

PUBLICATIONS LX
Récit fictionnel

JEAN-MICHEL TARTAYRE
UNE ENQUÊTE D’ART JUNGLE
Sonate per violino e pianoforte
Récit fictionnel
Un ciel nuageux touche presque le sommet de la Montagne-qui-parle ce matin, tandis que je démarre mon hors-bord pour quitter le débarcadère de M., mon village. J’ai nettoyé l’intérieur de ma demeure de fond en comble, bien dormi, bien déjeuné d’une tartine de pain au beurre et au miel trempée dans mon café. Je pars confiant de mes moyens et de la beauté de la vie. L’existence vaut d’être vécue quand je vois le bonheur qu’elle me procure chaque jour. J’amarre le bateau à 7, 50 AM à l’emplacement du Port de K. qui m’est réservé. À 8 AM, j’entre dans mon bureau, ouvre les stores et allume l’ordinateur. J’entends à deux portes d’ici ces mêmes bruits quotidiens, les bruits de la journée de travail qui commence. Il s’agit du Capitaine B. qui, lui aussi, vient d’arriver dans son bureau et ouvre les stores. Je quitte ma salle, le temps d’aller lui dire bonjour. Il est affairé, semblant préoccupé.
« – Ah, Jungle ! me dit-il. Comment allez-vous depuis hier ?
– Bien, mon Capitaine.
– Dites, je crois que nous avons une nouvelle histoire à régler. Le Commandant O. m’a contacté hier soir et a déposé le dossier sur ma table de bureau. Je vous en fais une photocopie, je reviens. »
Il sort et se rend à la photocopieuse. Dix minutes passent, durant lesquelles je regarde par la fenêtre le réveil du trafic portuaire de K., le ballet matinal des grues des docks, les départs ou le chargement des porte-conteneurs, les arrivées des poids lourds venus de loin avec leurs précieuses cargaisons, les vols désordonnés des oiseaux des mers au-dessus et autour des chalutiers qui reviennent au terme de plusieurs nuits de pêche au large ; j’entends les chants et les cris des oiseaux des mers ravis aux gestes généreux des pêcheurs, j’entends les matinaux de la criée qui s’impose dès l’aurore.
« – Tenez, Jungle, me dit le Capitaine B. en me ramenant à la réalité administrative de notre quotidien.
– Je vous remercie, mon Capitaine.
– Vous repassez dans une demi-heure, Lieutenant, s’il vous plaît ? Nous aviserons.
– Très bien, Capitaine. »
Je regagne ma table de bureau et découvre le nouveau dossier d’enquête, dont le numéro figure sur la première de couverture. Je lis et découvre les faits dans le détail, les témoignages, le montant du butin. À 8, 40 AM, je reviens dans le bureau du Capitaine B. Il prend la parole :
« – Vous savez, Lieutenant, que le Commandant O. ne sera là que cet après-midi.
– Non, je n’étais pas au courant, Capitaine.
– La raison en est notre nouvelle affaire. Qu’en dites-vous, justement, de cette affaire ? Vous avez lu la copie du dossier ?
– Exactement. Je viens de découvrir que son objet est un braquage. 27 000 000 d’euros dérobés sur les docks, d’après le plaignant.
– Oui, venez voir le dépôt de plainte qui a été fait hier dans la nuit par le Sergent T. C’est arrivé après notre départ, vers 19 H. Le Directeur de l’Opéra de K. a immédiatement pris contact avec le Commandant O. Elle m’a envoyé l’e-mail à 20 heures.
– Je vois le descriptif, Capitaine. Ce Stradivarius à 24 000 000 d’euros et le Steinway, je lis « d’une valeur de 3 000 000 d’euros. »
– Le Commandant O. est actuellement en rendez-vous avec le Directeur de l’Opéra. Il va nous falloir bien l’écouter à son retour.
– À quelle heure sera-t-elle ici, Capitaine ?
– 14 heures. Elle déjeune avec lui. Je vous propose, pour ce matin, que nous nous rendions sur les docks pour interroger le responsable du site où eut lieu le braquage, « Quai 10. MX, Entrepôt 4, Département Logistique », Monsieur V., un ancien du Secteur 2 de notre Régiment.
– L’Infanterie.
– C’est ça, Jungle. Nous pouvons lui faire confiance. Mais quand je l’ai eu hier soir au téléphone, il n’était pas dans son assiette.
– Je comprends.
– On y va, Jungle. »
Lorsque nous nous présentons à Monsieur V., il est encore assis à sa table de bureau, affairé devant son écran d’ordinateur, puis se lève, nous serre la main et remercie l’agent de sécurité qui nous a conduit jusqu’à lui dans l’immense et labyrinthique Entrepôt 4. Il nous demande de prendre place, nous nous asseyons.
« – Vous savez pourquoi nous sommes ici, dans vos locaux, dit le Capitaine B. Le Lieutenant Jungle va enregistrer notre entretien, si vous le permettez.
– Oui, Capitaine. Le fourgon, un véhicule en l’occurrence très puissant, est arrivé sur le quai, pendant que mon équipe de débardeurs déchargeait le conteneur 10. MX 456. Trois individus cagoulés descendent du véhicule pendant que le quatrième reste au volant. Ceux qui sont sortis du fourgon ont chacun un fusil mitrailleur braqué sur notre groupe, le conducteur du fourgon tient, quant à lui, un pistolet dans une main, l’autre main est sur le volant ; il est prêt à redémarrer. Le moteur est en marche. L’un des trois nous demandent de poser au sol la cargaison et de lever les mains. À ce moment-là, un de nos agents de sécurité tente de s’interposer en dégainant mais en vain, le chauffeur cagoulé du fourgon tire sur lui et le blesse à la cuisse droite. Nous ne pouvons rien faire. Ils repèrent les deux colis, demandent aux débardeurs concernés de les charger dans le fourgon. Puis, ils repartent. Voilà les faits, Capitaine.
– Vous vous souvenez de l’heure ?
– Nous devions décharger à 18 H 30.
– Ils sont arrivés 5 minutes après. Le braquage a duré une quinzaine de minutes. J’ai consulté la pendule de mon bureau. Quand j’ai appelé vos Services, il était 19 H. À 18 H 50, ils avaient disparu avec le butin.
– Le violon et le piano, n’est-ce pas ?
– Tout à fait, Capitaine.
– Et ils sont arrivés au moment où vous déchargiez précisément les deux colis … Vous connaissez la provenance de ces deux colis ?
– L’Italie, Capitaine. J’ai aussitôt contacté les deux fabricants de Venise.
– Je vois. Je vous remercie Monsieur V. Lieutenant, avez-vous des questions ?
– Oui, Capitaine. Monsieur V. connaissez-vous le volume des marchandises stockées dans un seul conteneur ?
– Lieutenant, je ne vous apprends rien, le volume dépend de la longueur, de la largeur et de la hauteur. Les volumes varient, mais le format standard ici, au Quai 10. MX, est de 33 m³.
– Je vous remercie, Monsieur. Je souhaiterais me rendre sur les lieux du braquage afin que vous nous indiquiez avec précision comment cela est arrivé.
– Oui, Lieutenant, me répond Monsieur V. Suivez-moi, Messieurs. »
Je coupe l’enregistrement audio. Nous sortons de l’Entrepôt 4. Je passe à l’enregistrement vidéo. Le chef d’équipe nous montre comment les faits se sont chronologiquement déroulés. Il reconstitue la scène avec les mots et les gestes en répondant à nos questions. Je prends le temps d’identifier les distances et la topographie. Le Capitaine B. fait de même. Puis, nous remercions notre interlocuteur. J’arrête l’enregistrement vidéo.
14 H. Le Commandant O. nous reçoit, le Capitaine B. et moi, dans son bureau.
« – Asseyez-vous, Messieurs, je vous en prie … Voilà, je me suis entretenue avec le Directeur de l’Opéra de K. toute la matinée et au déjeuner, comme vous le savez, Capitaine B. Lieutenant, le Capitaine vous a mis au courant j’imagine ?
– Affirmatif, mon Commandant.
– Bien. Le Directeur de l’Opéra est affligé. La première répétition a lieu dans 48 heures. Le spectacle doit se faire dans quatre jours, soit jeudi à 21 heures. Ce sont deux des plus grands artistes du moment qui se trouvent privé(e)s de leurs instruments respectifs. Le montant du butin est de 27 000 000 d’euros. C’est, pour le moins, considérable.
– Pardon, mon Commandant …
– Oui, Jungle ?
– Le spectacle dure combien de temps ?
– 1 H 15. Huit Sonates pour Violon et Piano, de Handel, s’il vous plaît. Le public de K., vous le savez aussi bien que moi, est un public de connaisseurs et d’artistes. Il nous faut agir vite. Capitaine B., vous vous êtes rendu auprès de Monsieur V., le Chef d’équipe de l’Entrepôt 4, comme je vous l’avais demandé ?
– Affirmatif, mon Commandant. Le Lieutenant Jungle a enregistré notre entretien et a filmé le lieu du délit.
– Bien. Lieutenant Jungle, vous pouvez nous les diffuser, je vous prie ? »
Je passe l’enregistrement audio, puis je montre le film assorti des rares commentaires significatifs que nous avons pu faire, le Capitaine B., Monsieur V. et moi. « Un braquage oui », dit le Commandant O. Puis, réfléchissant à voix haute :
« Quatre personnes, oui, … un blessé. C’est ça … Jungle, pouvez-vous repasser la vidéo ? » Je repasse le document vidéo.
« – Stop, Jungle. Ici. Qui est cet homme ? demande le Commandant O.
– Je peux voir, Lieutenant ? demande à son tour le Capitaine B. »
Un grand silence se fait, qui dure près d’une trentaine de secondes.
« – Qui avez-vous filmé, Jungle. Il vous regarde avec un air de mécontentement. Mais ce qui me surprend le plus, zoomez s’il vous plaît, Jungle … Vous voyez, Messieurs … Il est, à quoi, 300 mètres de vous, il monte à bord de son bolide et, regardez bien, à sa ceinture.
– C’est un Smith & Wesson 500, dis-je.
– Vous pouvez zoomer sur sa plaque d’immatriculation maintenant, s’il vous plaît Lieutenant Je note le numéro. Ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre sur les docks, un homme armé et conduisant une Audi RS e-tron GT Performance. Vous êtes d’accord avec moi, Messieurs, non ? Nous allons vérifier. Nous avons son visage et l’immatriculation du véhicule. Je vous revois dans une heure. Capitaine B., vous vous occupez de l’identité de la personne. Lieutenant Jungle, vous vous chargez de l’Audi RS pour savoir qui en est le propriétaire. »
15 H 15, une heure après notre premier entretien avec le Commandant O., le Capitaine B. et moi nous retrouvons dans le bureau de cette dernière afin de lui rendre compte de nos recherches. Elle nous demande de nous assoir et demande :
« – Capitaine B., avez-vous pu identifier la personne ?
– Oui, mon Commandant, ou presque.
– Mais encore ?
– Il n’a pas de casier. Il n’est pas connu de nos Services.
– Donc ? Vous ne savez pas qui c’est …
– J’y viens, mon Commandant. Son profil me renvoie directement sur un autre Service, inaccessible.
– Inaccessible ?
– Affirmatif, mon Commandant. Il s’agit d’un dossier classé Top Secret.
– Un agent des Renseignements …
– Exact, mon Commandant. La photographie oriente la recherche sur le site des Services Secrets.
– Bien. Et vous, Lieutenant Jungle ?
– La plaque d’immatriculation est inconnue et ne renvoie à aucun propriétaire. »
La sonnerie du téléphone du Commandant retentit. « Deux minutes, Messieurs, dit-elle. Allô, oui ? » Le Commandant nous regarde tout en parlant dans son combiné. Elle paraît inquiète, nerveuse, puis raccroche au terme de 5 minutes en retrouvant sa sérénité. Elle s’adresse alors à nouveau à nous :
« – Messieurs, je viens d’avoir la personne que nous recherchons au bout du fil. Nous l’appellerons Monsieur T. Il travaille pour le Gouvernement italien et loge à l’Ambassade.
– L’Ambassade italienne de K., mon Commandant ? demande le Capitaine B.
– Exactement, Capitaine, répond notre Cheffe. Il m’a bien précisé qu’il travaillait seul. Messieurs, je vous laisse donc à votre enquête sans tenir compte de Monsieur T. À moins qu’il ne décide de reprendre contact avec nous. Je vous libère pour aujourd’hui. Gardez les pièces du dossier d’ouverture de l’enquête avec vous. Vous avez chacun une copie. Je vous retrouve demain à 8 AM. Bonne fin de journée, Messieurs. »
Nous saluons notre supérieure. Le Capitaine B. m’accompagne sur le quai jusqu’à l’emplacement de mon bateau. Nous discutons un brin en marchant.
« – Qu’en pensez-vous, Jungle ?
– Je vais me plonger dans les pièces du dossier, relire les enregistrements, Capitaine.
– Vous m’avez adressé les enregistrements ce matin. Je vérifie. Oui, c’est bien dans la Galerie Photos. Moi aussi, de mon côté, je vais analyser ces documents d’ouverture que nous avons pu réunir. Bon retour chez vous, Lieutenant. Je rentre à la caserne. Ah oui ! ça me revient, attendez. Je voulais vous demander : imaginez que vous soyez en possession du butin qui concerne cette affaire. Où iriez-vous ?
– Vous posez une question intéressante, Capitaine. Je ferais au plus vite pour le cacher, avant de l’échanger contre une grosse somme d’argent.
– Ils étaient à bord d’un fourgon très puissant …
– Oui, un Renault Master. Et ils étaient quatre. Le Port de plaisance se situe après les docks. Si j’étais en possession d’une telle cargaison, j’éviterais le trafic urbain de l’heure de pointe, 19 heures. Trop dangereux.
– Connaissez-vous le Directeur de l’Opéra, Lieutenant ?
– Non, mon Capitaine.
– Il est aussi membre du Conseil Régional et soutient l’action de Monsieur Paul M., son Président.
– Il est donc engagé dans le domaine politique ?
– Oui, Lieutenant. Et je pense que, comme tout homme politique, il est confronté à une opposition parfois féroce.
– Vous connaissez l’opposant direct au parti de Monsieur Paul M., Capitaine ?
– Tout à fait. Il s’agit de Monsieur N. Vous ne lisez jamais les journaux locaux, Jungle ?
– Très peu, mon Capitaine. Plutôt les ouvrages de Droit, la Revue de la Marine Nationale. Mais, rassurez-vous, je vois très bien qui est Monsieur N. Je regarde le journal local à la Télévision. Et je suis abonné au quotidien Top Info Région.
– Eh bien, regardez à nouveau le numéro d’avant-hier, s’il vous plaît, Jungle. Vous y découvrirez les derniers propos d’un des membres du parti de Monsieur N. C’est pour le moins vindicatif à l’égard du projet de moderniser l’agglomération de L. en créant un nouveau complexe, à la fois commercial et hôtelier. Presque 17 heures. Je vais préparer le dîner en attendant le retour de mon épouse. Ce sera un chili con carne et une salade de fruits pour le dessert, mangue et ananas. Vous arrive-t-il de lire de la poésie, Jungle ?
– J’en lis et, quand le moment est propice, j’en écris.
– C’est un bon divertissement, que je pratique aussi. Bonne soirée, Jungle. Il nous faut avancer.
– À demain, Capitaine. »
Il est 17 H 30 quand j’amarre mon bateau au débarcadère de M. Je rentre chez moi, pose le dossier sur mon bureau, descends au garage pour prendre le matériel nécessaire à la vidange de mes deux moteurs et au nettoyage de la coque. À 18 H 30, je suis à ma table de bureau, le dossier d’ouverture d’enquête rangé dans un coin et le Top Info Région d’avant-hier sous mes yeux, ouvert à la rubrique Tribune. Je lis attentivement l’article consacré à la polémique actuelle opposant le parti de Monsieur Paul M. à celui de Monsieur N. En effet, comme me l’a dit le Capitaine B., c’est à l’un des membres du parti de l’opposition régionale que l’interview est accordé.
« Ce projet commercial, dit-il, n’est qu’un nouvel abus à inscrire au passif de Monsieur Paul M. En outre, je ne comprends pas le faux argument de Monsieur Y. qui nous traite, nous les acteurs honnêtes du rayonnement de notre région dans le monde, de, je le cite, passionnés incohérents, victimes des conflits internes qui sévissent sur la politique de leur parti. Je réponds que notre santé est bonne, Monsieur Y., et celle de notre parti aussi. Je conseille donc à cette personne de se raviser et de s’occuper avec plus d’attention de son programme culturel et des chants d’opéra. Non, nous ne sommes pas des idéalistes et ce qui nous importe, Monsieur N., tous les membres de notre parti et moi, c’est surtout la cohérence du budget. Nous ne voterons donc pas pour ce nouveau projet d’urbanisation qui touche la ville de L. et dont, par ailleurs, vous le savez Madame, je compte parmi les conseillers municipaux. »
L’article est concis, signé par l’autrice de l’interview, Madame C. Le Capitaine B. a raison : cette polémique importe dans l’affaire qui nous préoccupe. Surtout, rester clairvoyant face à ce conflit, c’est essentiel. Monsieur E., qui est l’auteur de ce propos, met en avant son statut de conseiller municipal de la ville de L. Le Capitaine B. l’a lu, il le sait aussi bien que moi. Je plie le journal et relis le dossier d’ouverture de notre enquête. L’article doit y être rajouté, indéniablement, au titre de pièce annexe. Pour le moment, il n’infirme ni ne confirme le mobile du braquage de l’Entrepôt 4. La question qui se pose maintenant à moi est la suivante : À quel endroit ont-ils déposé le butin et, précisément, dans quel bateau ? Car les braqueurs ne pouvaient pas affronter l’obstacle de l’heure de pointe de 19 heures, sachant de surcroît que l’alerte avait été donnée. Le chauffeur va garer le Renault Master après que ses trois acolytes sont sortis et ont délesté le véhicule du piano et du violon afin de les charger sur le bateau suspect. Il reste 24 heures avant la première répétition des Sonates de Handel. J’ouvre un recueil de Guillevic. La sobriété de l’écriture de ce poète est remarquable parce qu’elle transporte spontanément son lectorat dans la sphère de la Logique. Je lis une dizaine de poèmes et referme le chef-d’œuvre.
J’appelle la Capitainerie de K.
« – Capitaine K. ? Bonjour, ici le Lieutenant Jungle.
– Ah, Jungle ! Comment allez-vous ? Quoi de neuf ?
– Pourriez-vous me dire, s’il vous plaît, quels sont les nouveaux arrivants recensés hier après-midi sur le Quai Ouest, donc celui qui jouxte les docks ?
– Oui, d’accord Jungle … Deux. Ils sont deux.
– Un des deux est-il reparti aujourd’hui ?
– Non, pas aujourd’hui, mais demain. Départ prévu pour le hors-bord à 7 AM
– Combien de personnes à bord, s’il vous plaît ?
– Le propriétaire et deux autres personnes déclarées.
– Le type de bateau, Capitaine ?
– C’est un Barracuda.
– Je vois. Pouvez-vous prévenir le Capitaine H. pour qu’elle envoie une patrouille sur place ? Il faut les empêcher de repartir.
– Je fais le nécessaire, Lieutenant.
– À tout à l’heure, Capitaine. »
Je raccroche et contacte aussitôt après le Commandant O. et le Capitaine B. Puis, j’appelle le Capitaine H. pour confirmer l’appel de la Capitainerie de K. Elle me dit : « La patrouille est sur les lieux, Jungle. Nous vous attendons au Rendez-vous. »
Les Forces de l’Ordre de K. sont donc mobilisées Quai Ouest. Reste le chauffeur du Renault Master, celui qui a tiré sur l’agent de sécurité. Où est-il ? À voir.
J’arrive sur le Quai Ouest en 10 minutes, par mesure d’urgence. J’amarre mon bateau et rejoins l’équipe de mes coéquipiers de la BFG et des policiers municipaux au bar « Le Rendez-vous ». Le Commandant O. et le Capitaine H. sont à une table en terrasse, discutant autour d’un thé. Le Capitaine B., le Capitaine K. et cinq collègues policiers sont accoudés au comptoir, plutôt silencieux. Toutes et tous sont habillé(e)s en civil. Moi-même, je porte un jean, un t-shirt, des baskets et une veste. Nos holsters respectifs soigneusement rangés et camouflés contre le flanc. Il est 19 H 30 quand nous décidons d’aller nous promener le long du quai, au signal de la main du Commandant O. qui touche une de ses boucles d’oreille, la gauche.
8 PM. Instant de la perquisition. On entend discuter à l’intérieur du Barracuda … Nous mettons nos brassards au bras, BFG ou POLICE, selon le cas. Les trois suspects n’ont pas le temps de réagir. Le Steinway et le Stradivarius sont recouverts d’un drap dans l’angle du fond, juste avant la salle de bains et les chambres. À 8, 10 PM, les fourgons de la BFG sont déjà là, les trois braqueurs sortent du yacht menottés. On les embarque jusqu’au Quartier Militaire, Secteur 3. Le Capitaine B. les interroge l’un après l’autre avec l’aide de trois collègues. Je prends le relai à 9, 30 PM après avoir mangé un Pan Bagnat et pris un café à la cafétéria du mess. Le suspect que j’ai face à moi me donne enfin le nom du chauffeur puis l’adresse de son appartement. Pendant que le Commandant O. et le Capitaine H. poursuivent l’interrogatoire à 22 heures passées, le Capitaine B. et moi arrivons au domicile du quatrième braqueur. Curieusement, le porte d’entrée n’est pas fermée à clé.
Nous entrons. Il gît sur le sol du séjour, une balle dans la tête. Près du corps, à quelques centimètres de la main droite, un Revolver Glock 17, plus loin deux douilles, séparées d'une quarantaine de mètres l'une de l'autre, et un trou dans le mur, certainement occasionné par l’arme de la victime. Nous appelons les sapeurs-pompiers et les médecins urgentistes. Il est près de Minuit quand les Secours constatent le décès du quatrième suspect et l’emmènent à la morgue.
Quand nous revenons à la Brigade, le Commandant O. nous reçoit dans son bureau. Elle dit :
« – Nous avons le nom du commanditaire, Monsieur E. en l’occurrence, un activiste de premier ordre.
– Faut-il ? …
– Non, Capitaine B. C’est l’affaire du Gouvernement Italien. Nous entrons là dans le domaine de la Justice Internationale. Quant au quatrième suspect, Messieurs ?
– Mort, mon Commandant, dis-je.
– Des indices sur place, Jungle ?
– La douille d’un Smith & Wesson 500.
– Messieurs, il est presque 1 heures 30 du matin. Je vous remercie pour votre travail. La répétition pourra bien avoir lieu demain. Monsieur l’Ambassadeur d’Italie a sa place réservée pour le spectacle, aux côtés de Monsieur le Maire de K. et de monsieur Y., le Directeur de l’Opéra. Nemo jus ignorare censetur. Merci. »
