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montagnes

PUBLICATIONS LXV

Récit fictionnel

Place de l'Opéra

JEAN-MICHEL TARTAYRE

 

 

 

 

UNE ENQUÊTE D’ART JUNGLE

La Traduction du Dossier F.A.I.R.

 

 

 

 

Récit fictionnel

 

 

 

 

 

 

 

L’écriture relève d’un mouvement naturel, celui de l’esprit. Elle dépend de la dynamique que Raison impose. Souvent, en vacances, j’écris, outre les traductions qui me sont proposées par le Bureau des Enquêtes de mon Régiment. Mon écriture s’organise autour de la prosodie et d’une recherche constante de l’harmonie des phonèmes. Aucun écho n’interfère dans le procès syntaxique qui m’occupe dès que la plume adopte les rythmes de la parole inspirée dont le Chœur des Muses est l’Instance. Je me lève tous les matins presque à la même heure, entre 8 heures et 9 heures, et je compose. Mon écriture peut être acte juridique ; dans tous les cas, elle se définit au demeurant comme acte de résilience.

 

Aujourd’hui, je viens de nettoyer le sol et les meubles de ma demeure. Je me sens chez moi comme à l’intérieur d’un palais, où sont suspendues dans l’air fragrances et notes musicales. Il est l’heure maintenant de passer à la traduction que l’on me confia, après que j’eus l’idée d’un poème mais que j’écrirai au moment propice. Le dossier d’enquête est écrit en espagnol. Je dois avoir terminé ma traduction dans un délai de 48 heures et l’adresser, par fichier joint, au Capitaine H., l’officier responsable du Secteur BFG, sous-secteur de fait du Secteur 3. L’espagnol est ma langue maternelle. Néanmoins, je travaille toujours avec un dictionnaire bilingue. J’ai dans mon séjour un pan de bibliothèque réservé aux seuls dictionnaires. J’ai ainsi en ma possession plus de trente dictionnaires. L’affaire qui concerne la constitution de ce dossier est un vol. Le suspect, inconnu à cette heure, a dérobé 100 000 euros à une célèbre entreprise commerciale, la Société F.A.I.R., en s’étant introduit dans son réseau Intranet après avoir décodé la clé ("llave", en espagnol) du Programme et, par conséquent, celui de son Système de Sécurité. Il s’agit bien d’un cas de cybercriminalité. L’auteure du procès-verbal est le Maréchal des logis Chef W., du Département BFG / BNC. Le dossier comprend dix pages. En annexe, se trouvent les témoignages. L’un des témoins, Monsieur C., fut hospitalisé pour dépression. Il s’agit du responsable du Service Informatique de l’entreprise. « Il y a eu, dit-il, le brouillage des écrans d’abord, puis tout s’est éteint. La clientèle a dû laisser les articles sur place, ou en caisse. Notre service de sécurité a fait le nécessaire pour permettre aux personnes de sortir du magasin avec calme. Il m’a fallu un bon quart d’heure pour trouver l’origine de la panne et réparer. »

 

Ma traduction prend forme correctement. Chaque vocable, chaque phrase, doit demeurer fidèle au compte-rendu rédigé en espagnol. Au terme d’une heure, j’ai terminé la traduction du procès-verbal. En deux heures j’ai complètement fini, après avoir traduit tous les témoignages, cinq au total : celui du chef d’entreprise, celui d’un agent de caisse, celui du directeur commercial, celui d’un agent de sécurité et, enfin, le témoignage de l’ingénieur informatique préalablement mentionné. Pourquoi me suis-je attaché à rapporter ce dernier témoignage ? Parce qu’il m’intéresse. Ce dernier est révélateur d’une énigme à résoudre. Il concerne une affaire en cours, en d’autres termes une affaire non encore classée. L’ingénieur et responsable du Service Informatique de l’entreprise s’avère un cas intéressant dans la mesure où c’est la seule personne qui peut nous amener à progresser favorablement vers la résolution du problème, moi et mes collègues. Le Maréchal des logis Chef W. a de surcroît mis en note la définition de ce mot "llave" et a ponctué la fin de ladite définition par un point d'interrogation.

 

Il est presque 11 AM. Je téléphone directement au bureau du Capitaine H. afin de lui demander s’il me serait possible d’aller interroger Monsieur C. à l’hôpital dans le cadre de cette affaire.

« – Bonjour Jungle. Pas de problème. N’oubliez pas de m’envoyer la traduction par contre.

– Je vous remercie, mon Capitaine. Je vous envoie la traduction.

– Merci, Jungle. Tenez-moi au courant, s’il y a du nouveau. »

 

Sitôt ai-je raccroché, que j’envoie à ma supérieure le dossier par courriel dans sa version française, traduit de l’espagnol. Je signe : Lieutenant Artemus Jungle. J’appose mon matricule. Ensuite, je contacte le Capitaine B.  Enfin, je me prépare un tacos façon mexicaine, la tarte abricot nepita d’après la recette du Chef étoilé L., un café et je pars, direction le Port de K., Secteur 3. Mes deux Mercury ronflent agréablement et me portent sur le Grand Fleuve dans les limites de la vitesse autorisée. Le vent léger anime les feuillages massifs de part et d’autre de la voie fluviale. À 12 H 30, j’amarre mon hors-bord à l’emplacement qui lui est réservé, Zone BFG / BNC. Je franchis le seuil du hall de l’hôpital à 13 heures. Je présente ma carte d’officier à l’hôtesse d’accueil. Elle me donne le numéro de chambre de Monsieur C. : « Chambre 47, Étage 5, Ascenseur B, … à votre droite, Lieutenant. » Je la remercie et gagne la chambre en dix minutes. Le cinquième étage est celui, entre autres, du Service du Professeur H., où je passai divers tests et entretiens durant mes Classes. Je frappe à la porte et entre. Monsieur C. est en train de lire une revue spécialisée dans le domaine de l’Informatique. Il est allongé sur le lit. Son ordinateur est posé sur la table de chevet. Je me présente et lui résume l’objet de ma visite.

« – D’abord, si vous m’y autorisez, Monsieur C., je vais enregistrer notre conversation.

– Je n’y vois pas d’inconvénient, Lieutenant.

– Bien. Voilà, Monsieur C. J’ai lu dans le détail les éléments du dossier dont relève l’affaire qui vous concerne. Est-ce que vous vous sentez mieux ?

– Moyennement. Mais oui, beaucoup mieux qu’il y a quatre jours.

– Je comprends. Vous avez eu néanmoins le courage, et surtout les compétences, de rétablir à temps le réseau informatique de l’entreprise.

– Il est vrai, Lieutenant. Mais nous avons perdu 100 000 euros au final.

– Avez-vous été inquiété par votre hiérarchie ?

– Aucunement.

– Vous vous êtes senti coupable peut-être ?

– Que voulez-vous dire, Lieutenant Jungle ?

– Rien, je vous pose simplement la question. Pouvez-vous me donner l’adresse IP de votre ordinateur, s’il vous plaît ?

– Celui-ci ?

– Oui, celui-ci … Ah, mais je l’ai déjà ! Ne vous inquiétez pas, Monsieur C.

– Comment avez-vous fait ?

– Vous vous inquiétez pour peu de choses, Monsieur C. En revanche, je perçois une énergie dans votre voix que vous n’aviez pas au début de notre dialogue. Dois-je vous rappeler que j’enregistre ? Pour répondre calmement à votre interrogation, j’ai mon vérificateur avec moi, sur mon téléphone. Voyez, Monsieur C. ? Votre adresse est inscrite ici.

– Pourquoi avez-vous besoin de mon adresse IP ?

– Pour établir une lecture comparative, Monsieur C. Je vous explique. Il se trouve que plusieurs membres du Conseil d’Administration de votre entreprise, la Société F.A.I.R., ont effectué leur déclaration auprès de nos Services. Et nous avons deux témoignages qui se recoupent sur un point : une adresse IP précisément, qui n’est pas inscrite sur la liste officielle des adresses IP du réseau informatique de l’entreprise. Le rapport d’incident que vous avez-vous-même transmis à vos deux supérieurs hiérarchiques en témoigne. Cette adresse n’est apparue à vrai dire que rarement au sein de votre réseau, trois ou quatre fois pendant les huit derniers mois, réapparue curieusement le jour de l’incident ; puis disparue dès votre départ pour l’hôpital. Depuis combien de temps êtes-vous propriétaire de cet ordinateur, Monsieur C. ?

– Six mois, Lieutenant Jungle.

– Non, un peu plus que ça.

– Vous vous moquez !

– Non, Monsieur. Cela fait un an et presque deux mois que vous êtes le propriétaire de ce P.C. Voyez, j’ai la date de votre achat. Ici, regardez.

– Mais, qu’est-ce que ça veut dire ?

– Que votre acte est prémédité. Regardez encore, Monsieur C. L’adresse IP en question, la voici. Et c’est bien la vôtre.

– Et alors ?

– Je vous arrête, Monsieur C.

– Pour quel motif ?

– Le vol aggravé de 100 000 euros. La somme a été virée sur un compte à l’étranger, le vôtre je précise, dont voici les références. Vous êtes coupable d’avoir bloqué le système de sécurité du réseau informatique de votre entreprise pour effectuer le transfert des 100 000 euros de la Banque de l’employeur à votre compte. Il vous aura fallu un quart d’heure pour réaliser cette opération à l’aide de votre P.C. personnel, le temps que dura la panne électrique.

– Mais comment savez-vous ?

– Votre Banque Officielle, par l’intermédiaire de laquelle vous êtes amené à faire votre déclaration d’impôts au Gouvernement Français et à son Administration Fiscale, a renseigné nos Services, Monsieur C.

– Comment ?

– Question de tactique. Vous allez beaucoup mieux, dirait-on, Monsieur C. Calmez-vous. Ne bougez pas. »

 

J’émets le signal habituel par téléphone afin que le Capitaine H. m’envoie l’équipe de renfort.  Dès lors, l’homme commence à s’agiter violemment et cherche à me frapper avec sa droite, d’un coup de poing direct au visage. J’esquive en levant ma garde gauche au niveau de la tempe et simultanément lui assène un crochet droit dans les côtes. L’homme, qui s’était levé du lit avec fureur, retombe aussitôt dessus. Il a le souffle coupé. Le renfort arrive maintenant, avec à sa tête le Capitaine B.

« – Bonjour Jungle, me dit ce dernier. Vous l’avez calmé je vois … Messieurs, vous pouvez menotter Monsieur C. … Oui, Jungle, votre coup de téléphone avant Midi m’a éclairé et je vous en remercie. J’ai immédiatement téléphoné à la Banque de ce Monsieur. Mais, je constate que le véritable révélateur de cette affaire, c’est le Chef d’entreprise.

– Il faut compter aussi l’auteure du dossier, Capitaine.

– Oui. Et l’auteure du dossier, il va de soi. Le Maréchal des logis Chef W., c’est bien ça, Jungle ?

– Affirmatif, mon Capitaine.

– Elle a une écriture analytique hors du commun, en effet. Somme toute, je n’hésiterai pas de mon côté à vous confier de nouvelles traductions, Lieutenant. Le Capitaine H. me donna à lire évidemment celle qui concerne notre affaire et elle et moi tenions à vous féliciter. Sincèrement, Teniente !

– Je vous remercie, Capitaine B.

– De votre écriture, je salue certes l’efficace. Et j’entends la faveur des Vertus, Jungle ! »

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