non, plutôt prendre en photo la murène ou le cobra avant leur attaque décisive, fatale. Ma préparation à l’écriture du poème en l’occurrence est exigeante, je dois mourir à moi-même et aller à la structure de glace comme on plonge à la mer. Je suis très petit face au géant blanc, même notre frégate est petite vis à vis de lui. Je n’ai rien à faire qu’à le regarder, pourtant. Viendra le moment où, telle la gomme, il m’effacera. Devenu mon seul miroir, il épousera l’eau et l’azur pour me soutenir dans l’idée d’écrire. Ce moment est déjà venu de fait, dès lors que je posai mon premier regard sur lui. Mais il n’est, ce me semble, aucune préparation au poème sans en avoir l’idée préalable et ladite préparation n’a une durée que d’à peine quelques secondes. Cette préparation au poème prend fin dès la prise de conscience de soi, au moment où l’on sollicite la plume. Par conséquent, j’écris et les mots s’organisent selon un rythme glacial imposé par le géant blanc. Je lis l’iceberg et l’iceberg est une page écrite, dont la plume – où cristallisa la parole – retient les nuances bleu blanc, les accords maritimes. Je suis sur le seuil du phénomène opérant, depuis mon poste d’observation. J’entends la Préhistoire et l’Origine de notre Terre dialoguant à l’invitation de Nature, car le géant de glace est mon seul miroir, le miroir de soi qui m’effaça, moi et mes passions. Où j’apprends enfin sur ce seuil que musique et prosodie doivent s’entendre sans écho, conçues telles, quand résonne par exemple, comme c’est le cas ici, le glatissement de l’aigle pêcheur. Sans écho, sans excès.
LE PRIX DE L’OR
Je viens de rentrer ce soir chez moi. Une journée passée avec nos collègues de la Douane, à contrôler le contenu des bagages à l’aéroport de K. Le temps est à la fraîcheur, il fait bon à cette heure. Il a plu le matin et l’après-midi. Maintenant, je profite de l’embellie en regardant la Montagne-qui-parle, sans me poser de questions. Au titre d’agent de l’État Français, je perçois un salaire et cette rémunération est ma fierté, ma dignité d’être humain. Ma fonction se définit comme responsabilité majeure assumée sous les ordres de la hiérarchie propre au Ministère dont je dépens. Je suis chargé de défendre les valeurs de la démocratie. L’État est la richesse fondamentale qui donne sens à mon existence. J’ai pensé et prononcé le serment d’obligeance envers les Autorités, envers mes supérieur(e)s, lors de mon entrée dans le Secteur 3. Ce serment est le gage de la gratitude dont mes supérieur(e)s font preuve à mon égard. J’ai signé pour la vie. Mon existence ne peut s’entendre que relativement à notre Code d’Honneur, au service des Vertus, car l’État Français est protégé par les Vertus. Elles fondent les valeurs du Vivre Ensemble. Je défends les foyers, je défends l’honnêteté, je défends la richesse fondamentale qu’est notre État. Je dépends. Je dépends de la gratitude de ma hiérarchie et, au-delà, de la confiance que ma hiérarchie m’accorda en me recrutant. Ma famille est l’État. Nous sommes, mes sœurs d’armes, mes frères d’armes et moi, engagé(e)s vers le même objectif : défendre et faire respecter les lois autour desquelles s’organise l’existence de nos concitoyennes, de nos concitoyens. Jamais je ne porterai atteinte aux valeurs sociales que nous partageons et transmettons grâce à l’héritage de nos Anciens, voué(e)s que nous sommes à l’Éthique. Nous avons toutes et tous grandi dans le cadre de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité, les trois concepts qui donnent à notre existence la valeur essentielle d’Enfants de la Patrie, le prix de l’or.
QUELQUES NOTES SUR L’AFFAIRE DU YACHT
C’est l’instant de l’écriture, un moment privilégié qui s’inscrit dans le dialogue entre la plume et le Chœur des Muses, près le Palais des Hauts. Il aura suffit d’un regard que je posai sur la Montagne-qui-parle, de retour d’une enquête au nord passée à l’hôtel et dans les bureaux du Secteur 2. Je reviens, au bout de dix jours, période durant laquelle je n’étais par conséquent pas chez moi. Dans cette cité de B., grande station balnéaire, ma chambre d’hôtel avait un balcon donnant sur le paysage marin, soit l’océan et le port où, par ailleurs, se situent les bureaux du Secteur 2. On me confia une voiture de fonction, Mustang. J’eus l’heur, avec l’aide de ma coéquipière, de trouver les lieux et de recueillir les informations indispensables au bon déroulement du procès à venir et qui, dans le même temps, répondaient aux besoins de l’enquête. Je reconstituai une espèce de puzzle d’après deux indices d’abord : une pièce de 10 cents laissée sur le quai et un cheveu. Nous les apportâmes, ma coéquipière et moi, au laboratoire du Secteur. Nous eûmes ensuite les résultats espérés quant à l’identité des suspects. Au préalable, plusieurs témoins oculaires nous avaient suffisamment renseignés. Le coffre-fort d’un yacht venait d’être forcé et son contenu dérobé. La victime de ce délit n’était autre que le propriétaire de l’hôtel où je passai cette période de dix jours. Son yacht fut, pendant les trois premiers jours, l’objet d’une surveillance constante de la part de nos services. « Plus de 100 000 euros, Lieutenant. Faites le nécessaire, s’il vous plaît … », m’avait dit l’homme. De fait, il participa indirectement à notre enquête avec une rare perspicacité. Ma coéquipière et moi fûmes sollicités, à terme, très loin de la cité de B., soit à plus de 200 km au sud, dans un autre port, le Port de V., sur la Côte dite « Des Cailloux d’Argent ». La veille de l’interpellation, nous arrivâmes le matin à 8 heures dans l’hôtel que nous avait recommandé notre nouvel associé et néanmoins victime. « Méfiez-vous, Lieutenant, m’avait-il dit, ils sont armés. » Il avait présupposé, à juste titre, l’endroit du recel. À 3 AM, l’opération nocturne fut déclenchée par les Forces de l’Ordre. Nous découvrîmes l’intérieur d’un véritable palais flottant et, surtout, l’emplacement du coffre suspect. On neutralisa les sentinelles, les coupables.
À 3, 15 AM, l’affaire était déjà entre les mains de la Justice. Je redécouvre ma demeure ce matin ; j’ai mon rapport d’enquête à rédiger d’après les pièces du dossier que je viens de déposer sur mon bureau. Ayant dormi à la caserne de K. la nuit dernière, j’ai l’énergie nécessaire pour clôturer la rédaction en à peine un peu plus de 2 heures, outre cette prise de notes consacrée au Chœur des Muses et qui m’offre l’épanouissement, la sérénité.
MON INESTIMABLE LEITMOTIV
L’inspiration est une force tel le vent. La page devient dès lors voile où plume vole selon la dynamique d’une syntaxe appropriée à la confidence qu’elle reçut de la part du Chœur des Muses. Ce peut être un poème, une histoire. Les signes cristallisent sur la page d’après les mouvements imposés par la parole entendue près le Palais des Hauts. J’écris avec ce sentiment de liberté que Raison fixe, ne dévie jamais du programme significatif, qu’il soit imposé ou libre, comme on définit le mot programme en gymnastique. Ce programme m’oblige à demeurer sur le seuil, car mon poste d’écrivant est à la barre. Je dépends de Raison, qui conçut le bateau, le vent et le parcours de la plume sur la page devenue voile. Je suis à la manœuvre, visant la cohérence du procès à titre de barreur / veilleur ; la plume, portée par le vent de l’inspiration et de la confidence, quant à elle, écrit la prosodie. Je n’écoute que la musique du poème en cours et ne vois que le bleu horizon. Il s’agit d’une marche fondée sur l’expérience que j’ai moi-même de la navigation et sur l’instant de plénitude. À l’écriture, sublimée naturellement en un flot de fragrances, s’ajoutent les couleurs de l’arc-en-ciel. Je compose un flacon d’absolu de parfum sous les ordres de Raison et dans le secret d’une rythmique que seule la plume entend. Songeant à vous ce soir Madame, avec qui tantôt je m’entretenais, lors d’un examen médical subit dans l’un des départements de votre Service, le Chœur des Muses en fut informé tandis que mon regard derrière la fenêtre se posait sur la Montagne-qui-parle et sur mon jardin. L’appel se fit aussitôt à l’intention de la plume et la plume s’envola vers le Palais des Hauts. Tel est le présent que je vous offre, sans que vous le sachiez encore. Je n’invente rien et il ne m’appartient surtout pas de juger. J’ai 21 ans Madame. Engagé sous les drapeaux pour mon pays la France depuis quatre ans. Je ne me suis jamais moqué du monde, non. Il ne m’appartient surtout pas de juger. La parole du Chœur des Muses est en l’occurrence imprégnée d’une union entre la fleur d’oranger et le jasmin – et son rythme, transmis par la plume, marqué par silences et contretemps, où se situe le degré d’absolu. Ma faculté de juger dépend toujours de Raison. Je reviens vers vous Madame, ô mon inestimable leitmotiv, transporté par l’impression de la merveille que vous m’offrîtes à m’adresser la parole. Je vous ai de surcroît vu danser Madame. Vous m’accueilliez dans votre loge. Et je ne vois que le bleu horizon dont vous êtes revêtue. Ainsi, votre parole contient le flacon : « Vous pouvez y aller, Lieutenant Artemus Jungle. Je vous envoie les résultats. Voici, la date de notre prochain rendez-vous. »
LE MOMENT TURQUOISE
Souvent, pour me retrouver sans néanmoins m’être perdu, j’écris. Je ne me perds jamais dans mes pensées, c’est heureux mais je considère la page comme un étai du jour, de la semaine, du mois, passés ailleurs que devant elle, au titre de propriété du poème. Je reviens chez moi, par exemple, aujourd’hui au terme d’un mois de navigation sur les mers du sud, où nous côtoyâmes les horizons turquoise, les langues insulaires, les chants et les danses de la courtoisie. J’avais reçu, pour ma part, l’ordre d’effectuer des rondes de surveillance à bord d’un zodiac très puissant afin de contrôler tout excès, dans les domaines du Code de la Navigation et du transport de marchandises. Nous vînmes en renfort, mes coéquipiers et moi, à une période où le tourisme bat son plein. J’ai vécu le dépaysement des Tropiques Nord dans une caserne confortable avec vue sur le trafic portuaire, où de grands voiliers sont amarrés. Au retour, notre frégate mouilla au large de la Floride trois nuits quand, deux heures avant l’appareillage, un hélicoptère américain vint se poser avec, à son bord, le Commandant qui devait requérir nos Services. Le Capitaine B. me manda : « Jungle, on a besoin de nous. Le Sergent T. et le Brigadier-Chef R. vous accompagnent. Vous prolongerez votre mission de deux semaines. Bon vent, Jungle. » Nous fûmes trois à nous envoler à destination de Miami, la cité polychrome. Je garde le souvenir de courses-poursuites entre les blocs lumineux dont les couleurs le soir se ravivent. C’est ici que j’ai découvert le Inshore avec un réel intérêt. Le Sergent T., le Brigadier-Chef R. et moi-même, le pratiquons depuis assidûment. Il y eut en effet des compétitions auxquelles nous participâmes, outre notre travail d’enquêteurs relatif à un vol de bijoux qui se montait à plusieurs millions de dollars. On identifia les suspects, on les interpella. Je n’en dirai pas plus. Maintenant, je me trouve face à la Montagne-qui-parle, notant mes impressions. La plume s’est envolée et déjà me revient, sûre du rythme qu’on lui confia près le Palais des Hauts et que l’on intitula « Le Moment Turquoise ».
QUOTIDIEN
C’est toujours un matin ordinaire. Je me réveille à l’aurore. Je nettoie le sol et les meubles. Face à moi, derrière la fenêtre du séjour, trône la Montagne-qui-parle au-delà de mon jardin fleuri. L’air est frais quand je sors après avoir pris mon petit-déjeuner. Je largue les amarres de mon bateau pour me rendre à K., sa base portuaire, son Secteur 3, sa salle de Sport où je vais commencer par exécuter une cinquantaine de pompes sous les ordres du Sergent T. Après la douche, 8,30 AM, je gagne mon bureau. Notre équipe travaille en ce moment sur un dossier épineux qui exige de nous une présence quotidienne dans la ville et dans le port. J’ai recueilli les témoignages, je les ai tapés puis imprimés. Ma fonction en l’occurrence s’oriente maintenant vers la filature. Où nous conduira-t-elle aujourd’hui avec mes sœurs et frères d’armes ? Je ne sais pas. La raison nous oblige, toutes et tous ; nous oeuvrons au service du besoin de sécurité de nos concitoyennes et de nos concitoyens et l’essentiel est de veiller à ce que le désordre et le crime soient résolus, afin d’y répondre, d’accord avec les valeurs fondamentales de la démocratie. Chaque instant me sollicite pour demeurer vigilant. Il est tard lorsque j’arrive chez moi ce soir et que je prends la plume. Je me rends compte que mon inspiration est moins métaphorique ou allégorique que narrative, au sens réaliste du terme, il est vrai. Le Chœur des Muses le décida ainsi et la dimension musicale n’en est pas moins prégnante. La plume la transcrit avec fidélité, d’après la confidence qu’Il lui fit. Moi-même sur le seuil, au bord de la page, prenant conscience que c’est de mon expérience dont il est question, de mon quotidien. Le lyrisme, réduit au minimum, je me laisse toutefois transporter par le fait linguistique, notamment le fait prosodique, avec la spontanéité de l’enfance. Je me plais à entendre l’écriture comme une ressource inépuisable, la vérité quant à l’expression de soi, moi-même sis devant les vocables que ce moment privilégié organise. Je suis fixé et mobilisé à la fois par un tel moment, moi-même signe de l’écriture du Quotidien, dans tous les actes sociaux que je réalise, bien dans l’existence, non mécontent de la plénitude qu’elle me confère. L’enquête progresse avec succès, elle me tient en haleine. Jour et nuit, sans y réfléchir outre mesure, je reste à la place que Raison m’attribua sur ordre de ma hiérarchie ; ce dans la mesure où il m’est impossible de la désapprouver, puisque je ne le veux pas, puisque nous ne le voulons pas.
