top of page

PUBLICATIONS XVIII

Conte

UNE OLIVERAIE

​

Conte

​

​

​

 

Tel jardin est une aire verte

Que nous cultivons lui et moi

Dans le respect strict de la loi

Et prévenant la moindre alerte.

 

Conscients de subir mainte perte

Mais forts des fruits de bon aloi. –

Tel jardin est une aire verte

Que nous cultivons lui et moi.

 

J’écris ces mots près la desserte,

Des mots dont le sens va de soi,

Simples – sur le jardin du roi ;

Car ce jour de pluie me rend diserte.

Tel jardin est une aire verte.

​

 

I

​

SI CE N’EST LE TONNEAU

 

          Il pleuvait depuis plusieurs jours. Nous avions vécu une période de sécheresse, phénomène toujours fâcheux, s’il en est, pour la terre. Les arbres et les légumes avaient besoin d’eau. Elle venait avec des orages avant le printemps, par bonheur. Ainsi nous allions pouvoir semer et espérer avoir des olives à la belle saison. Elle et moi la regardions tomber sur les feuillages verts, sur le sol en jachère. Et nous espérions. Les parfums des premières fleurs entraient dans l’air de la maison. Elle décida alors d’écrire un poème, celui-là même que je mets en exergue. Un poème qu’elle me donna à lire ensuite et que je trouvai beau. Mon épouse me donnait du courage, tout en elle respirait la ferveur, l’enthousiasme. Elle insufflait le rythme de notre quotidien, ornant les heures, les jours, de l’embellie nécessaire pour aller travailler, savoir patienter dans l’attente des climats favorables qui nous donneraient une bonne récolte. Elle avait les mots justes, disant les choses de la vie, le cycle des saisons, le temps qui passe. Rien en elle n’était triste. Après m’avoir fait lire sa composition poétique, après avoir mis en voix ce rondeau sur le « jardin » dont nous avions la responsabilité, elle me proposa de nous rendre au hangar dit « Du moulin » afin de vérifier l’état du moulin à huile précisément que nous n’utilisions plus depuis près d’un trimestre, depuis l’échéance annuelle de la fabrication de l’huile d’olive première pression à froid, à l’effigie de Sa Majesté. Ce faisant et au vu de l’état de la machine, nous prendrions nos dispositions en cas de quelque défaut afin de réparer, dans la perspective de notre prochaine saison commerciale. – Tout semble correct, me dit-elle. Si ce n’est qu’au moment où nous allions franchir le seuil du hangar, je constatai qu’il manquait un tonneau en bois. Notre réserve personnelle en comptait jusqu’à présent trois. Nous n’en vîmes que deux à la fin de notre inspection dans les détails du bâtiment. Ici débute mon enquête. Je revêtis mon uniforme, embrassai mon épouse, harnachai le cheval et partis à la caserne du Palais, comme si ce fut un jour ordinaire.

​

          Mais ce fut un jour ordinaire. Plusieurs dossiers à traiter l’après-midi somme toute, après le salut à mes frères d’armes, la garde du Palais durant la matinée, enfin après le mess où je me tus sur l’affaire qui nous préoccupait mon épouse et moi. À la fin de ma journée, je ne soupçonnai personne. Je n’avais en outre pas terminé la lecture de toutes les affaires que notre Commandant m’avait confiées. Il devait me rester trois ou quatre cas à consulter et à parapher. J’archivai les autres documents sur leurs étagères respectives, disposés selon l’ordre alphabétique. Maint procès en cours où je devrais apporter mon témoignage. Je laissai les derniers profils à plat sur mon bureau, « pour demain », puis rejoignis mon épouse, notre maison, à cinq lieues d’ici. Le Soleil se couchait, néanmoins on ne le voyait pas sous l’averse. Je passai mon manteau par-dessus l’uniforme, arrivai chez nous en une heure, au galop. Elle me souriait derrière la fenêtre du pavillon abritant sa parfumerie. – Bonne journée ? demanda-t-elle. Je répondis que tout allait bien. Nous rentrâmes dîner. Elle me raconta le travail au pavillon, son entretien avec le représentant d’une luxueuse marque de parfum, la tenue des comptes. Nous allâmes nous coucher, chacun un livre à la main, jusqu’à ce que le sommeil nous gagne.

 

​

II

​

UN RÊVE

 

            Le lendemain, tandis que nous prenions le petit-déjeuner autour d’un thé noir, elle m’interrogea : –Tu as bien dormi ? J’avais bien dormi oui et rêvé même. Je me trouvai dans la salle de garde à revêtir ma tenue d’escrimeur quand j’entendis un bruit inhabituel venu du couloir menant à la cour du Palais, un bruit de bottes ferrées dont le rythme des pas traduisait celui de quelqu’un de pressé, puis la porte s’ouvrit et se referma. Ordinairement, toute personne passant à cet endroit s’arrête et nous salue. Il s’agit d’un espace réservé au corps d’armée. En outre, il n’y a pas d’autre porte qui y mène, sauf celle précisément susnommée. Je sortis en tenue comme si de rien n’était, m’apprêtait à gagner la cour afin de me rendre à la salle d’escrime lorsque je constatai qu’un mouchoir brodé était au sol. Je le ramassai, posé qu'il était comme par hasard dans le carré de jour filtrant à travers le vitrail de ladite porte et me rendis compte qu'il portait le parfum de mon épouse et, chose plus inquiétante encore, ses initiales cousues d’or. Mon partenaire de la matinée m’appela pour la séance d’épée. Je gardai le mouchoir qui disparut dans un éclat de lumière. La porte s’ouvrit d’un coup, brutalement. Je décillai mes yeux. Elle dormait à mes côtés. J’avais rêvé.

​

             À table, cela la fit rire. – Curieux, me répondit-elle. Étrange même, ajouta-t-elle. Nous passâmes outre. J’allai m’habiller puis partis non sans l’avoir embrassée. J’arrivai après une heure de galop à travers la campagne pluvieuse. Il continuait de pleuvoir. J’attachai ma monture, sortis de l’écurie, saluai mes frères d’armes, occupai mon poste deux heures devant le porche du Palais, puis passai à la salle de garde enfiler ma tenue d’escrimeur. C’était l’un des jours de ma séance d’épée, séance régulière qui nous était proposée à raison de trois heures par semaine, donc trois séances au total. À la suite de quoi, je pris mon repas de midi au mess. On parla de la journée, des choses à faire, à prévoir, dans un climat de confiance, de franche camaraderie. Enfin, je repris mes fonctions d’enquêteur l’après-midi. Quatre dossiers à analyser au demeurant. « Rien à signaler » fut mon occurrence linguistique au terme de ma lecture des trois premiers profils. Je paraphai « ne varietur ». Il en restait un. Jusque-là, il s’agissait d’affaires en cours réglées par l’institution judiciaire. Tel procès avait eu lieu ou aurait lieu prochainement. Le dernier en revanche m’étonna du fait de sa présentation. Beaucoup moins volumineux que les précédents, il contenait trois feuillets reliés, approuvés sous le sceau de Sa Majesté. On ne connaissait pas la personne. C’était un rapport de faits litigieux réalisé sur la foi de cinq témoins, qui avaient été soit victimes de plusieurs larcins commis, semblait-il, par le même individu, soit témoins oculaires. Les pièces compromettantes se recoupaient autour d’un seul suspect. Un mot d’ordre signé de notre Commandant le clôturait : « Affaire à régler dans les plus brefs délais ». J’y passai toute l’après-midi dessus et une partie de la soirée. Il m’obligeait à un réexamen de deux affaires dites « classées » et à une lecture d’ordre géographique de notre circonscription. J’arrivai tard chez nous, à la nuit tombée. – Tu es trempé, me dit-elle. Donne-moi ton manteau, ton chapeau, je vais les mettre à sécher. Elle prit mes affaires, tandis que je me dirigeai vers la table de notre salle de séjour. J’y posai le dossier qui m’avait été confié par ma hiérarchie. J’avais étudié avec attention les différents témoignages. Il me restait certains détails à revoir. Pour ce faire, je devais « m’y recueillir » dessus, dans le calme. Je me réservai cette dernière tâche avant d’aller dormir. Je rejoignis mon épouse. Elle avait cuisiné une paëlla Valenciana géante d’où émanaient les notes d’épices et d’huile d’olive adéquates. Nous mangeâmes avec appétit. Il en resterait pour deux jours, deux soirs plus exactement. Je me promis qu’avant ma dernière assiette du surlendemain, j’aurai résolu « notre » affaire. Je pris un bain au sortir de ce dîner de luxe. Je retournai une heure de plus à la consultation des témoignages. La pluie tombait jusque sur les vitres des fenêtres du salon, comme encadrant mon investigation silencieuse. Quelques vocables ou locutions m’interpelèrent, que je mémorisai : « Parmi les gens de cour », « ce notable », « un Sieur de la noblesse », « il portait un masque », « visage caché », « foulard blanc », « à contrejour », « je le vis prenant la mer », « une escouade ». Je fermai les documents. Nous allâmes nous coucher, chacun notre livre à la main.

​

 

III

​

ÉPILOGUE

 

          Le jour suivant fut aussi le jour consacré à une nouvelle séance d’escrime. Je n’hésitai pas à parler de mon projet de recherche à mon partenaire de combat, celui avec qui je m’entraîne tout le temps. Je le tins au courant. Un gars venu d’Extrême-Orient, discret, très pragmatique, ayant la maîtrise parfaite des armes. Il lut le rapport des témoins. – Je vois, me dit-il, aussitôt qu’il eut finit sa lecture. C’était pendant notre déjeuner, au mess. L’après-midi de cette même journée, nous quittâmes la caserne, allâmes rendre visite aux témoins. Tous vivaient dans un périmètre d’une vingtaine de kilomètres tout au plus. Nous eûmes terminé en quatre heures. Les cinq témoins, deux couples et un enfant qui parla en présence et sous l’autorité de sa mère, confirmèrent la trace écrite. Au soir nous étions, mon coéquipier et moi, avisés mais surtout sûrs quant à l’identité du voleur. Nous en informâmes notre Commandant, preuves à l’appui, qui nous entretint du plan stratégique à mettre en place.

​

            Je me levai le matin, un peu plus tôt que d’habitude, après une nuit de sommeil lourd et laissai dormir mon épouse. Nous étions déjà au surlendemain, dernier jour de notre assiette de paëlla Valenciana que nous dégusterions elle et moi à mon retour, échéance aussi de ma promesse quant à l’arrestation du suspect. Je rejoignis mon coéquipier à la caserne. L’aurore se levait. – Un peu plus d’une heure pour rejoindre la villa, me dit ce dernier. Nous prîmes nos armes respectives, partîmes sur le dos de nos montures au grand galop. La pluie tombait moins drue que ces derniers jours. C’était, pourrait-on dire, un crachin, qui n’empêchait pas les éclats de ciel bleu et la lumière du Soleil de nous éclairer. Nous fûmes sur les lieux, ainsi que mon compagnon de route l’avait annoncé, en à peine plus d’une heure, à l’heure où mon épouse était déjà au travail dans la parfumerie.

​

              C’était une grande villa dominant la mer, sise sur le versant d’une colline boisée. Tout paraissait désert. La stratégie élaborée la veille allait s’avérer efficace dès ce moment. Nous nous séparâmes, prîmes deux directions opposées. Le parc était immense. Je longeai les écuries, arrivai devant un bâtiment en granite dont la porte était cadenassée. Je l’ouvris avec mon poinçon. Le jour me permit d’observer avec précision l’intérieur, surtout de comprendre pourquoi nous étions là, mon collègue et moi. Je reconnus le tonneau d’huile d’olive vierge extraite à froid dérobé dans la propriété que je partage avec mon épouse, outre les objets précieux inscrits sur la liste des multiples déclarations de vol signés sur la foi de victimes et témoins depuis de nombreuses années, liste que par ailleurs j’avais en main. Je refermai le cadenas, me dirigeai ensuite vers l’entrée de la villa. Mon frère d’armes m’y attendait.  Il frappa poliment. Un gros chien aboya, puis plus rien. Trois hommes vinrent nous ouvrir, l’un d’eux tenant le chien muselé en laisse. Nous n’eûmes pas besoin de nous présenter. On nous fit entrer. Quant au maître de la villa, il allait descendre. Quinze minutes passèrent avant qu’on ne le remarque sur la première plateforme de l’escalier central. Quand il fut devant nous, je ne lui posai aucune question mais intervins en quelques mots simples : – Voici le mandat de perquisition Monsieur. En bonne et due forme, sous l'autorité du juge. Puis je lui demandai de m’ouvrir la porte du bâtiment de granite à l’intérieur duquel il dut se rendre à l’évidence, en présence de tous, tandis que je lui lisais dans le détail la liste des objets disparus. Mon collègue compléta, adjura chacun des quatre hommes de soigner leur amour-propre, de ne pas résister, concluant son ordre par une allusion au bateau qu’ils utilisaient pour commettre leurs forfaits et à la vigilance des services maritimes : – Nos services connaissent bien la mer, le saviez-vous ? Il y eut peu de résistance de la part des coupables. Au moment où il disait cela, la brigade fit irruption avec, à sa tête, le Commandant. – Au nom de Sa Majesté, je vous arrête. Vous devez vous rendre, messieurs, ordonna-t-il. On avait procédé au quadrillage de la propriété. Le maître de la villa signa le mandat. Enfin, on chargea les objets volés dans des remorques. À terme, les victimes seraient convoquées à la caserne pour récupérer leurs biens. Quant à moi, je ramenai le tonneau en bois d’huile d’olive et, avec l’aide d’un ouvrier, le déposai dans la réserve du hangar. Il y eut un bref orage de pluie ce soir-là. Mon épouse prépara un grand dîner en utilisant ce qui restait de paëlla avec un bon poisson grillé. Le tout assorti d’un vin capiteux. La nuit fut indiscutablement belle, ses sourires et ses mots.

​

 

Notre terre s’est embellie

Des fruits sur l’arbre et de senteurs

Qui sont le langage des fleurs

Inspirant cette mélodie.

 

Comme l’image au son s’allie

Grâce à des mots pleins de couleurs –

Notre terre s’est embellie

Des fruits sur l’arbre et de senteurs.

 

Et des notes de rhapsodie

Ajoutant à nos bonnes mœurs –

Ainsi de l’art des parfumeurs,

Diront la nature jolie. –

Notre terre s’est embellie !

​

​

​

​

​

​

​

​

​

                                                  Jean-Michel TARTAYRE

bottom of page