

PUBLICATIONS LXVIII
Récit fictionnel

JEAN-MICHEL TARTAYRE
UNE ENQUÊTE D’ART JUNGLE
Opération Corbeau
Récit fictionnel
Je considère l’écriture comme une nécessité. Elle me permet de dire, au contact. Ce matin, par exemple, je me suis levé à 6 heures pour prendre le temps de composer, un poème que je rapporterai dans quelques minutes ; j’ai repris les notes concernant mes missions et activités au service de l’État Français et j’ai commencé à les rédiger. L’écriture fonde ma mémoire et protège mon intégrité. L’écriture m’apparaît ainsi comme la casemate de mon existence. Les notes que je prends lors de chaque enquête ou mission sont des actes et la traduction de mes actions. La prise de notes sur mon carnet s’inscrit donc dans la transparence parfaite de mes idées, de qui je suis : un soldat fidèle aux valeurs fondamentales de la République française, de l’Humanité. J’aime mon pays, j’aime l’Histoire de ses femmes et de ses hommes qui se sont battu(e)s au prix de leur vie pour conserver les valeurs de mon pays, contre l’ennemi, contre la chimère.
Je suis actuellement en train de regarder l’aube bleue berçant la Montagne-qui-parle des chromatismes que proposent les gouttes de pluie tombées d’un nuage à l’épaisseur d’acier sur les rocs de sa paroi verticale, sur la masse végétale de mon jardin. Ce sont autant de notes musicales, florales, que je perçois et que la plume, de retour de son rendez-vous près le Chœur des Muses, transmue en ces termes :
En sa saison reine,
La pluie est parole en acte. –
Ô le ciel de gemmes !
Je me suis douché, j’ai pris mon petit-déjeuner d’un thé Twinings à la menthe, assorti de deux briochettes Pasquier aux pépites de chocolat. Je viens de fermer la porte de ma demeure maintenant. L’aurore s’est levée depuis un bon quart d’heure. Mon jardin se confond avec les fragrances dominantes du jasmin et de la fleur d’oranger. Il incarne le chant de l’Aurore et complète à cet égard celui du coq de mes voisins, tel son écho.
Je démarre les Mercury. Il est 7, 30 AM. Le Commandant O. m’attend dans son bureau à 8 AM. À l’heure dite, ma supérieure me fait entrer et assoir.
« – Bonjour, Jungle.
– Mon Commandant.
– Voilà. Comme je vous l’ai dit hier, il s’agit d’une nouvelle mission. Vous devez vous présenter, vous et le Capitaine B., devant mon homologue du Secteur 1, le Commandant N., que vous connaissez déjà.
– Oui, mon Commandant. Le Chef des Brigades d’Intervention. Forces Spéciales.
– C’est cela même, Lieutenant. Secteur 1. Donc, vous êtes affectés en l’occurrence, vous et le Capitaine B. chez les Commandos Marine.
– Très bien, Commandant.
– Vous avez rendez-vous à 9 AM. Vous y retrouverez donc le Capitaine B., que j’ai déjà convoqué hier. La Jeep est garée dans la cour. C’est le Brigadier-Chef R. qui vous conduit jusqu’au Secteur 1, vous et le Capitaine. Ce dernier ne devrait pas tarder. Tiens, voilà le Brigadier- Chef … Bonjour Brigadier … Et, … et le Capitaine B … Bonjour, Capitaine.
– Bonjour, Commandant, disent-ils l’un après l’autre.
– Messieurs, vous êtes à cette heure, … oui, … il est 8, 25 AM ; vous êtes à cette heure, disais-je, tous présents. Il ne me reste qu’à vous souhaiter bonne chance. Nous nous revoyons demain pour le débrief. Vous pouvez disposer. »
Nous saluons tous les trois le Commandant O. et quittons le Secteur 3 à 8, 30 AM, direction les bâtiments du Secteur 1, à 5 km de là. 8, 45 AM. Le Brigadier-Chef R. gare la Jeep sur le parking de l’Administration du Secteur 1, après que nous avons présenté notre convocation et nos insignes respectifs à la Sentinelle. Le Brigadier-Chef R. nous fixe rendez-vous dans 6 heures au même emplacement et repart, tandis que nous nous dirigeons, le Capitaine B. et moi, vers la Porte 5 du grand bâtiment. Madame la Secrétaire d’Accueil nous renseigne sur l’étage et le bureau du Commandant N. Quand nous arrivons au deuxième étage, l’autre Secrétaire nous demande de patienter devant le bureau du Commandant. Mon coéquipier et moi nous asseyons. Au terme de dix minutes, le Commandant N. ouvre la porte, salue l’officier avec qui il vient de s’entretenir puis nous invite à entrer.
« – Je vous en prie, Messieurs. Asseyez-vous. Bonjour, tout d’abord.
– Bonjour, Commandant, dis-je.
– Bonjour, Commandant, dit à son tour le Capitaine.
– Opération Corbeau. Je vous explique. La zone forestière voisine, située au Sud-Ouest de nos secteurs abrite près de la ville de J. la tête pensante du réseau de narcotrafiquants qui sévit depuis deux ans sur notre territoire et installe régulièrement son marché dans les quartiers de K., aussi bien les quartiers riches que les quartiers populaires. Ils passent la frontière par la route ou sur le fleuve avec à leur bord plusieurs kilos d’héroïne, de cocaïne ou de cannabis et vendent auprès des gens, des jeunes en majorité. La Douane nous renseigna. Le Général R. précisément m’a envoyé le rapport annuel des coups de filets réalisés durant les douze derniers mois. Sa Brigade fait état d’une cinquantaine de prises. Elles atteignent une quantité de 3, 5 tonnes, soit une somme estimée à plus d’1 milliard d’euros. Nous avons mené l’enquête en partenariat avec la Douane. Nous avons les noms des responsables. Je vous montre leurs fichiers respectifs. Voyez.
– Cinq, remarque le Capitaine.
– Affirmatif, Capitaine B., lui répond le Commandant. L’Opération Corbeau débute dans 30 Minutes, dès que vous serez en possession de votre matériel. Sous-Sol, salle des gardes.
– Nos armes, mon Commandant ? demande le Capitaine.
– FAMAS, Browning, lui répond notre supérieur. L’affaire est urgente. Ils se réunissent aujourd’hui à Midi chez cet individu. Villa cossue au Nord-Est de J. Ici, sur la carte. Vous me suivez. Nous nous rendons au Sous-Sol. La Brigade nous attend.
– La distance depuis K., mon Commandant ? demande le Capitaine.
– 600 km, Capitaine.
– Nous prenons l’avion ? demandé-je.
– Affirmatif, Lieutenant. Départ dans une heure. Il est 9, 30 AM. Nous décollons à 10, 30 AM. »
Nous arrivons tous les trois dans la salle des gardes. Le Commandant nous présente aux membres de sa Brigade. Cinq personnes, dont le Sergent T. Avant de nous équiper, nous nous entretenons autour de la stratégie propre à l’Opération, dans le cadre du briefing dirigé par le Commandant N. À 10 AM, nous sortons du bâtiment dans un fourgon, direction l’aéroport. 10, 30 AM, notre DH 6 décolle.
Nous sommes huit à bord. Personne ne parle derrière sa cagoule. Nous nous envolons dans un zinc prévu pour le meilleur effet, silencieux, rapide, maniable. Je sens mon parachute contre sa paroi solide participer de la forge du silence qui nous réunit, mes frères d’armes et moi. 11, 40 AM : le Lieutenant aviateur dit : « 16 500 pieds. Dans une minute, Messieurs. » Le Commandant N. regarde son chronomètre, patiente 30 secondes, ouvre la porte donnant sur le ciel, puis nous dit à son tour : « Tenez-vous prêts, Messieurs. 15 secondes … 10, 9, 8, 7, 6, 5, 4, 3, 2, 1. » Nous sautons, en file indienne. Je passe après le Capitaine L. et le Capitaine B. Le Major A. est le dernier à sauter. Notre groupe de quatre doit se poser à 500 mètres de la villa, à l’orée du grand parc, dans le petit bois dépendant de la Forêt. L’autre groupe, celui des tireurs d’élite, dirigé par le Commandant N, est passé devant nous et doit atterrir sur les hauteurs de la colline au pied de quoi fut construite ladite villa, à 200 mètres de cette dernière. À Midi, nous sommes tous les huit à nos postes respectifs. Le Capitaine L. observe avec ses jumelles puis nous dit : « Ils commencent à sortir la table sur la terrasse. À mon signal, on applique la tactique. »
Cinq minutes passent. Le Capitaine L. donne le signal. Nous nous divisons en deux groupes de deux personnes, celui du Capitaine B. et moi-même, celui du Major A. et du Capitaine L. Le Capitaine B. et moi prenons la direction Nord-Est dans le bois. Le Capitaine L. et le Major A., quant à eux, disparaissent côté Nord-Ouest du bois. Il ne pleut pas, c’est une chance. Il fait plutôt bon. Le lieu se trouve à dix kilomètres de l’océan. L’air est vivifiant et les suspects en profitent pour prendre l’apéritif dehors. Nous sommes arrivés au point 2 de notre progression, à 100 mètres de la terrasse. Le Major A. et le Capitaine L. se tiennent sur l’autre point symétrique, le point 2’. Nous patientons respectivement là dix minutes. Ensuite, le Capitaine B. me dit : « Ils se mettent à table. On est parti, Jungle ! » Du côté Ouest, le Major A. et le Capitaine L. sortent aussi de leur planque dans le bois.
De part et d’autre, les 100 mètres qui nous séparent de la terrasse sont parcourus en moins de 11 secondes, fusil en bandoulière et braqué sur les suspects. Nos tireurs d’élite ont adopté la même stratégie à 200 mètres sur la colline : deux hommes côté Nord-Ouest, deux hommes côté Nord-Est. Bruit de détonation d’un Browning derrière le groupe d’assaut que je forme avec le Capitaine B. Un homme de main posté en sentinelle nous a vu et tombe au moment où il allait nous tirer dessus et ainsi donner l’alerte générale. Le groupe des commensaux n’a pas eu le temps de réagir. Le Capitaine B. et le Capitaine L., de part et d’autre de la grande table du déjeuner demandent à chacun d’eux de lever les mains. Quant au Major A. et moi-même, nous investissons l’intérieur de la villa. Au rez-de-chaussée, l’un des serveurs a dégainé son revolver ; je tire sur sa main, il crie et lâche l’arme. Je stoppe l'hémorragie à l'aide d'un gros pansement, le menotte puis l’oblige à s’assoir sur le canapé du salon. Le Major A. est monté aux étages. Je poursuis mon avancée, direction la cuisine et mets en joue serveurs et cuisiniers. Ils s’affairaient autour du Plat du Jour, des remarquables queues de homard grillées au beurre demi-sel. Le Major A. entre alors dans la cuisine : « R.A.S. à l’étage 1. R.A.S. à l’étage 2. » me dit-il. Nous menottons le personnel de la cuisine. Deuxième détonation venue de la colline, côté Nord-Ouest. L’autre homme de main a tenté de tirer sur le Capitaine L. Le sbire tombe, touché à la jambe.
Le groupe des tireurs d’élite nous rejoint à Midi 30. Il est 13 heures quand le Commandant N. s’adresse à nous : « La situation est maintenant sous contrôle, Soldats. Du bon travail. Les suspects sont tous menottés dans le salon. On compte trois blessés parmi eux, à qui nous avons appliqué les premiers soins. Nos deux hélicoptères atterriront sur l'herbe du parc dans 20 minutes. Je vous invite à partager le menu de nos hôtes involontaires : salade de concombre vinaigrée, queues de homards au beurre fondu et crêpes parmentières pour clôturer. Tout est prêt pour rappeler la tête pensante de ce méchant réseau à ses obligations socio-économiques. Ces cinq messieurs seront reçus comme il se doit à l’autre table, celle des Juges. À la faveur des Vertus, Messieurs ! »
