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PUBLICATIONS XVII

Conte

LA PLUIE

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Conte

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Il pleut sur nos jours et nos nuits,

Aux champs poussera le bon grain

Qu’alors je semai de ma main –

Pour en été avoir des fruits.

 

L’eau se précipite sans bruits

Si ce n’est tel rythme en refrain. –

Il pleut sur nos jours et nos nuits,

Aux champs poussera le bon grain.

 

Tantôt je me rendrai au puits

Dont l’eau est cause d’un sol sain,

M’assurant ainsi que demain

Nous donnera de bons produits. –

Il pleut sur nos jours et nos nuits.

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            Elle avait écrit un poème sur la pluie à une époque où nous en manquions. On approchait du printemps. La terre était sèche, la plantation inculte. Espérer fut en l’occurrence un devoir. Nous nous en tenions à de menus travaux journaliers. Je profitai des circonstances pour raconter des histoires à nos enfants. Je lisais aussi des pages belles avec toujours ce même espoir que le ciel nous donnerait de la pluie. Elle et moi les lisions à nos enfants le soir après le repas quand ils étaient au lit. Une fois qu’ils étaient endormis, nous redescendions en silence au jardin, un moment appréciable s’il en est, puisque c’était mon moment d’écoute. Je l’écoutais parler, me dire la musique, la beauté des choses. Je l’écoutais chanter, s’accompagnant d’une guitare, des mélodies douces comme des bouquets de fleurs qui enluminaient, aurait-on pu croire, les mots à la façon des textes anciens. Des odes ou des ballades qui me rendaient à la fois grave et serein. Les soirs étaient au comble des senteurs végétales. L'arôme du thé allait avec celui de la canne à sucre. Je l’écoutais. Je croyais aux beaux jours, au bonheur, à la pluie prochaine. Elle chantait. Tout irait mieux.

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            Jamais je ne relâchais mon attention sur ses notes, sur ses mots. J’allais au-devant de ses partitions ; en d’autres termes, à sa rencontre, sur le mode du renouvellement. Et je me quittai dedans cet espace de rencontre qu’est la musique. Seul importait le moment de satisfaction où l’on est entièrement à l’autre, toute passion abolie, mais rivé à la matérialité harmonieuse des sens, à leur synchronisme qui nous rend à soi. – Il est tard, disait-elle alors. Et nous regardions le ciel étoilé. La lune n’apparaissait plus dans notre champ de vision. Elle poursuivait son cycle. Nous allions nous coucher.

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           Les matins, bien que frais, ne laissaient présager rien de très heureux quant à la venue de la pluie. L’aurore se levait sur la plantation. Les sillons que nous parcourions elle et moi demeuraient secs. La terre avait soif, en conséquence de quoi les abeilles étaient moins nombreuses à travailler, le reste de la journée. Nous rentrions lever les enfants. Nous les emmenions à l’école. De retour chez nous, à la ferme, nous nous occupions du poulailler, nourrissions les bêtes. Notre réserve était encore riche de maïs et de foin. La ferme se portait bien somme toute. Dès la pause de midi, nous préparions le déjeuner. Les enfants revenaient seuls à pied. L’école ne se trouvait qu’à un kilomètre. Nous passions à table. Après quoi, les enfants repartaient, accompagnés parfois par elle ou moi. L’après-midi, je m’occupais du matériel agricole, je nettoyais le sol, les meubles. Mon épouse écrivait ou bien m’aidait. Je préférais toutefois la laisser à la pratique de son art. Elle écrivait oui, des chansons, des partitions, de sublimes morceaux de musique qu’elle me jouait ensuite, au soir, jusqu’à la nuit. Chez nous, cette musique se nomme le Blues. Et je savais, il me semble, l’écouter comme elle l’entendait, soit en me taisant, avec tout le respect que je devais à ma déesse.

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             Un de ces soirs où nous nous étions assis dans le jardin, le temps de sa prestation, elle chanta son dernier poème évoquant l’idée du puits, l’exergue, pour être plus précis, qu’elle m’autorisa à faire figurer en tête de mon récit. « Tantôt je me rendrai au puits … ». Le vers demeura comme en suspens dans ma mémoire. – Un puits, lui dis-je, me permettant d’intervenir au terme de son œuvre lyrique. – Oui, nous pourrions en parler, me répondit-elle.

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               Le lendemain, l’idée fut bien accueillie par l’exploitant, notre supérieur. Je repartis très satisfait, annonçais la bonne nouvelle à mon épouse. Nos voisins les plus proches participèrent à ce travail de creusement. Monsieur l’exploitant lui-même vint nous prêter main forte. Munis de pelles, de pioches, nous creusâmes pendant près d’un mois, puis bâtîmes le puits. En à peine un trimestre, nous réussîmes l’ouvrage. La plantation reprit vie. Monsieur l’exploitant nous reçut chez lui. Ce fut cérémonieux, fastueux. Tous les enfants jouaient dans le grand salon, dans la salle à manger immense. Ce fut une grande réception, vraiment. Les lustres illuminaient notre joie. La récolte serait bonne. – Quoi qu’il en soit ! conclut notre supérieur et hôte. Nous étions à l’honneur. Puis il ajouta : – Mesdames, Messieurs, je souhaiterais que nous consacrions un moment de silence en l’honneur de Madame, qui a bien voulu m’accorder la faveur de chanter, de nous chanter, ses mélodies originales. Une, en particulier, m’est chère, la chanson grâce à laquelle nous nous trouvons réunis aujourd’hui. Mais écoutez Madame plutôt.

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              Et elle chanta, mon épouse chanta jusqu’au matin sa musique. Notre hôte lui avait proposé le piano du grand salon. – Le piano de Vienne, avait-il dit. Elle chanta la Terre, elle chanta la pluie, elle chanta le puits, elle chanta la joie, elle chanta l’enfance et l’humanité. Un puissant silence nous tenait tous en éveil, en respect, à l’égard de l’artiste. Nous étions une centaine ici présents à respirer les airs divins qu’elle proposait. J’ai en outre le souvenir marquant qu’au cours d’un tel concert « pour la nuit » soudain l’une d’entre nous me chuchota. – Monsieur, voyez. Elle me montrait les vitres des hautes fenêtres. Les chevaux hennirent, un chien aboya, des chats miaulèrent, brebis et moutons bêlèrent, l’oiseau chanta, vaches et veaux meuglèrent. C’étaient des gouttes de pluie dégoulinant contre le vitrage au rythme des notes que ma déesse adressait à son public. Elle composait, interprétait, improvisait. Elle organisait le silence. Elle participait de la structure du silence. Elle servait le silence. Longtemps, il pleuvrait. Longtemps, il plut.

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Soit une chanson,

Une chanson bleue –

Trois notes

Pour chaque saison.

 

Notre Terre est un don et tous nous oblige

Au regard juste envers l’autre, envers soi-même ;

Sachant cultiver l’Amour que rien n’afflige

Et le voir grandir en chacun qui le sème

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Comme je le vois de la fleur sur sa tige

Ou des feuillées comparables à l’emblème

De l’espérance où mon regard se dirige,

Consciente de la Terre faite diadème.

 

Soit une chanson,

Une chanson bleue –

Trois notes

Pour chaque saison.

 

Chantons et dansons la pluie frères et sœurs,

La pluie des ciels rayonnants telle la gemme,

Déjà venue sur nos champs, sur la forêt.

 

La pluie pour le puits, où vont tous nos labeurs ;

Chantons oui, dansons, oui autour de ce thème

Rejoint par nos vœux lors de ce soir d’apprêt.

 

Soit une chanson,

Une chanson bleue –

Trois notes

Pour chaque saison.

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                                         Jean-Michel TARTAYRE

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