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PUBLICATIONS XIX

Nouvelle policière

Basquiat Stardust.jpg

Jean-Michel Basquiat, Stardust, 1983. Un document Amazon.

SAISON PREMIÈRE

Nouvelle policière

 

Quelques mots transmués en notes,

Suffisants pour dire un poème

Autour du temps où chacun sème

Partout sur les monts, sur les côtes.

 

Sans la peur de faire des fautes,

Nous entretenons l’Amour même. –

Quelques mots transmués en notes,

Suffisants pour dire un poème.

 

Commencé sur les cimes hautes

Puis rendu aux vallées, essaime

Le printemps dont sèmes et lexème

Nous transportent telles les flottes. –

Quelques mots transmués en notes.

 

I

EMBELLIES ET PREMIÈRES FLEURS

 

             Parce que l’écriture peut être une lecture de soi, elle m’adressait ses poèmes pour que j’apprenne à mieux me connaître. Je l’écoutais me les dire aussi lorsqu’elle en avait terminé un ; par exemple, celui qu’elle composa un jour, sur le printemps. La saison première en effet venait à son tour, après un hiver plutôt rigoureux et elle avait choisi de lui rendre hommage. J’étais dans nos comptes au moment où elle se proposa de me le donner à lire. Ensuite, elle me le lut. Le Soleil entrait par la fenêtre modérément, sans trop dispenser de lumière ni de chaleur. Je l’entendis non sans émotion. C’était rafraîchissant, joyeux. Il me donna du cœur à l’ouvrage. Je clôturai la synthèse du budget annuel de notre propriété, qu’elle valida après que je lui eus demandé de vérifier. Nous nous apprêtions à déjeuner. On passa à table, après avoir cuisiné les pâtes à la carbonara, mangeant avec appétit et devisant sur le travail de la journée, sur ce qu’il nous restait à faire durant l’après-midi. Nous quittâmes notre domicile une quinzaine de minutes après le repas et allâmes travailler.  – À ce soir, me dit-elle. Nous nous séparions sur le seuil de notre immeuble. Je l’embrassai, partis au bureau. Quelques dossiers m’attendaient, que j’avais soigneusement disposés en pile avant de les soumettre à mon supérieur, une fois traités. Il faisait bon. Le printemps était partout présent, dans nos discussions entre collègues ou homologues, dans toutes les tâches qui nous étaient confiées. Nous avions chacune et chacun cet enthousiasme qui est celui des gens heureux, soucieux d’accomplir simplement leur fonction sociale au sein de la cité.

             J’avais sous mes yeux un texte qu’il me fallait traduire. Ce que je fis en à peu près une heure, avant de passer aux suivants ; cinq au total. Ce pouvaient être des textes courts. Le plus souvent, il s’agissait de manuscrits de plusieurs centaines de pages, que j’analysais et interprétais par étapes de dix à vingt pages. Il m’arrivait, plus rarement, de commenter les œuvres si ma hiérarchie m’y invitait. En début de soirée, au Soleil couchant, je mis de côté les derniers textes puis rentrai. Elle était déjà là. – Maintes opérations, me répondit-elle, quand je lui demandai si ça s’était bien passé sur son lieu de travail. Des dérivés, des intégrales, appliquées au projet de restauration de la coupole. Oui, c’est passionnant. Je n’ai pas vu le temps passer, ajouta-t-elle. Elle était l’enthousiasme même. La lumière de la joie rayonnait du fait de sa simple présence. Il me suffisait de la voir, de l’écouter, pour me sentir heureux. La soirée fut agréable. La mer, à quelques mètres, berça notre conversation. Nous nous endormîmes sereins.

              Nous n’avions tous deux aucune prétention que celle de nous aimer mieux chaque jour, un amour grand et inscrit dans notre quotidien. C’était aujourd’hui dimanche, nous nous levions, le temps était clair, agréable, la mer calme. Nous prîmes le bateau, larguâmes les amarres vers onze heures, juste le temps de prendre un petit-déjeuner, de nous préparer, de traverser la plage. Je hissai la grand-voile, tandis qu’elle tenait le gouvernail après avoir mis le Mercury en marche. Nous fûmes au large en peu de temps, le Soleil brillait d’une lumière douce, comme si l’azur nous souriait, nous accueillait jusqu’au lointain horizon. Je ne pensai à rien à la proue, me laissait porter, respirait l’air pur. On jeta l’ancre dans une crique. Nous passâmes l’après-midi à nous baigner, discuter, lire. Elle écrivait. – Le cadre m’inspire, me dit-elle. Des poèmes qu’elle me fit lire une fois rentrés, au crépuscule. La plage revêtait les couleurs d’or du couchant. Nous étions satisfaits d’avoir passés une belle journée. On prit chacun une douche. Elle mit de la musique caribéenne. On dîna des restes de pizzas que nous avions emportées sur le bateau. La nuit était belle, étoilée, augmentée des notes de l’absolu de parfum que ma compagne portait. On entendait le clapot de la mer sur le rivage. Elle me regarda dans un moment de silence, un moment de solennité aux fragrances de jasmin et de camélia qui me tint dans un état de grâce jusqu’au sommeil de la nuit.

 

II

DES OBJETS D’ORFÈVRERIE

 

                L’appel téléphonique eut lieu aux environs de sept heures, le lendemain. Je devais me rendre de toute urgence au bureau. Je passai mon holster et l’embrassai avant de partir. Elle venait de se lever. Je sortis la Mustang Classic Mach 1 du garage et fus sur mon lieu de travail en vingt minutes. – Laissez quelque temps vos traductions, Lieutenant. Vous êtes dépêché ici, m’ordonna le Capitaine, en me montrant de son index un endroit très précis du plan de la ville entouré et marqué d’une croix au feutre rouge. – L’équipe est prête. Ne tardez pas, ajouta-t-il. Sirène et gyrophare aidant, nous arrivâmes en quelques minutes. J’entrai avec mes coéquipiers parmi les débris de verre, les quelques pièces d’orfèvrerie éparses sur le sol de marbre. Il s’agissait bien d’un braquage. On interrogea le bijoutier, qui avait pu échapper à ses agresseurs. Le vol se montait à des centaines de millions d’euros. Il avait eu le temps de se mettre à l’abri dans la partie privée du magasin, après avoir déclenché l’alarme. La pièce la plus importante de la collection avait été emportée : une parure princière d’or et de pierres précieuses. On releva les indices, on regarda l’enregistrement des caméras. La cellule psychologique nous relaya. Nous revînmes au bureau en fin d’après-midi, pour un débrief. Je fus chez nous à vingt heures. Elle me demanda : – Alors ?  Ça allait oui. C’était une nouvelle affaire pour notre équipe. Rien de plus. La soirée était à nous. Nous allâmes nous asseoir sur la plage. Le Soleil se couchait. La mer était calme, sa surface avait des reflets d’or. Nous nous taisions. L’heure fut contemplative et la nuit douce.

            Le lendemain, je partis au bureau avec elle, qui se rendait sur le chantier en cours dans la basilique. Il était 8 AM. Elle prit la Fiat et m’emmena. – Je te laisse au prochain feu rouge, me dit-elle. Il me restait deux cents mètres à parcourir à pied. Elle poursuivit sur la Grande Avenue, tandis que j’empruntai le boulevard perpendiculaire et disparaissais au milieu de la foule des matinaux. J’entrai à l’agence. Une journée d’analyse de l’enregistrement vidéo relatif au cambriolage m’attendait. Au moment de la pause méridienne mes trois coéquipiers et moi savions déjà qui. L’après-midi, on oeuvra à l'étude circonstanciée des profils. À dix-neuf heures, nous présentions le dossier complet au Capitaine. – Je vous revois demain Messieurs Dames, afin d’élaborer quelque chose qui tienne. Bonne soirée. On se quitta. Je l’appelai pour qu’elle vienne me chercher. – Dans demi-heure, le temps de fermer le site, me répondit-elle. Nous arrivâmes à la maison sous l’averse. Il pleuvait beaucoup. Nous dinâmes. À vingt-trois heures, nous étions couchés.

               Je sortis la Mustang à trois heures sonnantes, histoire de rouler sur la Côte, plus sérieusement, afin d’obtenir quelques informations auprès du directeur d’un casino. Il me fit entrer dans la salle de vidéosurveillance et me passa l’enregistrement datant d’à peine une heure. – C’est bien eux, lui dis-je. Vous avez très bien fait de m’appeler. Pouvez-vous me laisser une copie du film, s’il vous plaît ? Je vous recontacterai, ou n’hésitez pas à le faire si vous avez du nouveau, ajoutai-je. Je rentrai quarante minutes après. Il ne cessait de pleuvoir. Elle dormait du sommeil du juste. Je m’endormis à ses côtés, dans la douceur parfumée de sa chevelure et le rêve.

              Sept heures s’affichaient à notre réveil-radio, un RnB nous réveilla. J’ouvris les yeux et l’embrassai. On se leva. L’air sentait la vanille et le jasmin. À huit heures, nous partîmes avec nos voitures respectives. Huit heures trente. J’entrai dans la salle de conférences, saluai le Capitaine, mes collègues. Le Capitaine nous présenta sa synthèse du dossier, point par point. Il y eut des questions, des remarques, des suggestions. La dernière heure fut consacrée à la mise en place de l’arrestation. On visionna l’enregistrement du casino dont je possédai la copie. Après le déjeuner, nous quittâmes le bureau. Nous partîmes à deux dans chaque voiture, trois au total, pour trois destinations différentes. Deux grands appartements de la cité et une maison cossue sise à la périphérie où par ailleurs nous nous rendîmes, le Capitaine et moi. Je garai notre voiture banalisée devant la grille. Il était quinze heures. Je sonnai. Voix à l’interphone. Le Capitaine montra son insigne devant la caméra. Les portes métalliques s’ouvrirent. Le propriétaire nous attendait sur le perron en présence de sa garde privée, deux hommes en costume et qui ne dirent rien tout le temps que dura le premier échange, bref s’il en est. Le Capitaine sortit le mandat de perquisition de la poche intérieure de sa veste. On entra. – Pouvez-vous nous ouvrir le coffre, Monsieur, s’il vous plaît ? demanda-t-il. Le suspect ne sembla pas comprendre. Il s’emporta. Un volet claqua. La lampe de son Bureau Secrétaire fut jetée à terre. Il ouvrit un des tiroirs, sans néanmoins avoir le temps d’en sortir le Beretta. On le tint en respect. – Vous m’entendez très bien Monsieur. Posez donc la question à vos gardes. Ils sont des nôtres, ajouta mon supérieur avec fermeté. Les deux agents montrèrent leur insigne puis nous conduisirent directement au coffre. L’un d’eux composa le code. – La parure Monsieur, n’est-ce pas ? conclut le Capitaine. Le mandat fut signé par la personne du propriétaire. Le butin se montait exactement à deux-cent-cinquante millions d’euros. Nous le fîmes authentifier par la victime en personne, qui confirma. Nos collègues, quant à eux, avaient opéré dans les deux appartements, l’un au nord, l’autre dans la zone ouest de la ville. Parmi ceux qui devinrent les présumés coupables, seul le propriétaire de la grande maison n’apparaissait pas sur l’enregistrement du casino, ni sur celui de la bijouterie. Néanmoins, nous savions. Nos agents avaient été recrutés parmi ses salariés. Ils étaient à son service depuis déjà dix ans, depuis la précédente affaire, en tout semblable à celle qui fait l’objet de ce récit, mais traitée alors comme « classée » car le butin avait pu être écoulé dans l’achat des biens immobiliers luxueux où tous habitaient maintenant, où nous venions les arrêter. J’appelai le directeur du casino pour le tenir informé du dénouement. On les jugea par les motifs de tentative d’homicide sur la personne du bijoutier, de deux vols avec effraction aggravés des délits de recel et fraude  au cours d’un procès qui dura plusieurs mois, un an, de fait. On les mit sous les verrous. Le témoignage de nos agents infiltrés, dont celui de mon homologue de l’IRS, le directeur du casino, furent décisifs.

 

III

UN AN APRÈS

 

                Ce soir-là, je rentrai du Palais de Justice. Elle arriva quelques minutes après moi. Elle m’embrassa. Son visage rayonnait de joie. Elle dit : – Les travaux sont achevés. La coupole est splendide. Je t’y emmènerai. Tu verras les dorures, les fresques et les statues ! Plus de mille ans nous regardent !

               La nature renaissait. Les oiseaux chantaient. C’était un nouveau printemps. Nous étions aux premiers jours de la saison. On entendait la musique de la mer, qui nous invitait à venir l’écouter sur la plage. On s’assit. Le Soleil se couchait dans le lointain horizon. Le temps était plutôt à la pluie. Nous profitions, parmi d’autres personnes, des gens qui se promenaient avec leurs enfants, de l’embellie découvrant la lumière du soir pour contempler les dorures du ciel que la mer et le sable reflétaient dedans leur éternelle reconnaissance. Elle écrivit un poème.

 

Le printemps nous revient et les fleurs nouvelles

Poussent sur les monts verts ou dans le jardin ;

Soleil et pluies inspirent des ritournelles

Autour de la nature au rythme sans fin.

Et je regarde le ciel aux couleurs belles

Ce soir qui nous réunit tous deux enfin

Dessus le sable, voyant les vagues telles

Les volutes que je gravai à l’or fin

Pour parer des fresques du haut des échelles.

Rien n’est triste, aussi nos vocables s’envolent

À la nue où le Soleil va se couchant,

Dont naissent les douces pensées, les poèmes ;

Soit ces quelques vers comme les oiseaux volent

Qu’en la circonstance j’écris pour un chant

Réservé à celui qui traduit maints sèmes.

                                                    Jean-Michel TARTAYRE

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