

PUBLICATIONS LXVII
Récit fictionnel


JEAN-MICHEL TARTAYRE
UNE ENQUÊTE D’ART JUNGLE
Fausses panoplies
Récit fictionnel
Mes vacances de quinze jours sont terminées. Je reprends officiellement aujourd’hui, même si je fus sollicité trois fois par mes supérieurs, ce que par ailleurs je trouve normal, étant donné que le Service Commandé auquel j’appartiens m’oblige dans tous les cas. Je me suis somme toute bien reposé durant cette quinzaine. J’ai pratiqué la pêche sportive avec mes deux frères d’armes : le Major A., Instructeur chez les Commandos Parachutistes, Secteur 5, ainsi qu’avec le Lieutenant T., du Génie, Secteur 4. Des pêcheurs extraordinaires. Nous avons pris du requin, de l’espadon et du marlin, remis à l’eau de suite dans les conditions favorisant leur survie, je tiens à le préciser. Outre la pêche, j’ai fait du Offshore, de l’Inshore, de la course à pied et poursuivi mes entraînements d’arts martiaux sous la direction du Sergent T. L’écriture fut aussi un de mes passetemps. La lecture de la revue de la Marine Nationale et du Code Pénal occupa mes soirées très souvent. Plusieurs passages au restaurant trois étoiles du Chef L. « Trésors culinaires » enfin m’ont ravi. Manchons de poulet rôti, Tarte aux artichauts et comté, Rumsteak aux poivrons, Tarte sardine citron, Sardines chèvre frais et menthe, Maquereaux fumés au BBQ, Carpaccio de lieu noir à la menthe, Maquereaux lardés farcis aux aubergines, Calamars sautés, Darnes de truites meunière, Gâteau aux fruits rouges à la plancha, Rigatoni all’amatriciana, Truffade, Côtes de porc sauce charcutière, Spaghettis aux boulettes, Pavé de rumsteak sauce Chateaubriand, Nougat glacé, oui, m’ont régalé.
J’entre, aujourd’hui lundi, dans l'enceinte du Secteur 3 après avoir présenté mon badge à la sentinelle et l’avoir passé devant le boîtier numérique du système d’ouverture. Il est 8 AM. Le Commandant O. me reçoit dans son bureau.
« – Alors, Jungle. Ces vacances ?
– Bien, mon Commandant. Reposantes.
– Tenez. Voici pour commencer, ce nouveau dossier d’enquête. Je vous le confie. Le Capitaine B. en a déjà une copie. L’affaire a débuté il y a deux jours. Lisez ces pages et voyez avec le Capitaine tout à l’heure. Il arrive dans une demi-heure. Bonne reprise, Jungle.
– Merci, mon Commandant. »
Je découvre mon bureau au terme de deux semaines. Il a été impeccablement géré par les agents des Services Intendance & Maintenance. J’allume l’ordinateur, ouvre les stores et m’assois à ma table devant le nouveau dossier de rentrée. Je note la présence de deux dépôts de plainte, cinq témoignages en annexe, incluant plusieurs photographies prises par des membres de l’équipe du Capitaine B. Il s’agit d’une série de cambriolages, deux au total, dans un appartement et une maison. Les dépôts de plainte ont été effectués par les propriétaires et enregistrés par le Sergent T. Le montant du butin est estimé à plusieurs milliers d’euros, 250 000 euros exactement. Une bague de fiançailles à 100 000 euros, dans l’appartement, et deux colliers de dame valant respectivement 100 000 euros et 50 000 euros. Les témoignages recoupés en annexe sont ceux des victimes, deux couples et le fils du couple propriétaire de la maison. Le mode opératoire des voleurs est clair. Ils sont deux, sonnent à la porte, menacent leur victime avec un revolver puis repartent avec les bijoux. Deux éléments significatifs complètent ce mode opératoire : ils sont d’abord revêtus de l’uniforme d’un agent de police, présentent leurs insignes respectifs devant l’œil de la caméra extérieure, dans le cas du cambriolage de la maison, ou derrière le judas dans le cas du cambriolage de l’appartement. Ensuite, ils prétendent enquêter autour d’une affaire de cambriolage. Les deux malfrats portent tous les deux des grandes lunettes à verres fumés dites « lunettes d’aviateur », ce qui empêche de bien distinguer les traits de leur visage. Ils opèrent de fait avec le képi sur la tête et ce type de lunettes. Toujours en annexe, figurent les photographies des bijoux volés, trois magnifiques objets d’orfèvrerie.
Le Capitaine B. frappe à la porte de mon bureau.
« – Entrez, Capitaine, dis-je.
– Bonjour, Jungle. Heureux de vous revoir. Ces vacances ?
– Bien, Capitaine. Je vous remercie.
– Bon. Vous avez lu le dossier ?
– Je viens d’en terminer la lecture, oui.
– Plutôt cocasse, vous ne trouvez pas ?
– Vous voulez parler du déguisement, Capitaine ?
– C’est ça, Jungle. J’ai de nouvelles infos à ce sujet. Un commerce de farces et attrapes. J’ai l’adresse. Le gérant nous attend. Je l’ai eu au téléphone. Il se souvient des deux individus et pourra plus amplement nous informer grâce au système de vidéosurveillance de son magasin.
– Et s’agissant de leurs armes ?
– Là, par contre, ce sont des armes réelles.
– Comment le savez-vous ?
– L’un d’eux a tiré en l’air dans le but d’impressionner ses hôtes et victimes après avoir volé les deux colliers dans la maison. La balle a perforé le plafond. Écoutez bien : du Calibre .44 Magnum.
– En effet.
– On y va, Jungle. Allons rendre visite au commerçant des farces et attrapes.
– C’est quel magasin ?
– Celui de la rue du Tour, près de la place du Moulin Neuf. Voyez, Lieutenant, sur la carte GPS. Ici …
– Au 37. Je vois. « Joies et plaisirs de la surprise ».
– Oui, c’est l’enseigne. On peut y aller, Jungle. Vous avez les clés de la 508 PSE ?
– Oui, ici. Dans le tiroir.
– C’est parti, Lieutenant. »
Nous arrivons devant le magasin « Joies et plaisir de la surprise » à 9 AM. Je fais le créneau. Nous sortons de la 508, le Capitaine B. et moi. Le gérant nous accueille avec respect dans son commerce, puis nous montre le film enregistré par ses caméras de sécurité. Nous passons tous les trois une heure, devant l’écran de télévision propre au système de vidéosurveillance, à analyser en détail ce film d’une durée de dix minutes. On distingue très nettement les deux suspects en l’occurrence. Puis le gérant, Monsieur E., nous fait une copie de la séquence.
À 10 AM, de retour au Secteur 3, dans le bureau du Commandant O., nous nous retrouvons devant un nouvel écran, celui de l’ordinateur de cette dernière et poursuivons l’analyse des deux profils.
« – Là. Arrêt sur image, dit le Commandant O. Nous avons les visages, de visu. Je zoome et procède à la capture d’écran … Voilà, Messieurs. Nous avons les deux portraits suspects.
– Oui, c’est très net, mon Commandant, remarque le Capitaine B.
– Je vérifie maintenant dans nos fichiers … Voyez, Messieurs. Ils sont tous les deux connus de nos Services. Je lis : crime en bande organisée, vols qualifiés ; ils ont l’un et l’autre écopé de 15 ans de prison ferme.
– Ils récidivent, dis-je.
– Ils récidivent, me répond notre Commandant.
– Deux membres du Gang des Clowns Ravisseurs ! ajoute le Capitaine B.
– Exact, Capitaine, dit le Commandant O. L’affaire date de vingt ans. La tristement célèbre prise d’otages à la Banque de K. Vous avez raison. C’est inscrit.
– Mais quel âge ont-ils ? Ah oui, pardon, je vois, dis-je. L’un a quarante ans, l’autre quarante-deux.
– Ils ont commencé tôt dans leur carrière de bandits, Lieutenant, remarque le Capitaine B.
– Bien. Aux dernières nouvelles, ils partagent le même appartement, dit le Commandant O. Au 4 boulevard de l’Océan.
– Ils sont mariés ?
– Non, Jungle, reprend notre Commandant. Ils se sont pacsés il y a quatre ans. Regardez, ici.
– Ah oui, dis-je.
– Messieurs, je vous invite à vous rendre chez eux. Méfiez-vous. C’est elle qui pose le plus de problèmes. C’est elle qui a tiré au plafond de la maison, lors du deuxième cambriolage. Je vous renvoie au témoignage du fils de Madame et Monsieur C. qui, vous l’avez lu, dit : C’est le plus grand des deux qui a tiré. Et celui qui a la voix la plus aiguë. Elle est plus grande que lui. Vous l’avez constaté sur le film. Elle est en outre connue pour avoir la gâchette facile. Je vous renvoie là encore à la prise d’otages, quand elle tira sur l’agent de sécurité de la Banque de K., le blessant gravement à la jambe. C’est mentionné ici, regardez, sur son casier.
– Affirmatif, dit le Capitaine. Mais comment a-t-elle pu se faire passer pour un homme aux yeux des victimes de l’appartement et de la maison ?
– Elle s’était rasée la tête pour l’occasion, c’est certain Capitaine, répond le Commandant O. Je préviens le Commandant N., de la Brigade d’Intervention. Vous partez avec la patrouille. L’affaire est trop risquée, Messieurs. Je vous accorde un quart d’heure pour vous équiper, le temps aussi que la patrouille arrive. À tout à l’heure. »
À 11 AM, nous démarrons ; le Capitaine B. et moi, à bord de la 508 PSE ; le Commandant N. et deux membres de sa Brigade, à bord de la Megane RS. Les deux véhicules sont banalisés.
11 H 30 AM. Nous sommes garés, en planque, sur le boulevard de l’Océan ; à une centaine de mètres de l’immeuble n°4. Deux cents mètres nous séparent de la Megane RS du Commandant N., derrière nous, le long du même trottoir.
« – Ils y sont tous les deux, me dit le Capitaine B.
– À quoi le voyez-vous, Capitaine ?
– Elle vient de fermer la baie vitrée du balcon. Ils étaient en train de discuter à propos …
– Du chien, Capitaine !
– Affirmatif, Lieutenant. 3e étage. Le dernier balcon sur la gauche. Elle vient de le faire rentrer.
– Vous avez le sens de la topographie, Capitaine.
– Simple effort de concentration. Je contacte le Commandant N. Préparez-vous, Jungle. Ils ne vont pas tarder à sortir de l’immeuble. »
Nous patientons dix minutes, quand soudain la porte d’entrée du 4 boulevard de l’Océan s’ouvre, faisant apparaître le couple des malfaiteurs à 100 mètres devant nous. La femme se distingue surtout par le fait qu’elle a les cheveux coupés très courts.
« Ils se dirigent vers leur voiture, me dit mon coéquipier. J’alerte le Commandant N. … OK. On y va, Jungle ! »
Le Capitaine B. et moi fonçons en direction des suspects, suivis de près par la patrouille du Commandant N. La femme se retourne alors, dégaine son Remington et tire sur nous à maintes reprises, trois fois. Chacune de ces balles défonce le véhicule derrière lequel le Capitaine et moi tentons de nous protéger. Puis, c’est au tour de son compagnon. Il tire sur la patrouille quatre fois. Les projectiles de son Smith & Wesson sifflent dans l’air, autour de nous. Je pointe mon arme, visant l’épaule de l’homme, appuie sur la gâchette. Il tombe. Sa complice crie, vide son barillet par trois nouvelles décharges dirigées vers moi, avant de monter dans leur X7. J'ai pu éviter le sort fatal chaque fois en me baissant ou en me mettant à plat ventre derrière la carrosserie d'une voiture, au vitrage immédiatement explosé en raison de la puissance de chaque impact de .44 Magnum. Le Capitaine B. réussit un one shot sur le pneu arrière droit du véhicule suspect et le crève. La X7 n'a pas encore pu sortir de sa place de parking. Je profite de ce contretemps, bondis sur le côté gauche, braque mon Browning en direction de la conductrice et lui montre mon insigne.
« Arrêtez-vous. Ne bougez plus, Madame ! Lieutenant Jungle. Sortez de ce véhicule, s’il vous plaît ! »
La suspecte se résout enfin, ouvre la portière et, sortant du 4x4, fait irruption dès lors au milieu du cercle de défense que nous avons formé autour de la voiture, mes coéquipiers et moi. Son compagnon est allongé sur le trottoir et va être pris en charge par la Brigade des Sapeurs-Pompiers que le Commandant N. vient de contacter. La femme est menottée par le Sergent-Chef Y., une des membres de la patrouille, puis embarquée à bord de la Megane RS. Lorsque le Capitaine B. et moi entrons dans l’appartement des deux malfaiteurs, leur chien nous fait fête. Je me dirige de suite vers la chambre. Les bijoux volés furent déposés dans le tiroir d’une commode. Je m’en saisis avec les gants et les glisse dans la pochette réservée aux pièces à conviction.
« – Du bon travail, Jungle, me dit le Capitaine.
– Que fait-on du chien, Capitaine ?
– Nos prérogatives. Nous le prenons avec nous, Lieutenant. L’équipe des Maîtres-Chiens saura en faire un bon Soldat. À la faveur des Vertus, Jungle ! »