

PUBLICATIONS XLIX
Poèmes


JEAN-MICHEL TARTAYRE
LES POÈMES D’ART JUNGLE
Espaces de la rencontre
Poésie
1
La page blanche réserve parfois un trésor caché.
Les signes, à l’appel de la plume, soudain apparaissent et s’organisent en un chant dont les rythmes traduisent d’abord une marche à pied.
Nous progressons dans la Forêt à bonne allure, le regard droit devant, silencieux et selon la trajectoire d’un sentier que nous faisons d’après la boussole, voie que personne avant nous n’emprunta …
Il s’agit d’un souvenir qui me revient aux notes d’une ballade jouée par ma Dame.
Elle est à son piano et propose des essors inspirant la plume.
Les mots devenus eux-mêmes notes s’élancent vers tel passage dans la Forêt, épisode d’une mission qui devait nous conduire dans la cité de la Femme-qui-règne.
La musique du piano et la prosodie s’allient pour représenter la marche dans son contexte environnemental, son paysage luxuriant, sa faune.
… Nous nous suivons à un mètre de distance les uns des autres. Chaque instant participe de la constante nécessaire d’être à soi comme à ses sœurs et frères d’armes, sans défaut de concentration, où tout est apparemment calme et possible le danger à tout moment. Nous sommes l’air, l’arbre et la pierre du chemin que nous traçons, une mélodie en sourdine dont s’augmentent les voix de la Forêt, leitmotiv autour duquel notre marche silencieuse doit ne figurer qu’à titre de variation discrète.
« Soyez à vous-mêmes comme à ce silence. »
Personne ne parle. Le feuillage doit parler sans qu’on ne le dérange. Laisser se poursuivre la discussion entre l’arbre et la pluie, l’arbre et le vent, l’arbre et la lumière, n’enfreignant jamais l’ordre de la Forêt. L’abnégation est le respect. Le devoir est de se taire …
Tandis que le piano de ma Dame s’anime de nombreux chromatismes ouvrant sur les plages de silence et plusieurs contretemps, la plume continue à noter quant à elle la figure du souvenir de la traversée, jusqu’à …
« C’est ici. »
... Elles ont leurs visages peints, à croire des feuillages qui parlent. Au-delà, les hauts murs reflètent la majesté du lieu, conçus dans le prolongement de la paroi. Dans quelques minutes, nous serons libres d’entrer. Nos paroles s’accordent, le climat est pacifique. Tout, dans nos comportements, témoigne la rigueur bienveillante, la sincérité, l’enthousiasme.
Ma Dame joue l’allegro moderato de phrasés assortis ensuite à la rencontre.
« Elle porte la lumière. »
C’est une statue très ancienne qui dominent les murs de la cité, ce que je nommai en introduction trésor caché de la page et vers quoi la plume souhaita s’envoler. Nature nous comblait là d’un nouveau silence, à voir la statue de Femme-Soleil, qui fonde le poème et le chant de ma Dame à son piano – Passacaglia.
2
Je n’entends que la mélodie dont la plume est seule dépositaire, fidèle au rythme d’une écriture instantanée où en rien ma présence ne perturbe, ne peut être cause de perturbation.
De fait, je n’apparais pas dans cette orchestique des mots et des notes quand voix du piano et prosodie s’accordent en la demeure pour donner lieu à l’interprétation du motif, celui du souvenir ou de tel paysage qui nous charma grâce à sa teneur d’agrément.
« Versus. »
La concentration est indispensable durant la séquence d’ordre syntaxique que la plume réalise au profit du bon sens. Je me dois entièrement à ce phénomène sans lequel le poème ne peut apparaître. J’écris dans le cadre de l’harmonie musicale sans autre intention que de m’adapter aux mouvements de la plume dont un chant est la source, en l’occurrence celui du piano au clavier duquel ma Dame compose. La page blanche devient dès lors pour moi un support lumineux, et par là même une occasion, de rencontre. Un départ, autrement dit.
Il s’agit pour moi d’aller vers l’idée du bonheur de cette rencontre que le chant premier sollicite. Un élan de l’âme qu’entraîne l’essor de la plume sitôt les premières notes perçues, interprétées.
« Solum. »
Je me fixe à l’essor sans égard pour moi et laisse fleurir les mots que la plume pose, tandis que la partition en train l’inspire, nous inspire.
Le Chant instaura le cadre de la rencontre idéale, où je n’apparais pas. Mais forgé par l’harmonie exclusive, il demeure, à titre d’accord sublime entre ma Dame et moi.
« Nec. »
Par l’impérieux respect, je me tiens à distance suffisante et n’interviens pas, mon regard simplement concentré sur le seuil. De soi à soi interprétant, notre entente cristallise dans l’acte authentique, le dialogue musical. Seule l’harmonie prévaut et noue, à nos postes respectifs – elle à son piano, moi devant la page – l’alliance de la note et du mot.
Je me tiens sur le seuil du Chant.
La plume est sa seule dépositaire,
Ma Dame – l’interprète unique.
3
La forme des signes que la plume trace dessus la page me renvoie à la transparence, celle des notes dans l’air dont le ballet effectif coordonne le rythme de l’écriture du poème.
Je vais, conduit par ses mouvements organisés que fondent harmoniques et chromatismes, vers.
« Telle l’exposition. »
Le souvenir, le paysage, existent à titre de motif musical, non d’objet.
Tout l’art de l’écoute attentive me paraît ainsi reposer sur la notion de fugue, au sens psychique du terme ; le vrai miroir étant ma Dame qui interprète au piano des phrasés auxquels la plume s’accorde, comme si chaque note se transmuait en lettre sur la page.
Le Chant se réalise par alliance acoustique, sous la forme d’un dialogue singulier que forge le silence, ou plutôt l’absence d'oralité.
Ma Dame et moi servons le ballet de l’air – où la note et le mot s’invitent l’un l’autre pour, simultanément, créer et suivre le rythme où cristallisent le motif et ses variations. La plume y participe et, de ce fait, transcrit.
D’un tel langage à celui qu’entretiennent la Forêt et le Grand Fleuve avec l’Azur et la Montagne-qui-parle le poème instaura jadis les correspondances sur le mode du Chant. – La pierre parla.
« Écoute, Artemus. »
Ma Dame propose des virtuosités significatives de son talent et de la partition qu’elle interprète. Je suis admiratif, sincèrement, et n’ignore pas la somme des années de pratique qu’il lui fallut accomplir pour en arriver là. Dès sa tendre enfance, elle joua au piano et dansa.
La plume m’avertit là afin que je ne m’abstraie pas lors du passage remarquable traduisant l’envol après l’essor.
« Le final. »
Je me tiens au seuil des mouvements, cette dynamique caractérisant la sphère infrangible des deux voix qui s’expriment à l’unisson, jusqu’à l’étendue de la dernière note dans l’espace des secondes qui précède le silence musical.